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Justice et charité ?

Publié le 20/09/2005

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justice
Par là, la justice est en partie prisonnière des tendances, des besoins. L'appel à la justice n'est pas toujours pur d'envie, de jalousie, d'agressivité. Et dans le meilleur des cas, même si la justice revendicatrice n'est pas l'envieux « ressentiment », tout au plus serait-elle, suivant la formule de Madinier, « médiatrice entre l'égoïsme biologique et la charité ». Car la charité ne fait pas de calcul. Elle instaure le don, non le partage. « Tandis que la justice consiste à donner à autrui ce qui est à lui, la charité consiste à donner ce qui est à soi. » M. Jankélévitch écrit à ce sujet : « Être juste, si c'est n'être que juste, c'est comme un habit qui habille juste et fait par suite étriqué et mesquin. La justice économe habille juste sans nul battement ni bavure, ni marge de sécurité. » En ce sens l'idéal de justice ne serait qu'un minimum moral, largement dépassé par la charité.
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« 1° Tout d'abord l'idée d'une justice purement conservatrice et «close », limitée au respect de l'ordre établi peutapparaître comme une conception tout à fait fausse.

Il y a confusion ici, de ce qui est juste avec ce qui est légal.Or ce qui est conforme aux lois peut être moralement injuste.

L'idéal de la justice morale n'est ni clos, ni négatif, niconservateur.

C'est un idéal transcendant de la raison au nom duquel précisément on peut critiquer les lois écriteset les améliorer. 2° Ensuite l'idée d'une charité «large », «gratuite », semble susceptible d'interprétations dangereuses.

On peut direen effet que la théorie traditionnelle des rapports de la justice et de la charité est deux fois suspecte.

Suspected'abord en minimisant, en étriquant la justice, en la réduisant au maintien de l'ordre établi; suspecte ensuite enconsidérant comme facultative toute initiative qui dépasse cet ordre.

Ainsi la personne charitable aura peut-êtrel'impression de faire plus que son devoir, de faire plus que la justice, alors qu'en fait elle ne corrige qu'à peine lesinjustices régnantes.

Parfois même on verra dans les pratiques charitables un véritable machiavélisme pour faireaccepter l'injustice aux exploités.

M.

Jankélévitch résume ces critiques socialistes d'une façon très brillante : «Toute la ruse des bonnes consciences, bien pensantes et bien nourries, revient à donner au pauvre comme unegracieuseté ce qui lui est dû comme son droit, à lui faire en somme généreusement cadeau de son bien propre...

Lepauvre sera spolié et de plus comme on lui a fait croire qu'il n'avait droit à rien, il remerciera son voleur.

Détrousséet reconnaissant ! Que dites-vous de l'opération? Une si bonne affaire ne mérite-t-elle pas que le riche jette du lestet au besoin même reprise les guenilles de son mendiant pour être sûr que son mendiant continuera de vivredéguenillé, l'habit en haillons et le coeur inondé de gratitude? » Il convient aussi de souligner l'équivoque des «devoirs facultatifs ».

A ce propos, on peut rappeler le passage de Dante dans la Divine Comédie où nous apprenonsque les damnés les plus cruellement châtiés sont, non ceux qui ont fait le mal, mais ceux qui « n'ont pas fait le bien». 3° Enfin on a fait remarquer que l'initiative charitable quelquefois partiale est toujours partielle.

Quelquefois partiale :car le donateur, s'il estime sa bonté gratuite et facultative, se juge autorisé à la réserver à certains, à en exclured'autres.

Il est arrivé plus d'une fois que des groupes confessionnels réservent leur charité aux malheureux quiappartiennent (ou qui font semblant d'appartenir) à la même secte, prenant à la lettre ce redoutable conseil desaint Jean en sa deuxième épître : « Qui-conque ne demeure pas dans la vérité du Christ n'a point Dieu.

Si doncquelqu'un vient vous visiter et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne dites pas :sois le bienvenu ».L'initiative charitable reste partielle, car elle atteint des personnes isolées, elle ne transforme pas une structurecollective.

M.

Albert Bayet, à propos de la charité de saint Martin qui donne au pauvre la moitié de son manteau,remarque : « Cela fait un saint de plus, cela ne fait pas un pauvre de moins.

» Soulager telle ou telle misère n'estpas une solution suffisante au problème de l'injustice économique. 4° Enfin s'il est vrai que dans l'histoire les initiatives charitables ont précédé l'organisation de la justice, celan'empêche pas que dans l'ordre des valeurs c'est l'exigence transcendante de justice qui fonde l'exercice de lacharité.

Des actes d'abord accomplis par charité individuelle (hospitalité, tolérance, assistance) sont devenus l'objetde dispositions légales.

Mais c'est que ces actes étaient justes en eux-mêmes.

Lorsque saint Vincent fondait leshôpitaux, il n'avait certainement pas le sentiment de faire plus que ce qu'exigeait la justice.Dans ces conditions, la charité ne serait plus que le sentiment d'une exigence de justice.

Tout ce qui n'est pas justeest injuste (injuste l'aumône humiliante au pauvre qui devrait être légalement assisté, injuste l'aumône naïve aumendiant abusif, habile exploiteur de la pitié).

Et l'acte qui se veut charitable n'a de valeur que s'il est inspiré parl'idéal de justice. c) REMARQUES FINALES Mais ce serait une erreur — sous prétexte de mettre en valeur la justice — que de rabaisser la charité.

En fait lacharité n'est pas l'aumône.Elle est l'amour du prochain.

Saint Paul, dans sa première épître aux Corinthiens, nous avertissait que nous aurionsbeau donner tous nos biens aux pauvres, cela ne compte pas, « si nous n'avons pas la charité ».

Et la vraie charitén'a rien à voir avec les mobiles équivoques qui inspirent parfois l'aumône.

« La charité est patiente, elle est bonne ;la charité n'est pas envieuse ni inconsidérée, elle ne s'enfle point d'orgueil, ne cherche pas son intérêt, ne prend pasplaisir à l'injustice.

Elle espère et supporte tout.

» Dans cette perspective la charité conserve tout son sens à côtéde la justice.

La justice définit l'idéal, la charité est le moteur de l'action morale, l'élan par lequel nous réalisons lajustice, et cette exigence du coeur qui faisait dire à « la Sauvage » d'Anouilh : « Il y aura toujours par le mondequelque chien perdu qui m'empêchera d'être heureuse ».. »

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