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Comment l'art peut-il nous défaire de l'opinion, des clichés ?

Publié le 22/02/2012

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Gilles Deleuze, dans Différence et répétition va jusqu'à arguer que la condition d'une authentique création est l'annihilation de l'image d'une pensée qui se présuppose elle même. Or, cette pensée qui « se présuppose », c'est celle-là même qui est à l'origine du cliché, de la représentation d'habitude, des images préconçues, produits de l'intelligence fabricatrice, et qui nous maintiennent dans un faux savoir, en somme carcéral. Nous sommes pris dans un environnement culturel et social, nous avons un vécu qui conditionne nos jugements et nous pousse à formuler des opinions ; au fond, nous ne savons apprécier une oeuvre qu'en émettant des critiques. Mais il ne s'agit pas de « comprendre » une oeuvre d'art, auquel cas il y faudrait un « décodeur », c'est-à-dire des formes, des images, des représentations, et donc forcément des clichés, sans lesquels nous ne pourrions l'appréhender.

« Enfin selon Deleuze, nous pouvons substituer à la simple critique, l'évaluation : l'acte de l'évaluation permet deréinventer tout le passé, d'omettre toute forme de détermination initialement introduite par les croyances.

Enévaluant les différences, l'artiste crée de nouvelles possibilités de pensée et d'existence.

Cette « synthèsedisjonctive » fait exploser les clichés, les systèmes identitaires, les formes organiques imposées par la société, etsuppose une nouvelle articulation qui redonne une valeur nouvelle, différente à son objet. Créer, c'est donc effectuer un processus de différenciation qui conteste les identités fixées.

L'oeuvre d'art sedébarrasse de toute règle générale (la notion du Beau n'est plus ce qui régit le monde artistique, n'est plus le critèreuniversel de qualité esthétique) pour recréer l'ensemble du monde par une essence singulière.

Chaque artiste estcomme une Monade, un point de vue singulier qui fait renaître le monde en réalisant une synthèse des élémentshétérogènes qu'il rencontre au cours de son acte de création (et par conséquent, une monade sans l'idéeleibnizienne d'une « harmonie préétablie »).

L'art ne se reconnaît plus dans ce qui a été fait jusque là.

Le créateurne découvre ses ressemblances avec les autres créateurs qu'en créant lui-même, et à travers des différences ;c'est dès lors seulement qu'il s'avère capable d'évaluer, de comparer, en dehors de tout cliché. Nous l'avons vu, l'art dans son aspect et ses imprévus extérieurs, a bien ce pouvoir de remise en question desclichés préétablis.

Mais bien plus, il semble que par l'art, nous puissions aussi entrer en nous-mêmes : l'art auraitcette capacité de défaire nos opinions, et de faire ainsi exploser notre propre identité. L'art est constitué de sensations, d'une somme d'affects et de percepts qui a une consistance pré-objective et qui,par conséquent, se passe de tout vécu subjectif, c'est-à-dire de toute opinion.

Il n'y a pas un sujet déjà donné quiviendrait critiquer selon des modèles, des modes de pensée et des critères bien définis.

En lieu et place de l'opinion(comme spéculation infondée sur la réalité), un « composé de percepts, d'affects et de bloc de sensations tiennentlieu de langage » (Deleuze).

L'oeuvre indique qu'il n'y a plus lieu de rechercher à être en accord avec unequelconque vérité, ce à quoi prétendait l'opinion.

Il y a une organisation immanente à l'oeuvre d'art ; l'art opère unecontre effectuation du réel, et déjoue ainsi toutes les fausses perceptions, les émotions stéréotypées.

Il n'y a plusd'imagination, d'anticipation possible ; plus de vision spatiale de l'oeuvre.

C'est ainsi que le spectateur entre dans letableau, et ressent les affects suscités par la peinture ; il n'y a plus de narration, de jugement ; seule la sensationpersiste, et aucune mise à distance, aucune prise de recul n'est possible : le spectateur est pris dans l'ensembledes forces de l'oeuvre ; et l'objet principal de l'oeuvre est délivré de toute spéculation, de toute opinion portée surlui.

La notion « d'art haptique », chez Deleuze, renverse ainsi la préséance de la vue, comme représentation du pré-ordonné ; il instaure un espace tactile qui permet l'effondrement des formes ; de sorte à se trouver directement encontact avec l'oeuvre, et ainsi pouvoir appréhender l'objet artistique lui-même dans toute sa singularité, sans aucunprésupposé. Ainsi dans la peinture de Francis Bacon, il y a destruction de toute identité organique.

« l'organisme n'est pas la vie,il l'emprisonne ».

Bacon peint des corps sans organes, « le fait intensif du corps ».

Il effectue une destruction totalede toute notion de forme : les corps subissent des déformations, et s'expriment à travers un système de forces etd'agencement des affects corporels.

La notion de « corps sans organes » agit comme une libération des codescorporels ; le corps n'est plus organisé, il y a ainsi destruction totale de toutes les illusions liées à l'art pensé commereprésentatif. Il s'agit de retrouver un corps a-formel, et ainsi revaloriser les forces vitales qui traversent notre corps et parlesquelles nous nous singularisons, en nous libérant de tout cliché.

Déformer le corps permet de cesser d'adhérer auxcodes de la visagéité pour Deleuze, et de retrouver une dynamique d'individuation, tout en se libérant des opinionsrétrogrades. De plus, chez Bacon, il y a une dissolution des formes par la couleur ; le travail des aplats, de la figure, instaure unrythme, et un ensemble de forces nouvelles.

Par la destruction des formes, l'on plonge dans le chaos pour mieuxfaire germer un nouvel agencement.

Pour Deleuze, ces déformations permettent de plonger dans un « chaosmos »,un chaos qui défait les identités. Dans la peinture de Bacon, la Figure est ainsi isolée afin de conjurer le caractère figuratif, illustratif, narratif qu'elleaurait si elle ne l'était pas.

La peinture ne représente pas, n'a pas d'histoire à raconter (Francis Bacon - Logique dela sensation).

Elle doit arracher la Figure au figuratif, afin de créer un flou, qui consiste à « détruire la netteté par lanetteté ».

Les « acrobaties de la chair » de la peinture de Bacon créent une zone d'indiscernabilité entre l'homme etl'animal ; toute identité, y compris celle qui paraissait la plus incontestable, c'est-à-dire l'identité humaine, estdissoute. L' « heccéité » deleuzienne, induite par l'oeuvre d'art, est bien cette individuation intensive, événementielle ; cetteindividualité sans forme.

Créer, ce n'est pas donner forme à une matière, ou donner raison à un cliché, ou encorecontredire ou infirmer une opinion ; c'est bien dresser des heccéités en tant qu'intensités dénuées de toute forme. Il n'y a donc pas de forme immuable de l'art, pas d'essence ou de forme au sens platonicien; a contrario la créationest toujours liée à un nom propre, un individu, à la singularité d'un style.

Et par là même, l'Aïon est surgissementd'un événement, mouvement singulier qui traduit un renouveau vital. Cézanne voulait ainsi peindre la virginité du monde, une sorte de présentation d'un monde pré-objectif, dénué detoute re-présentation, pour saisir ainsi la puissance vitale des choses.

Il s'agit de « rendre sensible » plutôt que de. »

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