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Alors que la plupart des moralistes recommandent à l'homme de limiter ses besoins, économistes et sociologues s'accordent assez communément pour voir, dans la multiplication des besoins, le signe d'une civilisation plus avancée. S'agit-il là, à votre avis, d'un irréductible conflit entre deux conceptions de l'homme ?

Publié le 14/06/2009

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Introduction. — Nous sommes les témoins, et les victimes, de mouvements revendicatifs dont l'arme essentielle est la grève. Or que demandent généralement ces grévistes ? Une augmentation de salaire, à cause de besoins nouveaux dont nos aïeux n'avaient même pas l'idée. Faut-il se réjouir de cette multiplication des besoins ou devons-nous, au contraire, la déplorer ? Si nous nous en tenions aux leçons des moralistes d'autrefois, nous regretterions la simplicité des moeurs antiques. Mais pour les économistes et les sociologues contemporains, ces besoins sont le signe d'une civilisation avancée. Ces deux attitudes impliquent-elles deux conceptions irréductibles de la vie humaine ou peut-on, au contraire, les concilier ? I. — LES DEUX ATTITUDES A. Les moralistes. A peu d'exceptions près et quel que soit leur système particulier, les moralistes prêchent la restriction des désirs et des besoins. La chose semble aller de soi. Spontanément, en effet, notre désir se porte vers des objets d'où nous espérons des satisfactions sensibles, du plaisir ; il nous détourne du devoir, de la recherche du bien et nous induit sans cesse en tentation. La tentation se fait même de plus en plus pressante car, un premier besoin satisfait, surgit le plus souvent le besoin de quelque chose de plus ou de mieux et qui, par là même, attire plus fortement. Il est facile de le voir, quiconque vise à la vertu, à la perfection morale ou simplement à la fidélité au devoir s'efforcera de restreindre ses besoins. Bien des moralistes, il est vrai, principalement dans l'antiquité, plaçaient le but de la vie dans le bonheur. Or on ne saurait être heureux tant que les besoins ne sont pas satisfaits. Mais, ainsi que nous l'avons marqué, il ne saurait jamais obtenir complète satisfaction : ce qu'on a obtenu suscite l'idée et le désir de quelque bien meilleur ; et ainsi on court sans fin à la poursuite d'un bonheur qui s'éloigne à mesure qu'on fait un pas vers lui. C'est pourquoi, tout comme les moralistes qui mettent le but de la vie dans la perfection morale ou dans la vertu, ceux qui n'envisagent que le bonheur préconisent, eux aussi, la restriction des besoins. Qu'il suffise d'évoquer la doctrine d'Épicure.

« et leur consommation.

Bien que la sociologie ne soit pas une discipline normative comme la morale, elle ne peut passe passer de certaines normes et d'un certain idéal auxquels elle se réfère pour mettre en ordre les faits observés.Est tenue pour supérieure la société qui présente, avec la solide structuration des tribus primitives, la diversité desindividus et des groupes qui la composent, la complexité des fonctions et des rapports.

Or cette diversification etcette complexification résultent principalement des tâches et des professions nouvelles introduites par le progrèstechnico-économique.

On voit ainsi le lien étroit qui existe entre la civilisation et la multiplication des besoins : unpays qui se civilise augmente ou améliore sa production, et cette production suscite des désirs qui atteignent laforce du besoin lorsque le grand nombre peut les satisfaire.

Ainsi, pour le sociologue comme pour l'économiste, lamultiplication des besoins est un indice du progrès de la civilisation.On voit donc la différence des points de vue qui explique la différence d'attitude.Mais s'ensuit-il qu'il faille nécessairement opter entre ces deux points de vue en sorte que le souci de la moralitéexclurait radicalement tout progrès susceptible d'augmenter les besoins, et que, réciproquement, tout progrès quiaugmente les besoins est destructeur de la moralité ?Il semble bien que nous devons répondre par la négative. B.

Opinions conciliables. Les deux affirmations, en effet, ne se contredisent pas, et chacun admet celle des autres quand il se place à leurpoint de vue.

Il s'agit seulement de considérer l'homme total et de juger en homme et non en spécialiste à l'horizonrestreint. C.

Et plutôt complémentaires. En effet, à s'en tenir à l'une ou à l'autre de ces vues, on se ferme à des considérations qui s'imposent à quiconque ale sens du réel. 1.

La remarque vaut du concept de civilisation auquel il convient de s'arrêter.

Pour nos contemporains, la civilisationconsiste essentiellement dans les créations de la technique et dans l'amélioration des conditions de la vie matérielle.La civilisation matérielle est sans doute la face la plus apparente du phénomène, celle qui, plus indiscutablementobjective, retient davantage l'attention du sociologue.

Mais la civilisation des individus ne dépend pas du nombred'esclaves mécaniques qu'il utilise ou de la richesse de sa garde-robe.

Il est une richesse invisible, celle de l'esprit ;une force qui n'est pas mesurable au dynamomètre, celle de la volonté ; des valeurs, les valeurs morales, qui nesont pas cotées en bourse ; bref, une civilisation spirituelle.

Or ces valeurs spirituelles, restent la fine fleur de lacivilisation.

Quiconque est véritablement civilisé en éprouve le besoin et en vient à chercher les valeurs matériellescomme le moyen de se procurer les autres.

On voit donc, au milieu d'une civilisation matérielle qui multiplie lesbesoins de posséder et de jouir, surgir des besoins d'un autre ordre dans lesquels le moraliste reconnaîtrait unindiscutable apport du progrès qu'il vise. 2.

L'idéal moral peut donner lieu à des remarques analogues.

En prônant la restriction des besoins, le moraliste songeaux besoins organiques et aux désirs des biens matériels permettant de les satisfaire ; inutile de dire qu'il a raison devouloir que la satisfaction de ces besoins n'accapare pas tout l'homme.

Mais il n'ignore pas l'existence de besoinsspirituels : besoin de savoir et de comprendre, de mettre de l'ordre en lui et autour de lui, de se dévouer etd'adorer...

Les besoins decet ordre, loin de les restreindre, il cherche à les promouvoir..

Quel meilleur frein d'ailleurs aux impulsions inférieuresque l'attrait d'un bien dont on sent l'incomparable supériorité ?Mais « ventre affamé n'a point d'oreilles », dit le proverbe.

Normalement, l'apparition de besoins d'ordre spirituel estconditionnée par un certain bien-être, par ce qu'on appelle aujourd'hui le « minimum vital ”.

Par le minimumd'aujourd'hui, notons le bien, et non par celui des contemporains de Socrate : celui qui proposerait comme modèle lasage antique ferait preuve d'un anachronisme quelque peu ridicule.La sagesse n'est donc ni dans la restriction systématique des besoins ni dans l'effort vers un ordre économique quiles multiplie.

Il y a des besoins d'ordres divers et il nous appartient de jouer avec eux de manière à réaliser unéquilibre vraiment humain. Conclusion. Les lignes suivantes de la réponse de J.

Rostand au discours prononcé par L.

Armand lors de sa réception à l'Académie française (mars 1964) font suffisamment la synthèse des réflexions qui précèdent :« En accroissant les pouvoirs de l'homme, la technique multiplie pour lui, tout à la fois, les occasions de s'élever etles risques de s'avilir.

Salutaire et menaçante, elle complique notre tâche, alourdit nos responsabilités.

Elle fait pluspérilleuse notre aventure, mais aussi elle en repousse les bornes.

». »

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