Faut-il reconnaître quelqu'un comme son maître ?
Publié le 10/11/2012
Extrait du document
Ainsi dans Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?, Kant montre que le véritable
éducateur, le majeur, est celui qui mène le mineur vers la majorité, une liberté authentique, qui l'aide à se
relever quand il tombe: si l'être humain est d'abord un enfant, un maître est nécessaire pour qu'il accède
à la l'autonomie en surmontant paresse et lâcheté et pour qu'il ne tombe pas sous l'autorité des tuteurs
qui le maintient en état de servitude. Le maître est nécessaire pour nous mener vers l’universel chaque
fois que nos intérêts particuliers font obstacle à la réalisation de notre vocation d’êtres rationnels. De
même, dans le domaine politique, ce n’est pas la domination du maître qui est souhaitable en elle-même,
mais la référence à une volonté générale permettant l’édification d’une Cité libre.
«
des volontés.
Par là seulement il prend possession de ce qu’il y a d’essentiel en l’homme.
Sinon, il le
domine seulement comme une chose, et même pas comme un animal.
C’est pourquoi l’esclave effronté,
qui obéit en montrant ostensiblement qu’il ne le fait que sous la contrainte, est insupportable au maître.
La maîtrise exige donc la reconnaissance : de physique, la domination devient idéologique.
Toute
tyrannie développe un discours par lequel elle entreprend de persuader l’esclave qu’il est juste qu’il en
soit ainsi.
C’est ainsi que Rousseau, dans le Contrat Social, montre la naissance du prétendu "droit du
plus fort".
Tout esclavage se double d’un asservissement des esprits infiniment plus perfide.
Car alors
l’esclave acquiesce à sa propre condition.
Il reconnaît le maître, parce qu’il est esclave de sa propre
ignorance.
Etre libre,
c’est donc refuser toute reconnaissance d’un maître qui asservit, d’autant qu’il n’est pas permis de
renoncer à sa liberté.
L’homme qui renie sa liberté renie ce qui fait de lui un être moral.
Il nie son
humanité pour se rabaisser au rang des choses qu’on utilise.
On ne peut faire de la liberté un bien que je
peux céder: la liberté n’est pas quelque chose de moi, elle est moi-même.
Nul ne saurait donc reconnaître
un maître à sa volonté.
Pourtant, comme Kant le montre lui -même dans Réponse à la question: qu'est -ce
que les Lumières?, l'être humain n'est pas d'abord pleinement libre: il doit être éduqué afin de cultiver sa
liberté et cette éducation suppose qu'il se soumette d'abord aux contraintes, aux règles qu'un maître lui
impose.
Cette première reconnaissance n'est-elle pas alors nécessaire à l'affranchissement, à la
réalisation d'une liberté authentique?
2)
Il apparaît ainsi, à la lumière de ses analyses, que si tout homme doit penser par lui -même et exercer
librement sa volonté, car sans cela la liberté ne serait qu’apparente, il ne peut accéder à la liberté de
pensée que grâce à un initiateur qui le guide vers la vérité.
Dans le domaine de la pensée, il faut d’abord
reconnaître un maître pour parvenir à la libre pensée : d’oppresseur, le maître
devient libérateur avec l’apparition du rapport maître-disciple.
Si penser n’est pas un pouvoir qui se délègue, c’est que tout le monde est capable de juger de la vérité et
que la vérité n’existe que dans l’épreuve intérieure qu’on en fait.
Cela ne signifie pas que tout ce que je
pense est vrai, mais que moi seul peux prendre conscience de mes erreurs.
Cela ne signifie pas non plus
que je ne m’instruis pas auprès d’autrui, à l’école, dans les discussions, dans les livres… Quand, par
exemple, j’écoute un maître de mathématiques faire une démonstration, le comprendre n’est pas recevoir
passivement ses paroles, mais c’est opérer pour soi le cheminement qu’il fait, en ressaisir la nécessité
intérieure, la vérité.
On peut certes appeler "maître" celui qui instruit beaucoup.
Mais ce que j’apprends du
maître, en vérité, je ne l’apprends que de moi.
Le maître n’est ici que l’occasion qui provoque le savoir ; il
n’en est pas la cause.
C’est pourquoi la fidélité à un maître spirituel ne saurait être l’asservissement à la
doctrine de ce maître.
Socrate apparaît ici comme la figure par excellence du maître.
En effet, Socrate est
un maître, précisément parce qu’il n’enseigne pas.
Platon nous le présente dans le Ménon sous les traits
d’une sage-femme qui accouche
les esprits à eux-mêmes ! Socrate est maître car il se fait serviteur : il ne cherche qu’à rendre chacun à
sa propre pensée.
Reconnaître quelqu’un comme son maître alors n’est plus s’asservir à sa volonté ou à
sa pensée, mais c’est s’engager à sa suite dans le chemin qui mène chacun vers la vérité.
Ainsi personne
n’est dispensé de l’effort de penser par soi-même et le maître est reconnu alors en tant qu’il révèle le
disciple à lui -même, qu’il l’aide à s’accomplir.
Maître et disciple ont ainsi le même projet et se trouvent sur un terrain commun : celui de la recherche de
la vérité et de la liberté.
Chacun est le témoin de l’autre et le maître ne doit ce titre qu’au fait qu’il guide le
disciple dans le chemin de la vérité et de la liberté.
Platon exprime ce paradoxe dans le mythe de la
réminiscence.
Tout homme, malgré son ignorance, est déjà, en un sens, dans la vérité, sans quoi il ne.
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