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Blaise PASCAL: Des trois sortes d'hypothèse.

Publié le 01/04/2005

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pascal
Toutes les fois que, pour trouver la cause de plusieurs phénomènes connus, on pose une hypothèse, cette hypothèse peut être de trois sortes. Car quelquefois on conclut un absurde manifeste de sa négation, et alors l'hypothèse est véritable et constante ; ou bien on conclut un absurde manifeste de son affirmation, et alors l'hypothèse est tenue pour fausse ; et lorsqu'on n'a pu encore tirer d'absurde, ni de sa négation, ni de son affirmation, l'hypothèse demeure douteuse ; de sorte que, pour faire qu'une hypothèse soit évidente, il ne suffit pas que tous les phénomènes s'en ensuivent, au lieu que, s'il s'ensuit quelque chose de contraire à un seul des phénomènes, cela suffit pour assurer de sa fausseté. Par exemple, si l'on trouve une pierre chaude sans savoir la cause de sa chaleur, celui-là serait-il tenu en avoir trouvé la véritable, qui raisonnerait de cette sorte : présupposons que cette pierre ait été mise dans un grand feu, dont on l'ait retirée depuis peu de temps ; donc cette pierre doit être encore chaude : or elle est chaude ; par conséquent elle a été mise au feu ? Il faudrait pour cela que le feu fût l'unique cause de sa chaleur ; mais comme elle peut procéder du soleil et de la friction, sa conséquence serait sans force. Car comme une même cause peut produire plusieurs effets différents, un même effet peut être produit par plusieurs causes différentes. Blaise PASCAL

Dans cette Lettre adressée au père jésuite Noël du 29 octobre 1647, Pascal s’interroge sur le statut de l’hypothèse scientifique et sur les conditions de sa validité. En effet une hypothèse désigne une affirmation qui n’est pas démontrée, mais qui est seulement posée en vue de la résolution d’un raisonnement ou d’une expérience. Or si l’hypothèse n’est qu’une supposition, rien ne nous garantit a priori sa validité. Ainsi il faut s’interroger sur les conditions qui permettraient de confirmer ce qui n’a été jusque là que supposé. L’enjeu est d’autant plus important que tenir pour vraie une hypothèse fausse peut avoir des conséquences catastrophiques pour la vérité scientifique. Cet extrait de l’échange épistolaire à propose de la querelle du vide nous confronte à ce problème : à quelles conditions une hypothèse peut-elle être déclarée valide en science ? Le problème se développe en deux parties : dans un premier moment, Pascal énonce lune typologie tripartie de l’hypothèse ; puis dans un deuxième moment il s‘interroge sur les conditions de son évidence à partir de l‘expérience.

 

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« _ L'absurdité désigne une absence de sens qui manifeste la fausseté d'une chose.

C'est ce non sens qui permet dedégager la vérité ou la fausseté d'une hypothèse.

Premièrement « l'hypothèse est véritable et constante » lorsque« on conclut « un absurde manifeste de sa négation ».

Par exemple, si l'on nie l'hypothèse selon laquelle l'espace, lenombre ou le temps sont divisibles à l'infini, alors il s'ensuit un non sens qui se manifeste à l'esprit.

En effet commePascal en fait la remarque au chevalier de Méré dans la première section de l'Esprit géométrique : « on comprend parfaitement qu'il est faux qu'en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible ».

S'il est toujourspossible en esprit de diviser un contenu, alors l'absurdité qui se dégage de la négation de cette hypothèse enindique la vérité.

Ainsi si l‘on affirme la divisibilité de l‘espace, on constate le non sens qui se manifeste à l‘esprit.

Parconséquent « on conclut un absurde manifeste de son affirmation et alors l'hypothèse est tenue pour fausse ». _ Le troisième type d'hypothèse , par son ambiguïté, constitue la cible polémique spécifique de la lettre de pascal :« lorsqu'on n'a pu encore tirer d'absurde ni de sa négation, ni de son affirmation, l'hypothèse demeure douteuse ».

L'impossibilité de conclure une absurdité de l'affirmation ou de la négation d'une hypothèse empêche de confirmer oud'infirmer sa validité : l'hypothèse reste alors sujette à caution.

Or ce qui est douteux est un obstacle plus essentielà la science qui recherche la vérité que ce qui se donne immédiatement pour faux.

