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Faut-il être seul pour penser ?

Publié le 22/02/2005

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1. Tout a déjà été penséPeut-être que les jugements les plus extrêmes et les plus audacieux ont déjà été soutenus et seront à nouveau soutenus dans l'avenir. D'où la conclusion : « Rien de nouveau sous le soleil ! » De toute façon, comment faire un inventaire de toutes les pensées qui nous garantirait de manière certaine qu'une idée est absolument originale. On voit bien que l'interprétation s'appuyant sur le seul contenu de la pensée nous aiguille sur de fausses pistes.Mais dans notre exemple l'interprétation n'en reste pas là. Elle suggère que si on n'a pas d'idées originales c'est qu'on est déterminé ou influencé par les autres. L'acte de penser est confondu avec son résultat (l'énoncé d'un simple contenu d'idée), et puisque ce contenu ressemble à d'autres contenus analogues, on en conclut qu'il n'y a pas d'idées personnelles. Bref, si je n'ai pas d'idée originale, c'est que je ne pense pas seul. C'est un peu comme si l'enfant voulait non seulement s'habiller tout seul, mais exigeait en plus d'être le seul à s'habiller. 2.

« II.

Sommes-nous l'origine unique de nos pensées ? Dans le second exemple l'élève rebelle refuse d'être attentif au cours et de lire des textes par peur de se laisser influencer.

Il entendrester la source unique de ses pensées.

Il y a sans doute là une intuition exacte de la vérité : le mathématicien a bien le sentimentd'inventer le raisonnement qui le mène à la solution sans être tributaire de la pensée des autres.

Ainsi « penser seul » signifierait iciêtre la cause unique de ses pensées.

Mais n'est-ce pas là une illusion ? Peut-on, par exemple, devenir mathématicien sans avoir suivipréalablement des cours de mathématiques ? N'est-on pas toujours l'héritier de la pensée de ses aînés ?Distinguons une interprétation étroite et une interprétation large de la question. 1.

L'interprétation étroiteJ'ai le sentiment que, même si j'étais aveugle, ou même si je n'avais jamais suivi un seul cours de mathématiques, je serais capablede tirer de moi-même l'idée du triangle et de ses propriétés.

Penser seul reviendrait à retrouver ces idées en soi-même, sansdépendre ni de l'expérience externe ni d'un enseignement ou d'une culture préalables.

Demandons-nous pourquoi ?Accueillir une information de l'extérieur (qu'elle vienne des autres ou de l'expérience) c'est la recevoir comme un fait qui s'impose ànous.

« Aujourd'hui il fait beau » ou « La bataille de Marignan eut lieu en 1515 » sont des faits que l'on se borne à accepter tels quels,de manière passive.

Au contraire, lorsque je revendique l'origine de mes pensées, c'est pour y retrouver le fruit de mon activité deréflexion, Que l'on songe à la posture du Penseur de Rodin : se refermant sur lui-même, ne laissant aucune prise au monde extérieur,l'homme se rassemble comme si la vérité ne devait dépendre que de lui.

Mais ce souci ne fait ici encore que témoigner de la volontéde penser par soi-même.

Elle n'implique pas nécessairement le rejet de tout enseignement et de toute culture.En effet une pensée peut dépendre de moi sans que j'en sois la source exclusive.

Les pensées que je tire vraiment de mon propre fondne sont peut-être que les idées dont je me sens personnellement responsable. 2.

L'interprétation largeOn pourrait en effet comprendre que l'on est à l'origine de sa pensée comme on est à l'origine d'une décision.

Un chef d'État, parexemple, qui assume la responsabilité d'une décision va commencer par s'entourer de conseillers.

Mais l'angoisse qui l'étreint aumoment de trancher le rappelle à la solitude de sa responsabilité et, quelle que soit la force de persuasion de ses conseillers, il seraseul devant l'histoire à porter le poids de sa décision.C'est la même solitude et le même sens de la responsabilité que l'on ressent, lorsqu'il faut soutenir une thèse ou simplement former unjugement.

Prenons un médecin sur le point d'arrêter son diagnostic.

Il a devant lui son patient qui présente un certain nombre desymptômes : est-ce une grippe ou une pneumonie ? le cas peut être douteux.

