Devoir de Philosophie

Faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?

Publié le 28/02/2004

Extrait du document

L'homme doit-il céder à l'illusion de l'immortalité pour vivre en paix, ou trouver au contraire dans la méditation de la mort le secret de son existence ? Introduction Le sujet présente un double paradoxe. D'abord il suggère que je puisse me donner délibérément une règle qui semble impliquer ou bien un refus de savoir, comme si l'on devait vivre en cultivant l'inconscience et l'aveuglement, ou bien, pour le moins, un refus de tenir compte de ce que l'on sait : vivre comme si je ne devais jamais mourir, c'est soit feindre l'ignorance, et mimer une régression vers un état de nature, comme celui où se trouve le sauvage de Rousseau, dont les « projets bornés comme ses vues s'étendent à peine jusqu'à la fin de la journée «, soit ériger l'inconséquence en principe, puisque je vis selon ce que je sais être faux. Ensuite, même si je sais que je vais mourir, ma vie ordinaire la plus commune semble manifester que je n'y prends pas garde. Lorsque nous nous lançons dans des entreprises, dont nous ne sommes pas sûrs de voir le terme, lorsque les années futures s'inscrivent dans nos projets, n'agissons-nous pas spontanément comme si nous ne devions jamais mourir ? Auquel cas le conseil serait superflu. Ne paraît-il pas plus sensé et raisonnable de rappeler à l'homme son humaine et mortelle condition : memento mori, afin qu'il mette sa vie en accord avec la connaissance qu'il a de la mort à venir ? Mais qu'est-ce alors qu'une vie dirigée par la conscience de la brièveté de la vie ?

I - La pensée de la mort comme devoir de lucidité

a) Les Stoïciens nous rappellent qu'il y a un devoir de lucidité : « Vous vivez comme si vous deviez toujours vivre ; jamais vous ne pensez à votre fragilité « (Sénèque, De brevitate vitae). Il y a donc comme une contradiction entre la vérité de notre vie et notre manière de la vivre.

Cette question ("Faut-il") demande si le devoir, donc la morale, n'exige pas que nous vivions constamment avec la pensée que nous mourrons. Autrement dit : n'est-il pas immoral d'évacuer l'idée de la mort ? Sans la pensée de la mort, aucune action n'est plus urgente, et l'on est tenté perpétuellement de remettre au lendemain ce que l'on doit faire le jour même (contrairement à ce que prescrit l'adage bien connu). On peut penser que si nous ne devions jamais mourir, nous vivrions dans un état d'insouciance totale. Etat qui pourrait être qualifié de divin. Sans doute la fuite du temps ne serait-elle plus une préoccupation, et l'on peut penser que le bonheur s'en trouverait facilité. Mais peut-être serait-ce un bonheur sans saveur ; car quoi de plus ennuyeux que l'éternité ?

« introduction « Nous troublons la vie par le soin de la mort » (Montaigne).

Pour éviter ce trouble, faut-il vivre...

? Première partie : Analyse du sujet Le problème essentiel est celui du sens à accorder à l'expression « comme si ».

Ce « comme si » peut en effetrecouvrir plusieurs attitudes très différentes.

Ce peut être un « comme si » d'indifférence, parce que la mort estjugée sans importance ; un « comme si » d'ignorance volontaire, parce que la mort est jugée si horrible que l'on nepeut en soutenir la pensée et que l'on s'en détourne ; enfin un « comme si » de jeu, tout à la fois de simulacre, decompétition et de vertige, où l'homme donne à la mort le rôle d'esclave et prend celui de maître. Deuxième partie : Le « comme si » de l'indifférence et du détachement a) Pour le stoïcisme, la mort nous fait mesurer la vanité de la vie humaine.

Cf.

Marc Aurèle « Bientôt tu ne seras plusque cendre ou squelette, un nom et pas même un nom (...) Les choses qui, dans la vie sont les plus estimées nesont que vide, pourriture, insignifiance (...) Que faire donc ? Tu attendras avec sérénité ou de t'éteindre ou d'êtretransféré ailleurs (Pensées V, 33).

La philosophie nous apprendra cette attente sereine (cf.

Montaigne « Quephilosopher c'est apprendre à mourir »).

