CONJECTURES SUR LES DEBUTS DE L’HISTOIRE HUMAINE, KANT

Juste après l'instinct de nutrition, par lequel la nature conserve chaque individu, le plus important est l'instinct sexuel grâce auquel la nature pourvoit à la conservation de chaque espèce. Or la raison, une fois éveillée, ne tarda pas non plus à manifester, ici aussi, son influence. L'homme ne tarda pas à comprendre que l'excitation sexuelle, qui chez les animaux repose seulement sur une impulsion passagère et le plus souvent périodique, était susceptible chez lui d'être prolongée et même augmentée sous l'effet de l'imagination qui exerce son action, avec d'autant plus de mesure sans doute, mais aussi de façon d'autant plus durable et d'autant plus uniforme, que l'objet est davantage soustrait aux sens; et il comprit également que cela préservait de la satiété qu'entraîne avec soi la satisfaction d'un désir purement animal. La feuille de figuier fut donc le résultat d'une manifestation de la raison bien plus importante que celle dont elle avait fait preuve lors de la première étape de son développement. Car rendre une inclination plus intense et plus durable, du fait que l'on soustrait son objet au sens, manifeste déjà la conscience d'une domination de la raison à l'égard des impulsions, et non plus seulement, comme à la première étape, un pouvoir de les servir à plus ou moins grande échelle. Le refus fut l'artifice qui conduisit l'homme des attraits simplement sensuels aux attraits idéaux, et, peu à peu, du désir simplement animal à l'amour (...). KANT

Le texte de Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle, soulève le problème de savoir d’où nos désirs viennent et en quoi l’homme est un être à part dans la nature. Effectivement, cette question se pose étant donnée la multiplicité des désirs de l’homme, contrairement à l’animal. La thèse de Kant est que les instincts deviennent des désirs par le développement de la raison, qui distingue l’homme des autres espèces. D’une certaine manière, l’homme possède un pouvoir presque non naturel. Ce texte met donc en relation le désir et la raison. Kant affirme la supériorité de l’homme, qui sait par la raison sortir de la bestialité et transcender le simple besoin vers la naissance d’un désir. Dans un premier temps, Kant décrit les instincts qui viennent premièrement chez l’homme (l.1 à 3). Puis il évoque l’influence de la raison sur l’instinct sexuel et oppose l’excitation sexuelle animale à l’excitation sexuelle humaine afin de montrer le passage de l’instinct sexuel au désir sexuel (l.3 à 11). Kant montre ensuite que l’indépendance de l’homme par rapport à la nature a une conséquence positive sur ses inclinations (l.11 à 17). Enfin, il explique le refus d’excitations purement sensuelles conduit à des excitations supérieures et à la recherche du beau (l. 17 à 21). L’enjeu du texte est donc de déterminer le pouvoir de la raison sur l’instinct et la situation particulière de l’homme dans la nature.