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Discours sur l'inégalité, préface.

Publié le 22/03/2015

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La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines me paraît être celle de l'homme, et j'ose dire que la seule inscription du temple de Delphes contenait un précepte plus important et plus difficile que tous les gros livres des moralistes. Aussi je regarde le sujet de ce discours comme une des questions les plus intéressantes que le philosophie puisse proposer, et malheureusement pour nous comme une des plus épineuses que les philosophes puissent résoudre. Car comment connaître la source de l'inégalité parmi les hommes si l'on ne commence par les connaître eux-mémes ? et comment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que formé la nature à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire dans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de son propre fond d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont ajouté ou changé à son état primitif ? Semblable à la statue de Glaucus, que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à un dieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude de connaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps et par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d'apparence au point d'être presque méconnaissable ; et l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agissant toujours par des principes certains et invariables, au lieu de cette céleste et majestueuse simplicité dont son auteur l'avait empreinte, que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner et de l'entendement en délire.

Discours sur l'inégalité, préface.

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« Textes commentés 35 Rousseau, grand écrivain rhéteur, commence ce texte par un usteron-proteron (expression grecque signifiant qu'on inverse le début et la fin) et le conclut par un chiasme.

Reléguée à la fin, la question primordiale est réduite à la portion congrue.

C'est dire que la question de l'académie de Dijon(« Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? ») est mal posée.

La vraie question n'est pas celle de la loi naturelle (notion que Rousseau récuse), mais la question anthropologique: «Qu'est-ce que l'homme ? ».

Rousseau la ramène justement à la devise delphique : « Connais-toi toi-même ».

Ce «précepte » n'est pas une invitation à une introspection psychologique, mais signifie : « Qu'est-ce que l'homme, quels sont son pouvoir, sa place et sa destinée dans l'ordre des choses ? » Cette question qui préside à la tragédie de Sophocle Œdipe roi aboutit, pour les Anciens, à replacer l'homme dans l'ordre cosmique, c'est-à-dire finalement signifie:« Homme, sache que tu es mortel».

Rousseau remet les questions à leur place : avant de se demander si l'inégalité est ou non naturelle, il faut se demander ce qu'on entend par « nature » et par «nature de l'homme».

Or, et c'est le grand principe de Rousseau dans sa phi­ losophie, il n'est pas sûr qu'on puisse parler d'une nature de l'homme.

La « nature humaine » peut-elle être assimilée aux traits de l'homme que nous avons sous les yeux ? Peut-être notre vision de l'homme, notre anthropologie, notre humanisme sont-ils idéologiques, font-ils trop de crédit à l'image de l'homme actuel, de la même manière que nous avons une fâcheuse propension à confondre l'homme en soi avec nos semblables, nos proches, nos compa­ triotes, nos contemporains (ce que le grand ethnographe Claude Lévi-Strauss a nommé « ethnocentrisme » ).

L'homme se réduit-il au Français moyen de l'an 2000 ou au « petit-bourgeois motorisé du xxe siècle » (Hermann Broch) ? C'est là que Rousseau introduit la coupure entre la nature et l'histoire, entre l'essence et le devenir, de la même manière que Platon, son maître, a distingué l'intelligible et le sensible : cette distinction est symbolisée par l'allusion à un passage de la République (livre X, 611 b-d) sur la compa­ raison de la dépravation de l'âme humaine avec la statue du dieu marin Glaucus défigurée par les dépôts d'algues et les incrustations de coquillages.

Les notions clefs sont alors celles que recouvrent les mots de changement : « altérée », « ajouté ou changé » et « démêler ».

Le texte s'achève sur un chiasme, ou un double oxymoron : « la passion (2) qui croit raisonner ( 1) et l'entendement (1 bis) en délire (2 bis)» sont opposés pour ainsi dire en miroir (chiasme: 2-1 / lbis-2bis), tandis que !'oxymoron des notions contradictoires (raison et entendement sont devenus passion et délire).. »

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