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Expliquez le texte suivant : Platon, Phédon

Publié le 06/03/2011

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platon

Or toutes deux, misologie et misanthropie, naissent de la même façon. Voici comment s'insinue en nous la misanthropie : on accorde à quelqu'un son entière confiance, sans s'être donné aucun moyen de le connaître ; on le tient pour un homme parfaitement loyal, droit, digne de la confiance qu'on lui porte ; et on ne tarde pas à découvrir qu'il ne vaut rien, qu'on ne peut s'y fier. Et on recommence avec un autre. Quand on a fait plusieurs fois cette expérience, surtout quand on a été victime de ceux qu'on tenait pour ses amis les plus proches, on finit, à force de déceptions, par détester tous les hommes et par estimer qu'en aucun il n'y a rien de rien qui vaille quelque chose !(...) on ne prouve ainsi qu'une seule chose : que, sans avoir la moindre compétence en matière de réalité humaine, on prétendait cependant tirer profit du commerce des hommes. Si on l'avait eue, cette compétence, quand on traitait avec des hommes, on aurait jugé que – comme c'est le cas – d'extrêmement bons comme d'extrêmement mauvais il y en a très peu, et que la grande majorité se situe entre ces deux extrêmes. (...) Pourtant, en cela, il n'y a pas ressemblance entre les raisonnements et les hommes (...) Non, ils se ressemblent seulement sur ce point : lorsqu'on commence, sans avoir acquis aucune compétence en la matière, par accorder son entière confiance à un raisonnement et à le tenir pour vrai, on ne tarde pas à juger qu'il est faux ; il peut l'être en effet, comme il peut ne pas l'être ; puis on recommence avec un autre, et encore avec un autre. Et, tu le sais bien, ce sont surtout ceux qui passent leur temps à mettre au point des discours contradictoires qui finissent par croire qu'ils sont arrivés au comble de la maîtrise et qu'ils sont les seuls à avoir compris qu'il n'y a rien de sain ni d'assuré en aucune chose, ni en aucun raisonnement non plus ; que tout ce qui existe se trouve tout bonnement emporté dans une sorte d'Euripe, balloté par des courants contraires, impuissant à se stabiliser pour quelque durée que ce soit, en quoi que ce soit.

 Platon, Phédon   

Il n'est pas exclu que le terme « misologie « soit un néologisme formé par Platon (d'abord disciple de Socrate et, donc, penseur du IV° siècle) : sans avoir à l'établir, nous pouvons au moins souligner qu'il appartient à un registre technique, spécialisé, et qu'à ce titre il est moins courant et moins compris que le mot « misanthropie «. Voici pourquoi, dans cet extrait de Phédon, l'analyse du second permet d'expliquer le premier. Plus précisément, la reconstitution génétique de la misanthropie fournit ici le modèle analogique pour comprendre ce qu'est et comment se forme la misologie.   

platon

« En revanche, le misologue a une tout autre importance : c'est un théoricien dans la mesure où il soutient uneconception de la réalité : « il n'y a rien » selon lui et ses semblables « de sain ni d'assuré en aucune chose » et riend'univoque ne peut donc être dit à propos de quoi que ce soit de réel.

Il y a ici une filiation de doctrines que l'onpeut rapporter brièvement : l'héraclitéisme soutenait, au VI° siècle avant notre ère, que tout est dans unécoulement perpétuel, que le fond de la réalité repose sur la confrontation des contraires (« La guerre est le Père detout » déclarait ainsi Héraclite d'Ephèse) ; position que l'on retrouve, au siècle suivant, chez les sophistes pour qui,la réalité étant trop instable, rien de déterminé ni de vrai ne peut en être dit.

Il y aurait donc une impuissancethéorique du langage face à ces courants contraires et changeants comme dans l'Euripe [à vos atlas de géographiesi vous voulez en savoir plus], sauf à considérer que c'est une victoire d'être parvenu à cette position.

Ladénonciation platonicienne se montre plus poussée concernant ces pseudo-savants parce que leur posture tient àdes raisons plus complexes que pour la misanthropie.

Comme, selon eux, rien de stable ne se présente dans laréalité, aucun raisonnement –destiné par nature à posséder un contenu déterminé – ne peut valoirpuisqu'il n'y a pas de contenu réel qui demeure identique à lui-même.

Mais on en vient à cette position à caused'une pratique « des discours contradictoires ».

L'artificialité et l'instrumentalisation des raisonnements induisentl'idée que ces derniers sont dépourvus de tout sens déterminé, par conséquent de toute valeur de vérité, etproduisent, comme l'indique le texte, cette croyance « qu'ils sont seuls à avoir compris ».

Voilà le renversement deleur position : ils se croient savants en vertu de leur errance.

Finalement, misanthrope et misologue se ressemblentencore en ceci que, par leur attitude, ils s'isolent de la communauté, de la société des hommes pour le premier, decette mise en commun et de ce partage de la vérité pour le second.Le règne et la domination de la raison dans la culture scientifique et technique exclut-il la misologie ? Le destin decelle-ci n'est-il pas scellé par la victoire de la raison ?La dénonciation de la misologie est fondée sur la prétention à atteindre la vérité.