Il passe et repasse dans sa mémoire les informationsqu'il a recueillies sur la question.

Et finalement il conclut : c'est bien une pneumonie.

Les informations qu'il a puisées au cours de sesétudes ou dans les revues spécialisées n'étaient que de simples repères, des pensées passées tout comme les avis dont s'est entouréle chef de l'Etat ne sont que des décisions possibles.

Son diagnostic il en est le seul responsable.

C'est son jugement qui lui donneexistence.

Et celui-ci n'est pas tourné vers le passé comme s'il se contentait de reproduire des connaissances déjà acquises, il engage,au contraire, toute une suite de jugements à venir qui le prolongent et en précisent le sens (comme par exemple prescrire tel ou telmédicament ou décider d'une hospitalisation immédiate).

Si nous sommes à l'origine de nos pensées, ce n'est pas nécessairementparce que nous tirons de nous-mêmes toutes nos connaissances, mais parce que penser c'est juger et que juger, c'est prendre laresponsabilité d'une décision qui engage l'avenir.Concluons sur ce point : je suis à l'origine de mes pensées, comme je suis à l'origine de tous mes actes, en ce sens qu'à la question «qui en est l'auteur ? » je peux (et je dois) répondre : « C'est moi et moi seul.

» Mais cette responsabilité loin de me replier sur masolitude m'inscrit dans l'histoire d'une culture dont j'assume l'héritage.Moins toutefois comme un gardien du passé que comme un éclaireur de l'avenir. III.

Penser, c'est s'adresser à autrui Être responsable, c'est devoir répondre devant les autres.

C'est particulièrement clair pour le chef d'État qui se sent investi devantl'histoire ; ce n'est pas moins évident pour le médecin dont le diagnostic est affaire de vie et de mort.

Mais ne peut-on pas dire lamême chose à propos de tout jugement ? 1.

Penser c'est assumer un jugement devant AutruiMa pensée vient de moi, cela est vrai, et aucun despote, quand bien même il m'empêcherait de publier ma pensée, ne peut violer lesanctuaire de ma conscience.

Doit-on conclure que ma réflexion est privée et qu'elle n'engage que mon seul jugement ?Dans notre troisième exemple, l'élève refuse d'exposer ses pensées sous prétexte qu'elles ne regardent que lui.

Si jamais il rédige unedissertation, il s'en tiendra à des propos convenus ou à des résumés de doctrines, sans chercher à « s'investir » dans ses propos.

Sa «pensée personnelle » il la garde pour lui ou, s'il consent à l'exposer, il le fera comme s'il s'agissait d'un fait ou comme s'il se contentaitde faire part de ses goûts ; or il est clair que l'on n'a pas à se justifier de ses goûts.A une personne qui nous dirait : « Les femmes sont inférieures aux hommes et les noirs valent moins que les blancs.

Voilà ce que jepense et je n'ai pas de comptes à vous rendre », qu'aurions-nous à répondre ? Rien, sinon peut-être : « Vous ne pensez pas.

» Car onne pense vraiment que lorsque l'on sait pourquoi on pense ce que l'on pense, lorsque l'on est capable de donner des raisons et de sejustifier.

Un jugement qui ne peut rendre raison de lui-même et qui se mure dans l'arbitraire du « c'est ainsi » n'est plus une pensée,c'est une réaction. 2.

La pensée comme dialogueIl est temps d'abandonner chacun à la « solitude de sa propre pensée ».

Bornons-nous à proposer ces quelques remarques en guised'accompagnement.— Une réflexion raisonnée, même muette, suppose déjà un dédoublement : j'avance des hypothèses, je m'oppose des objections, j'yréponds et finalement je conclus.

La réflexion est un dialogue entre soi et soi-même.— Mais lorsque je me contente de dialoguer avec moi-même j'ai du mal à me surprendre et à trouver des arguments imprévus.

Il mefaudrait alors avoir le courage de m'exposer (au double sens où on s'expose à une épreuve et où l'on sort de soi) à un jugement autrepour prendre à l'égard de moi-même la distance critique qui fonde la pensée libre et raisonnée.— C'est donc en analysant les conditions d'un véritable dialogue que l'on pourrait comprendre les sources et la dynamique de lapensée.

Mais si la pensée est un dialogue, je ne pense que si nous pensons en commun.. »

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