Ainsi ne faut-il pas vivre comme si nous ne devions jamais mourir, mais aucontraire la pensée de la mort doit guider toute notre vie pour nous libérer (cf.

Montaigne « Qui a appris à mourir, ila désappris à servir ») « A chacune des actions que tu fais, réfléchis et demande-toi si la mort est terrible, parcequ'elle te prive d'agir en ce cas particulier » (Marc Aurèle, Pensées, X, 29).b) Mais Montaigne refusera de faire de la méditation sur la mort une manière morose de vivre.

La mort est le « bout» non le « but » de la vie.

Il convient donc de la dépasser pour « vivre entre les vivants » (cf.

Merleau-Ponty,sujet-texte n° 169).

Ainsi faut-il bien d'une certaine manière vivre comme si nous ne devions jamais mourir.c) Contre le stoïcisme, l'épicurisme, lui, affirme clairement qu'il convient bien de vivre comme si nous ne devionsjamais mourir.

Selon Épicure, en effet, la mort n'est rien pour nous puisque tant que nous sommes elle n'est pasprésente, et que lorsqu'elle survient nous ne sommes plus.

Ainsi la mort n'a-t-elle « aucun rapport avec les vivantsni avec les morts ») (cf.

sujet-texte n° 148).

La mort n'étant rien il convient ni de la craindre ni de la désirer, maisde se tourner vers la vie seule et d'y connaître le bonheur en comprenant que la perfection du plaisir n'est pasfonction de sa durée, le plaisir étant parfait à tout moment où on le goûte.

Ainsi l'épicurisme est-il une philosophiedu présent et en ce sens il nous invite à vivre comme si nous ne devions jamais mourir. Troisième partie : Le « comme si » de l'ignorance volontaire a) La philosophie exhorte à ne pas craindre la mort et à s'en détacher.

Mais est-ce possible ? « Les hommes n'ayantpu guérir la mort (...), ils se sont avisés pour se rendre heureux, de n'y point penser » (Pascal).

Ainsi les hommesvivent-ils comme s'ils ne devaient jamais mourir parce qu'ils refusent la mort, parce qu'ils font comme si ellen'existait pas ; ainsi se jettent-ils dans le divertissement de la vie.

La conscience chrétienne ne voit là qu'unmanque de courage, une fuite honteuse et pitoyable.

Pour elle, l'homme ne doit jamais perdre de vue qu'il est unecréature périssable, qu'il doit mourir.

Toute la vie terrestre ne peut être qu'une préparation à cet instant crucial oùelle sera jugée et où se jouera la vie éternelle.

Aussi faut-il que les hommes vivent en ne se cachant jamais qu'ilsdoivent mourir puisque c'est la mort qui donne à leur vie son sens et sa valeur.

(La préparation à la mort de l'hommereligieux a donc un sens très différent de l'« apprendre à mourir » de Montaigne.)b) Mais, aussi bien, en quoi la volonté de ne pas penser à la mort parce qu'on la craint est-elle pitoyable ? en quoicette fuite est-elle honteuse ? Cf.

La Rochefoucauld qui, rejetant tant le « mépris de la mort » de la philosophieantique que l'appel à y penser toujours de la conscience religieuse conclut que « les plus habiles et les plus bravessont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher de la considérer (...) Contentons-nous, pourfaire bonne mine, de ne pas nous dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons ».

Car « Tout ce que la raisonpeut faire pour nous est de nous conseiller d'en détourner les yeux pour les arrêter sur d'autres objets.

» (Maxime504).

Ainsi, refusons d'y songer et vivons comme si nous ne devions jamais mourir.Quatrième partie : Le « comme si » du jeua) Le « divertissement » stigmatisé par Pascal ne recouvre-t-il pas souvent en fait un « jeu » sérieux et grave ? Le« comme si » est en effet la catégorie fondamentale du jeu.

Pour lui l'« irréel » se donne comme « réel ».

Il est lemoment de la « réelle irréalité ».

Car le jeu n'est jeu qu'en apparence.

Il n'est illusion qu'au regard d'une vérité queprécisément il récuse.

Et Nietzsche a pu montrer que le monde tout entier est jeu, que le jeu et l'illusion sontnécessaires à la vie qu'ils peuvent seuls protéger contre la vérité mortelle.

L'illusion est un combat contre la mort.. »

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