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À la croisée de la raison et du réel de G. BACHELARD

Publié le 06/01/2020

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L'étude de l'activité scientifique incite à rapprocher les tenants d'un rationalisme pur, pour qui les catégories de la raison humaine suffisent à déterminer le monde, et les partisans d'un réalisme complet, pour lesquels le réel s'impose à notre pouvoir de connaître.

 

Il ne serait pas difficile de montrer, d’une part, que, dans ses jugements scientifiques, le rationaliste le plus déterminé accepte journellement l’instruction d’une réalité qu’il ne connaît pas à fond et que, d’autre part, le réaliste le plus intransigeant procède à des simplifications immédiates, exactement comme s’il admettait les principes informateurs du rationalisme. Autant dire que, pour la philosophie scientifique, il n’y a ni réalisme ni rationalisme absolus. [...]

 

C’est la réalisation du rationnel dans l’expérience physique qu’il nous faudra dégager. [...] Il s’agit d’un réalisme de seconde position, d’un réalisme en réaction contre la réalité usuelle, en polémique contre l’immédiat, d’un réalisme fait de raison réalisée, de raison expérimentée. [...]

 

Dès qu’on médite l’action scientifique, on s’aperçoit que le réalisme et le rationalisme échangent sans fin leurs conseils. Ni l’un ni l’autre isolément ne suffit à constituer la preuve scientifique ; dans le règne des sciences physiques, il n’y a pas de place pour une intuition du phénomène qui désignerait d’un seul coup les fondements du réel ; pas davantage une conviction rationnelle - absolue et définitive - qui imposerait des catégories fondamentales à nos méthodes de recherche expérimentale. [...] C’est donc bien à la croisée des chemins que doit se placer l’épistémologue, entre le réalisme et le rationalisme. C’est là qu’il peut saisir le nouveau dynamisme de ces philosophies contraires, le double mouvement par lequel la science simplifie le réel et complique la raison. [...]

 

Déjà, l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation; elle montre en démontrant, elle hiérarchise les apparences, elle transcende l’immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors, il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le monde des instruments, produit sur le plan des instruments. Or, les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.

 

G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, PUF, pp. 6-16.

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« ses schémas.

Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore.

Alors, il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le monde des instruments, produit sur le plan des instruments.

Or, les instruments ne sont que des théories matérialisées.

Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.

G.

BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, PUF, pp.

6-16.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Bachelard met ici en place une véritable dialectique de la raison et de l'expérience.

En croisant systématiquement les catégories du réalismé et du rationalisme, il ne cherche pas pour autant à les confondre.

La raison et le réel ne sont pas interchangeables, mais changent et se transforment au contact l'un de l'autre.

La raison informe le réel en s'infor­ mant auprès de lui.

Dans l'expérience, le réel qui est donné n'est pas reçu passivement: il est coordonné dans le cadre d'un projet de connaissance.

Car la connaissance scienti­ fique n'est jamais pour Bachelard un face à face du sujet connaissant et de l'objet connu, c'est avant tout une acti­ vité, un projet, une réalisation : « Les enseignements de la réalité ne valent qu'autant qu'ils suggèrent des réalisations rationnelles ».

Il y a bien, dans cette dialectique de la raison et du réel, un dialogue expérimental, mais l'initiative en revient toujours à la raison : « L'activité scientifique s'ins­ truit parce qu'elle construit ».

La raison n'opère pas seule­ ment sur des symboles ou des représentations générales.

C'est aussi une raison instrumentale, elle vise une applica­ tion à la réalité.

C'est un rationalisme appliqué.

L'épistémologie historique de Bachelard soulignera cette prise de conscience progressive d'un pouvoir de construc­ tion rationnelle, qui se libère en bousculant les obstacles épistémologiques (voir Glossaire) : « Après avoir formé, dans les premiers efforts de l'esprit scientifique, une raison à l'image du monde, l'activité spirituelle de la science moderne s'attache à construire un monde à l'image de cette raison » ... »

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