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Dans ses Conjectures sur le début de l'histoire humaine, publiées en 1786, Kant s'efforce d'interpréter d'une manière rationnelle les textes sacrés pour montrer qu'en définitive l'homme est seul responsable de son destin et qu'il ne faut pas accuser la Providence.

Publié le 22/10/2012

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histoire
Dans ses Conjectures sur le début de l'histoire humaine, publiées en 1786, Kant s'efforce d'interpréter d'une manière rationnelle les textes sacrés pour montrer qu'en définitive l'homme est seul responsable de son destin et qu'il ne faut pas accuser la Providence. 57. Les débuts de l'histoire humaine. Sans doute est-il permis dans le développement d'un exposé historique de placer çà et là des conjectures pour combler les lacunes de nos documents; car un premier fait considéré comme cause lointaine, puis un second fait considéré comme effet du premier peuvent nous guider avec assez de certitude dans la découverte des causes intermédiaires, qui rendent l'intervalle intelligible. Mais, si l'on se mettait à dresser de toutes pièces une histoire sur des conjectures, on ne ferait guère autre chose, semble-t-il, qu'ébaucher un roman. Et d'ailleurs une telle oeuvre ne mériterait même pas le titre d'Histoire conjecturale, mais tout au plus celui de pure fiction romanesque. Néanmoins, ce que, dans le cours de l'histoire des actions humaines, on n'a pas le droit d'oser faire, on peut bien tenter de l'établir par des conjectures pour les premiers débuts de cette histoire, dans la mesure où c'est de l'oeuvre de la nature qu'il s'agit alors. Car on n'a pas le droit de les tirer de sa fantaisie, mais on peut les déduire de l'expérience, en postulant que la nature à ses premiers débuts n'a été ni meilleure ni pire que nous la trouvons aujourd'hui, postulat qui est conforme à l'analogie de la nature, et qui n'a rien de téméraire. Une histoire du développement de la liberté à partir des dispositions primitives inhérentes à la nature de l'homme est donc tout autre chose que l'histoire du progrès de la liberté, histoire qu'on ne peut fonder que sur des documents. Cependant des conjectures ne doivent pas élever trop de prétentions à l'assentissement d'autrui, mais tout au plus s'annoncer comme un exercice concédé à l'imagination accompagnée de la raison, pour le délassement et la santé de l'esprit, et non comme une chose vraiment sérieuse. Aussi ne peuvent-elles pas se mesurer non plus avec le genre d'histoire qui traite de ce même sujet — histoire établie et accréditée en tant que documentation réelle, et dont le contrôle repose sur de tout autres arguments que la simple philosophie de la nature. Précisément donc, puisque je me lance ici simplement dans un voyage de plaisance, puis-je demander une faveur, celle d'utiliser comme carte un texte sacré et de m'imaginer en même temps que mon itinéraire, que je parcours sur les ailes de l'imagination, mais non sans garder un fil conducteur relié par la raison à l'expérience, retrouve exactement le même chemin déjà tracé dans ce texte d'un point de vue historique. Le lecteur consultera les pages de ce texte (Genèse 1, chap. et vérifiera pas à pas si le chemin où s'engage la philosophie en suivant des concepts s'accorde avec celui que l'histoire indique. Si on ne veut pas se perdre en de pures conjectures, il faut prendre pour point de départ ce que la raison humaine ne saurait déduire d'aucune cause naturelle antécédente, c'est-à-dire l'existence de l'homme, et encore faut-il le considérer à son complet développement, car il doit se passer des soins maternels; nous admettons un couple, afin que puisse se propager l'espèce; mais un couple unique, pour éviter que la guerre n'éclate immédiatement entre hommes vivant en voisinage, mais étrangers les uns aux autres, et aussi pour ne pas rejeter sur la nature la responsabilité d'avoir par la diversité des souches négligé l'organisation la plus parfaite du point de vue de la sociabilité, considérée comme fin essentielle de la destinée humaine; car l'unité de famille d'où devaient descendre tous les hommes fut sans doute le meilleur agencement en vue de cette fin. Je situe ce couple à l'abri des attaques des animaux de proie, en un lieu où la nature pourvoit abondamment à sa nourriture, c'est-à-dire dans une sorte de jardin, sous un climat d'une douceur toujours égale. Et qui plus est, je le considère seulement après qu'il a fait un pas considérable dans l'art de se servir de ses forces, et par conséquent je ne pars pas de sa nature à l'état absolument brut; car le lecteur trouverait aisément trop de conjectures et trop peu de vraisemblance, si j'entreprenais de combler cette lacune qui embrasse probablement un très grand laps de temps. Le premier homme pouvait donc se tenir debout et marcher; il savait parler (Cf. Gen. Ch. u, V. 20), je dis même s'exprimer, c'est-à-dire parler en enchaînant des concepts (V. 23), donc penser. Autant d'aptitudes techniques qu'il a dû acquérir entièrement par lui-même (car, si elles lui étaient innées, elles seraient aussi héréditaires, ce qui est contredit par l'expérience); et cependant j'admets dès maintenant qu'il les possède pour ne faire entrer en considération dans sa conduite que le développement de l'élément moral, qui suppose nécessairement cette aptitude technique. L'instinct, cette voix de Dieu, à laquelle tous les animaux obéissent, devait seul d'abord conduire notre nouvelle créature. Il lui permettait certaines choses pour sa nourriture, lui en interdisant certaines autres (III. 2. 3). [...] Tant que l'homme inexpérimenté obéit à cet appel de la nature, il s'en trouva bien. Mais la raison commença bientôt à s'éveiller : elle établit un parallèle entre les impressions éprouvées et les données d'un autre sens indépendant de l'instinct, — peut-être le sens de la vue —, décelant une analogie entre ces données et les impressions antérieures; elle chercha à étendre ses connaissances relatives aux éléments au-delà des bornes de l'instinct (III. 6). Éventuellement, cette tentative aurait pu assez bien réussir, même sans suivre l'instinct, à condition néanmoins de ne pas le contredire. Or, une propriété de la raison consiste à pouvoir, avec l'appui de l'imagination, créer artificiellement des désirs, non seulement sans fondements établis sur un instinct naturel, mais même en opposition avec lui; ces désirs, au début, favorisent peu à peu l'éclosion de tout un essaim de penchants superflus, et qui plus est, contraires à la nature, sous l'appellation de « sensualité «. L'occasion de renier l'instinct de la nature n'a eu en soi peut-être que peu d'importance, mais le succès de cette première tentative, le fait de s'être rendu compte que sa raison avait le pouvoir de franchir les bornes dans lesquelles sont maintenus tous les animaux, fut chez l'homme capital et décisif pour la conduite de sa vie. Aussi, à supposer que la simple vue d'un fruit par analogie avec le souvenir d'autres fruits agréables goûtés antérieurement eût été l'occasion de la tentation; à supposer qu'à cela vînt encore s'ajouter l'exemple donné par un animal, qui par sa nature trouvait agrément à consommer un tel fruit, nocif en revanche pour l'homme, et que chez ce dernier par conséquent, un instinct naturel ait agi dans le sens de la répulsion, cela pouvait déjà fournir à la raison la première occasion de chicaner avec la voix de la nature (II. I), et, malgré l'opposition de cette nature, permettre la première tentative d'un libre choix; tentative qui, du fait qu'elle était la première, ne répondit vraisemblablement pas à ce qu'en attendait l'homme. Et on peut bien minimiser autant qu'il plaira l'étendue du dommage qui en résulta : les yeux de l'homme s'ouvrirent néanmoins dans cette épreuve (III. 7). Il découvrit en lui un pouvoir de se choisir à lui-même sa propre conduite,
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« 117 Les débuts de l'histoire humaine puisque je me lance ici simplement dans un voyage de plaisance, puis-je demander une faveur, celle d'utiliser comme carte un texte sacré et de rn 'imaginer en même temps que mon itinéraire, que je parcours sur les ailes de 1 'imagination, mais non sans garder un fil conducteur relié par la raison à 1 'expérience, retrouve exactement le même chemin déjà tracé dans ce texte d'un point de vue historique.