On ne se trompe pas quand onjuge que ce qui se présente à l'expérience est changeant, on s'égare en considérant que là réside la réalité : commeon le sait, le platonisme oppose ou, du moins, distingue la forme intelligible du sensible ; connaître, cela revient à sedétacher de l'impression pour saisir l'eidos.

L'aristotélisme conserve cette distinction en la pensant autrement : laforme n'existe pas séparée de la matière qu'elle informe mais l'objet – le composé forme-matière – n'ade réalité et d'identité qu'en vertu de la forme.

La connaissance repose donc sur la raison, unique faculté pourreconnaître l'universel dans le particulier, l'humanité dans la perception de Callias (Callias est un homme en vertu decette forme et elle-seule constitue, en toute rigueur, la chose à connaître).

Cette tradition – dont la sourcese trouve pour une part dans le pythagorisme – représente l'origine de la pensée scientifique et une réussitede la rationalité.

L'Islam éclairé du moyen-âge encourage les études et transmet à l'occident la pensée d'Aristote ;et quand l'église catholique condamne Galilée, il faut y voir l'un des derniers soubresauts de son pouvoir en matièrede connaissance.

Mais, comme le souligne Alexandre Koyréi, cette condamnation vise moins la thèse héliocentriqueque le nouveau moyen, la nouvelle autorité capable de l'établir : la raison, en faisant de la géométrie « la grammairede la science physique », a rendu possible la mesure des phénomènes et, partant, la constitution de la scienceexpérimentale moderne.

Réussite de la raison puisque elle s'impose au registre qui semblait lui être le plus opposé– la réalité sensible – et qu'elle ne rencontrera plus d'objection à son expansion.Car il y a un devenir de la science, se constituant en puissance, qui illustre l'emprise de la raison : en se rendant «comme maître et possesseur de la nature » selon la formule de Descartes, l'homme inaugure ainsi le champ de latechnique moderne.Face à ces avancées, la misologie semble impensable : le progrès de la science et de la technique constituel'horizon du monde contemporain, une évidence que l'on ne remet pas en cause.

Les périls écologiques sont imputésà l'esprit débridé de la recherche du profit et l'on suit avec attention, et peut-être un excès d'optimisme, lesdécouvertes de la médecine.

Mais si la raison, dans son expression scientifique, ne fait pas l'objet de critique, ellepeut toutefois susciter l'indifférence.

Son efficacitéconstitue une garantie qui permet à chacun d'attendre d'elle la solution aux problèmes qui se présentent au sein dumonde, sans que l'on ait à prétendre ni la comprendre ni vouloir la comprendre.

Cette confiance est analysée parHabermasii comme la cause, en outre, de la dépolitisation des masses : la domination de la technique instaure lerègne des spécialistes auxquels la masse se résigne à déléguer toute volonté politique, une fois les grands choixélectoraux effectués.Indifférence envers le savoir et le politique : à nouveau le signe de la persistance de la misologie ? Haine de laraison, elle signifie également, selon son étymologie, haine ou défiance envers le discours; et comme l'expressionachevée de la raison est discursive, toute aversion envers le discours en général constitue la condition suffisante deson rejet.

Précisons ce qui le nourrit et comment il se manifeste.On peut relever une véritable inflation des discours : ils deviennent pléthoriques et perdent par conséquent leurvaleur.

Bien entendu, il faut reconnaître ici le rôle que tient le développement des techniques de communication :l'homme public peut en user sans complexe pour intervenir autant qu'il lui paraît nécessaire pour assurer lapersistance de sa représentation, son existence en termes d'occupation de l'espace médiatique.

Mais il y a aussi undébordement des discours tenus par des personnes privées, ces blogs ou même ces commentaires qui peuventaccompagner tout article publié sur le web.

La justice rappelle régulièrement à certains de leurs auteurs que leurresponsabilité pénale est engagée dans leurs propos.

Il faudrait pouvoir les alerter, ces personnes privées commeces hommes publiques, que la raison – intelligence et parole – s'aliène à «mettre au point desdiscours contradictoires » ; que la parole demeure vivante tant que l'on a réellement quelque chose à dire.Rien n'est pire que de se croire savant quand on ne l'est pas : voilà ce que soutient Platon dans l'extrait étudié.Ceux qui raisonnent sans compétence déprécient les raisonnements et se privent ainsi du véritable accès à laconnaissance ; la misologie, remarquions-nous, compromet par là le partage.

Sous ses apparences forcémenttrompeuses, l'ère de la communication à laquelle nous vivons pourrait conserver et le risque d'un mésusage dudiscours, et celui d'un clivage entre le sujet enfermé dans sa loquacité et la communauté des esprits, au sens donnéà cette expression par la phénoménologie.. »

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