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Est-il paradoxal de croire en la science?

Publié le 22/03/2005

Extrait du document

I. Une croyance athée

* Le savoir s'oppose à la superstition.Croire en la science, c'est d'abord croire en la rationalité, en la force universelle des démonstrations et des preuves rationnelles. Or les religions comportent la plupart du temps des éléments irrationnels et une référence au surnaturel (par exemple, les miracles) que le rationaliste désigne souvent comme de la superstition. La science peut-elle être un objet de superstition?

* Contre la peur de l'au-delà.Dans le De natura rerum, Lucrèce fait l'éloge de son maître Épicure dont la théorie atomiste propose une explication de l'univers qui rend superflue la représentation de l'au-delà et du Jugement dernier, qui sont à l'origine de la peur de la mort. Une des premières cause d'angoisse chez les humains est, selon Epicure, l'inquiétude religieuse et la superstition. Bien des hommes vivent dans la crainte des dieux. Ils ont peur que leur conduite, leurs désirs ne plaisent pas aux dieux, que ceux-ci jugent leurs actes immoraux ou offensants envers leurs lois et ne se décident à punir sévèrement les pauvres fauteurs, en les écrasant de malheur dès cette vie ou en les châtiant après cette vie.

Le libellé du sujet est paradoxal : on voit bien comment la science peut critiquer la vision religieuse du monde, mais comment peut-elle devenir une nouvelle forme de religion ? Il importe de bien prêter attention aux termes choisis : que signifie exactement « croire en la science « ? Quelle est la nuance entre « croire en la science « et « pratiquer une science « ? On ne peut par ailleurs saisir toute la portée du sujet si l'on ne voit pas qu'il se réfère quasi explicitement au mouvement du positivisme et du scientisme.

« « La philosophie [ici synonyme de science] est écrite dans ce très vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux –je veuxdire l'univers- mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères danslesquels il est écrit.

Or il est écrit en langage mathématique et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figuresgéométriques, sans lesquels il est absolument impossible d'en comprendre un mot, sans lesquels on erre vraiment dans un labyrintheobscur .

» Dans notre citation, la nature est comparée à un livre, que la science a pour but de déchiffrer.

Mais l'alphabet qui permettrait de lire cetouvrage, d'arracher à l'univers ses secrets, ce sont les mathématiques.

Faire de la physique, saisir les lois de la nature, c'est d'abordcalculer, faire des mathématiques.

Galilée est le premier à pratiquer la physique telle que nous la connaissons: celle où les lois de la nature sont écrites sous forme d'équations mathématiques, et où les paramètres se mesurent. Pour un homme du vingtième siècle cette imbrication de la physique et des mathématiques va de soi, comme il semble évident que nousdevons mesurer et calculer les phénomènes observés.

Pourtant, c'est une véritable révolution qui se manifeste dans ces lignes : ellessignent la fin d'une tradition d'au moins vingt et un siècle.

La tradition inaugurée par Aristote , et que Saint Thomas a christianisé au treizième siècle.

Pour comprendre la portée de cette révolution qui manifeste et renforce une véritable crise de civilisation, il faut d'abordexposer la vision du monde et des sciences qui prédominait jusqu'à Galilée . Koyré a magnifiquement résumé le changement du monde qui s'opère entre le XVI ième et le XVII ième : on passe du « monde clos à l'univers infini ». Pour les anciens, le monde était fini, comparable à une sphère, dont le centre était la Terre, immobile au centre du monde, et lacirconférence les étoiles fixes.

L'espace est non seulement fini, clos, achevé, mais parfaitement ordonné. De plus, les anciens séparaient ce monde en deux zones : le supralunaire (au-dessus de la Lune), et le sublunaire (au-dessous de laLune).

Ils croyaient que le monde supralunaire était parfait, immuable, car on observe à l'oeil nu que le cours des astres est régulier, ettoujours identique, et l'un ne peut voir aucun accident, aucun changement à la surface des étoiles.

Par contre, sur Terre, tout change, toutse modifie constamment : les choses apparaissent, se transforment et meurent.

Tout est dans un perpétuel changement.

Notre mondeétait considéré comme celui de la génération et de la corruption, par opposition à celui des astres. C'est ainsi qu'on en arrivait à penser une hiérarchie et une imitation d'un monde à un autre.

Notre monde imparfait et changeant tentaitd'imiter le caractère incorruptible et parfait du monde des étoiles.

Par exemple, si l'individu doit mourir, en se reproduisant il perpétuel'espèce.

L'individu meurt mais l'espèce est immortelle.

Se reproduire revient à tenter d'imiter, autant qu'il se possible, l'immortalité dumonde supralunaire. On a donc un monde orienté de façon absolue.