Le lecteur consultera les pages de ce texte (Genèse 1, chap.

n-v1), et vérifiera pas à pas si le chemin où s'engage la philosophie en suivant des concepts s'accorde avec celui que l'histoire indique.

Si on ne veut pas se perdre en de pures conjectures, il faut prendre pour point de départ ce que la raison humaine ne saurait déduire d'aucune cause naturelle antécédente, c'est-à-dire l'exis­ tence de l'homme, et encore faut-il le considérer à son complet développement, car il doit se passer des soins maternels; nous admettons un couple, afin que puisse se propager l'espèce; mais un couple unique, pour éviter que la guerre n'éclate immédia­ tement entre hommes vivant en voisinage, mais étrangers les uns aux autres, et aussi pour ne pas rejeter sur la nature la responsa­ bilité d'avoir par la diversité des souches négligé 1 'organisation la plus parfaite du point de vue de la sociabilité, considérée comme fin essentielle de la destinée humaine; car 1 'unité de famille d'où devaient descendre tous les hommes fut sans doute le meil­ leur agencement en vue de cette fin.

Je situe ce couple à l'abri des attaques des animaux de proie, en un lieu où la nature pourvoit abondamment à sa nourriture, c'est-à-dire dans une sorte de jardin, sous un climat d'une douceur toujours égale.

Et qui plus est, je le considère seulement après qu'il a fait un pas considérable dans 1 'art de se servir de ses forces, et par conséquent je ne pars pas de sa nature à 1 'état absolument brut; car le lecteur trouverait aisément trop de conjectures et trop peu de vraisem­ blance, si j'entreprenais de combler cette lacune qui embrasse probablement un très grand laps de temps.

Le premier homme pouvait donc se tenir debout et marcher; il savait parler (Cf.

Gen.

Ch.

II, V.

20), je dis même s'exprimer, c'est-à-dire parler en enchaînant des concepts (V.' 23), donc penser.

Autant d'apti­ tudes techniques qu'il a dû acquérir entièrement par lui-même (car, si elles lui étaient innées, elles seraient aussi héréditaires, ce qui est contredit par l'expérience); et cependant j'admets dès maintenant qu'illes possède pour ne faire entrer en considé­ ration dans sa conduite que le développement de 1 'élément. »

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