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Dans quelle mesure peut-on parler de « tragi-comédie » à propos de RODOGUNE ou de NICOMEDE ?

Publié le 02/04/2009

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Les détracteurs de Corneille se sont plu à souligner dans son œuvre tous les vers, tous les mots, toutes les situations qui leur paraissaient s'écarter du ton de la tragédie proprement dite et se rapprocher du ton de la comédie. Ils l'accusaient d'avoir cédé au goût espagnol ainsi exprimé par Lope de Vega (te nouvel Art de faire des Comédies) : « Ces alternatives plaisent; on ne veut voir d'autres pièces que celles qui sont demi-sérieuses, demi-plaisantes. « Influence espagnole ou non, ces alternatives étaient effectivement à la mode du temps de Corneille et l'on comprend que les succès obtenus par Rofrou et par Scudéry l'aient poussé sur le chemin de la tragi-comédie, d'autant plus que son propre goût l'y poussait déjà.

Cependant, de Médée à Polyeucte, l'histoire du théâtre cornélien nous montre le poète s'élevant vers la tragédie et se dégageant peu à peu de la tragi-comédie. On peut se demander alors dans quelle mesure il est vrai que Rodogune ou Nicomède témoignent d'un retour du poète à son goût de jeunesse pour la tragi-comédie.

« La façon particulière de concevoir l'action ne saurait cependant suffire à définir la tragi-comédie ; elle est aussicaractérisée par une conception particulière des personnages qu'elle met en scène, dont le ton comme le caractèresont marqués aussi par l'ambiguïté qui constitue le sceau de ce genre hybride. Le ton est marqué, en premier lieu, par une certaine familiarité, qui ramène les personnages à des dimensions trèsordinaires.

Ici, encore c'est plus dans Nicomède que dans Rodogune que l'on trouvera des exemples, tels ces vers deLaodice, conseillant la prudence à Nicomède (I, 1, 91-92) : « Quelque haute valeur que puisse être la vôtre, Vous n'avez en ces lieux que deux bras comme un autre » ou cette bourrade de Prusias : « Vous pouviez vous passer de mes embrassements, Me faire par écrit de tels remerciements » (II, 2, 473-4).

Maisce qui caractérise encore la tragi-comédie c'est l'emploi de l'ironie, dont on sait comme elle joue un rôle essentiel dans Nicomède.

C'est Nicomède par exemple rappelant à Attale son « titre glorieux de citoyen romain », ouévoquant les amours élevées que Rome lui réserve : « Songez qu'il faut du moins, pour toucher votre cœur, La filled'un tribun ou celle d'un préteur » (I, 2, v.

173-174). Enfin, le ton de la tragi-comédie fait sa place à la galanterie et Corneille n'a pas manqué de prêter parfois à cetteingénue tragique qu'est Rodogune le langage de la galanterie contemporaine, ses fades madrigaux, ses formulesalambiquées, ses périphrases convenues ; cette princesse des Parthes semble avoir fréquenté l'Hôtel de Rambouillet.Aucun des deux frères ne s'interdit non plus les madrigaux galants ni les dissertations romanesques et froides. En ce qui concerne les caractères, on reconnaît la marque de la tragi-comédie au fait qu'à côté de personnagespurement héroïques, il s'en trouve d'autres qui manifestent une certaine faiblesse bourgeoise, et l'on sait queVoltaire rapprochait Arsinoë et Prusias du couple Béline-Argan du Malade Imaginaire. Il y a quelque rapport en effet entre Argan et ce Prusias qui s'extasie, avec une sorte de dévotion conjugale, surtout ce que dit et ce que fait sa femme ; il y en a beaucoup entre Béline et Arsinoë, lorsque, par exemple, dans lascène II de l'acte IV, elle se tire d'embarras en s'attendrissant à propos et- remplace les arguments par des larmes, comme Béline dans la scène 9 de l'acte I.

/La bassesse de ce roi bourgeois qu'est Prusias s'exprime dans le ton piteux de ses craintes : « Juge, Araspe, où j'ensuis, s'il veut tout ce qu'il peut.

» « Ah ! Ne me brouillez point avec la République » (430 et 564), ainsi que dans ses tentatives maladroites pour apaiser Flaminius : « Seigneur, vous pardonnez aux chaleurs de son âge ; Le temps et la raison pourront le rendre sage » (635-636)Flaminius lui-même n'est pas exempt de ce genre de bassesse, dans la mesure où il n'est pas seulement l'interprèteimpersonnel de la politique du Sénat, mais- est homme et a ses rancunes : c'est son père qu'il venge en poursuivanttour à tour Annibal qui l'a tué et Nicomède qui réveille le souvenir néfaste du lac Trasimène... A côté des traits de bassesse de certains caractères, on relève aussi des traits romanesques, qui appartiennent à latragi-comédie, même dans le caractère principal : ainsi la jactance de Nicomède, sa hardiesse à se vanter, qui sedéploient en particulier dans la scène 2 de l'acte II.

Impatient, assez hautain, Nicomède ne résiste pas fou-jours auplaisir de braver ou de railler ceux qu'il méprise ou qu'il hait ; çà et là, il y met une insistance qui confine au mauvaisgoût.

Il s'offre ce plaisir délicat en face d'Arsinoë (I, 4) et le prolonge avec une sorte de volupté ; il en vient même,emporté par cette fièvre de bravade, à ne pas s'apercevoir, lui qui se joue des autres, qu'il est joué par eux.Ailleurs, (II, 3), tandis qu'il ne ménage guère Flaminius, il simule le respect à l'égard de Prusias, et joue la comédiede l'amour filial comme Prusias celle de l'amour paternel. III.

- PLACE DE LA TRAGÉDIE PROPREMENT DITE Il est facile, évidemment, de détacher, comme nous venons de le faire, des éléments de tragi-comédie, et ils sontfrappants dans la mesure où ils ont été enlevés à leur contexte.

Mais en réalité, ils sont fondus dans tout unensemble, dont l'atmosphère générale est bien celle de la pure tragédie.

Point d'antithèses heurtées entre leséléments de tragi-comédie et les éléments de tragédie, mais des contrastes, dramatiques au plus haut degré.

Leséléments de tragi-comédie sont si bien et si étroitement mêlés au contexte tragique qu'ils contribuent à lui donnertoute sa puissance et toute sa portée. Nous retrouvons d'abord le rôle de contrepoint joué par l'amour dans les plus grandes tragédies de Corneille.

Le C'id,Horace, Cinna, Polyeucte, prennent foute leur signification parce que l'exaltation héroïque se déploie sur un fondsentimental.

Sans l'amour, par exemple, Pau-.line n'aurait plus rien à sacrifier, ni Polyeucte plus rien à craindre.

Queserait Rodogune sans l'amour des deux princes ? Le nœud du drame est précisément dans cette passion.

L'amour iciest bien l'un des ressorts essentiels.

D'autre part, si l'un des caractères de la tragédie est d'unir l'intrigue d'amour audestin des Empires, c'est justement ce que nous trouvons dans Rodogune et dans Nicomède.

Au fond, c'est laperspective de la réunion des deux couronnes qui, dans Nicomède, donne le plus d'ombrage aux Romains. La politique et \'histoire tiennent par ailleurs, un rôle essentiel dans la tragédie.

C'est encore le cas dans Nicomèdeet dans Rodogune.

Dans Nicomède, en particulier, Corneille brosse le tableau de la politique romaine en Orient.. »

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