Non seulement la Terre est le centre du monde, mais chaque chose a sa place naturelle,chaque élément son lieu naturel.

Ainsi la pierre est attirée par la terre, et y retombera toujours si on la lance, ainsi le feu « monte » vers son lieu naturel, l'éther.

Cette vision du mode est celle d'un cosmos, clos, achevé, hiérarchisé.

Chaque chose, dont l'homme, y a sa placeet sa fonction. Enfin, cette vision, qui est celle que les contemporains de Galilée reçoivent d' Aristote , interdit que l'on fasse de la physique mathématique.

La physique s'occupe des corps concrets & naturels.

La mathématique s'occupe d'objets abstraits.

On ne trouve pas surTerre d'objets parfaitement sphériques comme ceux qu'étudient les mathématiques, on ne trouve pas dans la nature où tout est en troisdimensions de cercle censé se situer dans un espace à deux dimensions, puisque le cercle mathématique n'a pas d'épaisseur. Avec les découvertes de Galilée , tout change.

Galilée est le premier à avoir l'idée de pointer la lunette récemment découverte sur le ciel.

Il découvre des tâches solaires, des volcans et des cratères lunaires, et montre que la voie lactée est faite de milliers d'étoiles.

C'est doncque le monde supralunaire n'est pas parfait, immuable, incorruptible.

Ces cratères et ces tâches sont le signe qu'il y a changement,génération & corruption partout dans l'univers. Galilée est le premier à formuler correctement la loi de la chute des corps, à calculer le rapport de la distance parcourue par un objet qui tombe, le temps de la chute et sa vitesse.

Il montre alors deux choses : Ø Il n'y a pas de lieu naturel des corps, la notion de mouvement est relative à la place et au mouvement de celui qui observe.

Parexemple si un marin en haut d'un mât laisse tomber une pierre sur le bateau, il verra la pierre tomber en ligne droite.

Mais unobservateur sur un pont verra la pierre tomber suivant une parabole.

Ou encore si je suis dans un train, j'ai l'impression d'êtreimmobile et que les objets hors du train se meuvent ; Ø On peut exprimer le mouvement des corps et prévoir leur chute grâce à une formulation mathématique.

Les mathématiques peuventservir de « langage » pour décrire la réalité concrète des corps physiques. Enfin, Galilée en vient à soutenir que Copernic avait raison : la Terre n'est pas au centre du monde ; elle n'est pas immobile.

C'est le soleil qui est au centre du monde, et la Terre tourne autour de lui et sur elle-même.

De plus, le monde n'est certainement pas fini, maisinfini. Avec toutes ces découvertes, c'en est terminé du monde tel que l'Antiquité puis le Moyen-Age se le représentaient.

Galilée ouvre une crise extrêmement grave : toute une vision du monde s'écroule.

L'homme perd sa place au centre du monde.

Il n'a plus de fonctiondéfinie au sein du monde hiérarchisé et fini : il est sur une planète comme une autre, perdu dans une infinité.

Il n'a plus de monde àimiter : la nature n'est plus qu'un livre froid, désenchanté, accessible à l'abstraction mathématique. Pour les anciens, le monde était « plein de dieux » (Héraclite ), pour les chrétiens médiéval, il chantait la gloire de Dieu par sa beauté, son ordre, sa perfection.

Pour les savants de XVII ième siècle, il est « écrit en langage mathématique », dans la froide abstraction des figures géométriques.

Il ne parle plus au coeur de l'homme, il ne l'entretient plus de la gloire de Dieu, il faut, au contraire, péniblement ledéchiffrer grâce à la langue la plus rationnelle et la plus glacée qui soit : les mathématiques.

Un accusateur de Galilée le dira ; si celui-ci a raison, nous ne sommes plus le centre du monde mais « comme des fourmis attachées à un ballon » : des êtres insignifiants sur une planète comme les autres. Ce sont Descartes & Pascal qui tireront les conséquences philosophiques et théologiques de cette révolution dans les sciences.

Ce sont eux qui comprendront qu'il faut absolument redéfinir la place de l'homme dans ce monde infini et glacé où rien ne lui indique ni son lieuni sa fonction. II.

Une nouvelle religion? Si la référence à la science a pu étayer une critique efficace de la religion, le besoin de croire n'a pas pour autant disparu des conscienceset la science elle-même a pu devenir objet d'idolâtrie. • La science porteuse de salutL'accumulation des connaissances scientifiques et la prolifération des applications techniques possibles incitent à voir dans la science lasource de tous les espoirs humains pour vaincre la misère, la maladie, la guerre et les limitations de notre condition - quitte à oublier quela science peut aussi bien aboutir à des applications inhumaines ou criminelles. • La science, nouvel absolu?. »

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