En effet en oscillant sans fin dela vérité à la fausseté, le douteux introduit l'incertitude dans la démarche scientifique orientée par la quête de cequi est certain et ne permet que d'énoncer du vraisemblable.

C'est ce que reproche Pascal au père Noêl qui, en necessant d'émettre des présuppositions dont on ne peut vérifier ni infirmer la validité, ne peut tout au plus qu'édifierune fable du monde à la manière de Descartes : « c'est ainsi que quand on discourt humainement du mouvement oude la stabilité de la terre, tous les phénomènes des mouvements et rétrogradations des planètes s'ensuiventparfaitement des hypothèses de Ptolémée, de Tycho, de Copernic et de beaucoup d'autres qu'on peut faire detoutes lesquelles une seule peut être véritable ». II Quelles conditions de validation pour l'hypothèse ? _ Nous arrivons alors à la thèse essentielle de notre texte : « « pour faire qu'une hypothèse soit évidente, il nesuffit pas que tous les phénomènes s'en ensuivent au lieu que, s'il s'ensuit quelque chose de contraire à un seul desphénomènes, cela suffit pour assurer de sa fausseté ».

Il semblerait qu'une hypothèse soit validée si tous lesphénomènes qu'elles cherchent à expliquer se déroulent selon l'ordre qu'elle avait prévu.

En effet , appréhender unphénomène, c'est faire une expérience.

Or si l'hypothèse cherche à remonter des effets que sont les phénomènes àleurs causes et que les phénomènes correspondent à l'hypothèse, nous pourrions croire comme le Père Noël quel'hypothèse est validée par sa confirmation expérimentale.

Pourtant selon Pascal il n'en est rien.

L'expérience nepeut jamais confirmer une hypothèse. _Par exemple si l'on trouve une pierre chaude et que l'on cherche la cause de sa chaleur, on peut bien faire desprésuppositions, mais elles ne peuvent être validées.

Ainsi on pourrait imputer la chaleur de la pierre au fait « qu'ellea été mise dans un grand feu dont on l'a retirée depuis peu de temps ».

Le raisonnement basée sur l'expériencedéduit du constat de la chaleur la validité de son hypothèse.

Cependant ce raisonnement ne serait valide que « sile feu fut l'unique cause de chaleur ».

Or il existe d'autres causes possibles de la chaleur comme le soleil ou lafriction: l'utilisation d'une loupe réfractant les rayonnements du soleil peut en effet produire de la chaleur jusqu'àbrûler certaines matières inflammables; la friction désigne le frottement qui peut par exemple avec des silex, produiredes étincelles.

Bref puisque la chaleur de la pierre peut aussi bien procéder du soleil que de la friction, il estimpossible de valider l'hypothèse à partir de l'expérience : « sa conséquence serait sans force ».

La raison en estdans l'équivocité des causes et des effets : « comme une même cause peut produire plusieurs effets différents, unmême effet peut être produit par plusieurs causes différentes » _ L'expérience est une condition insuffisante pour confirmer la validité d'une hypothèse.

Faut-il alors en déduire àl'inutilité de l'expérience en science ? En vérité, si l'expérience ne permet pas de confirmer une hypothèse, elle estsurtout utile aux sciences en tant qu'elle met en échec une hypothèse.

Ainsi comme l'écrit pascal « au lieu que s'ils'ensuit quelque chose de contraire à un seul des phénomènes, cela suffit pour assurer de sa fausseté ».

Un faitexpérimental déduit d'une hypothèse ne déduit d'une hypothèse ne prouve pas la vérité de cette dernière s'il seproduit comme prévu; mais s'il ne se produit pas ou qu'il la contredit, on a alors la preuve que l'hypothèse estfausse.

Ainsi L'expérience n'a pas pour fonction de confirmer une hypothèse, mais seulement de l'infirmer.L'expérience n'est décisive pour la science que lorsque le donné phénoménal résiste aux hypothèses et démontre parlà même leur insuffisance. Conclusion : A quelles conditions peut-on déclarer une hypothèse valide ? Une hypothèse ne peut être validée par l'expériencequi aurait plutôt pour fonction de l'infirmer : en ce sens une hypothèse valide est une hypothèse qui n'a pas encoreété réfutée par la méthode expérimentale.

Ainsi une hypothèse ne peut être déclarée vraie que si l'on conclut unabsurde manifeste de sa négation. »

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