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KANT: Etat et Liberté

Publié le 03/05/2005

Extrait du document

kant
J'avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes sensés : un certain peuple (en train d'élaborer sa liberté légale) n'est pas mûr pour la liberté; les serfs d'un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté; et, de même aussi les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de conscience. Dans une hypothèse de ce genre, la liberté ne se produira jamais; car on ne peut mûrir pour la liberté, si l'on n'a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les premiers essais en seront sans doute grossiers et liés d'ordinaire à une condition plus pénible et plus dangereuse que lorsqu'on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi confié aux soins d'autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives personnelles (qu'il faut être libre de pouvoir effectuer). le ne fais pas d'objection à ce que ceux qui détiennent le pouvoir renvoient encore loin, bien loin, contraints par les circonstances, le moment d'affranchir les hommes de ces trois chaînes. Mais, ériger en principe que la liberté ne vaut rien d'une manière générale pour ceux qui leur sont assujettis et qu'on ait le droit de les en écarter toujours, c'est là une atteinte aux droits régaliens de la divinité elle-même qui a créé l'homme pour la liberté. Il est plus commode évidemment de régner dans l'État, la famille et l'Église quand on peut faire aboutir un pareil principe. Mais est-ce aussi plus juste? KANT

DIRECTIONS DE RECHERCHE

• Pour quoi, selon Kant, ne peut-on « mûrir pour la liberté si Ton n'a pas été mis au préalable en liberté « ? • Les deux mots « liberté « ont-ils le même sens dans la phrase citée ci-dessus ? • De quelles « trois chaînes « s'agit-il ? • Y a-t-il contradiction entre dire « Je ne fais pas d'objection à ce que ceux qui détiennent le pouvoir renvoient encore loin, bien loin,... le moment d'affranchir les hommes... « et « on ne peut mûrir pour la liberté, si l'on n'a pas été mis au préalable en liberté « ? Sinon comment comprenez-vous que Kant ne fasse pas « d'objection «? • Qu'est-ce que Kant cherche à établir ? Qu'est-ce qui est en jeu réellement dans ce texte ?

 

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« même de liberté.La conséquence d'une telle position n'est, en effet, pas compatible avec l'idée de liberté.

Loin d'en assurer la miseen place et d'en garantir la pérennité, cette « hypothèse » exclut en fait la réalisation de la liberté.

Kant remet encause la prémisse du raisonnement de ses adversaires : ils posaient la nécessité d'un mûrissement préalable àl'affranchissement des hommes.

Or, la servitude ne peut être une condition préalable de la liberté.

La tutelle exercéepar les éducateurs, les prêtres, les juges ou les souverains, comme il l'écrit dans Qu'est-ce que les Lumières? nepeut favoriser l'apprentissage de la liberté, car elle habitue les hommes à une aliénation permanente.

La seule écolede liberté est la liberté elle-même : « il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté.»Pour expliciter le raisonnement de Kant, on peut évoquer l'exemple de l'apprentissage de la marche ou de lanatation.

Les premiers mouvements dépourvus de toute assistance en seront sans doute « pénibles » et «dangereux ».

ils ne bénéficieront plus de la protection que nous offraient les auxiliaires habituels.

Kant met ici à jourla solidarité qui existe en absence de liberté et de sécurité : les carcans traditionnels ne sont pas aisémentrenversés parce qu'ils garantissent une certaine quiétude à ceux qui les subissent.

Néanmoins, les «tentativespersonnelles» sont irremplaçables pour l'acquisition de la liberté, dans la mesure où il s'agit de mettre en oeuvre etd'exercer une faculté personnelle par essence : déléguer sa faculté de choisir et de penser, c'est y renoncer etremettre sa liberté entre les mains d'un tuteur censé en préparer l'éclosion, c'est l'aliéner.

L'expression « n'être pasmûr pour la liberté » conduit donc à une négation pure et simple de la liberté : elle en empêche la réalisation parcequ'elle en retarde les « premiers essais ». Mais cette expression n'est pas seulement contradictoire avec la notion qu'elle prétend protéger.

Elle participe enoutre d'une fiction de type idéologique qui légitime les pouvoirs en place.

Kant semble, dans un premier temps,adopter une position de retrait : il ne conteste pas le pouvoir qu'ont les gouvernants de repousser la mise en placede la liberté : les « circonstances » peuvent les y « contraindre ».

Les « trois chaînes » qui entravent la liberté del'homme (l'obéissance politique, la dépendance économique et la soumission religieuse) ne peuvent être brisées dansn'importe quelles conditions.

S'agit-il d'une précaution contre la censure? Ou bien Kant adopte-t-il en partie le pointde vue de ses adversaires? Cette dernière position paraît pourtant peu compatible avec la thèse de Kant : lanaissance de la liberté ne doit pas être soumise à des considérations d'opportunité.

Quoi qu'il en soit, ce queconteste Kant, ce n'est pas l'à-propos de telle ou telle émancipation historique.

Il montre ainsi qu'il se place auniveau des «principes» et non du débat politique particulier.Le principe fondamental que Kant invoque ici est celui de la nature humaine, telle qu'elle a été «créée» par ladivinité.

Bannir le principe de liberté, c'est contrevenir à une norme métaphysique, tout autant que morale, aux «droits régaliens », c'est-à-dire fondamentaux, de la divinité.

Ceux qui usent de l'expression « ne pas être mûr pour laliberté » se font donc complices de cet asservissement bienveillant.

Mais la servitude n'est bénéfique qu'enapparence à ceux qui y sont soumis.

Elle est surtout profitable à ceux qui gouvernent.

Et ceux-ci protègent leurpouvoir en usant de cette expression.

Elle n'est donc pas simplement illusoire, elle est cynique.

Elle justifie toutesles oppressions, qu'elles soient politiques, religieuses ou familiales.

Faire croire à ses subordonnés qu'ils ne sont pasen mesure d'assumer leur liberté, c'est les convaincre de remettre indéfiniment à plus tard l'accomplissement de leurnature et de leurs facultés.

C'est ainsi les faire contribuer à leur propre asservissement.

N'est-ce pas là le propre del'idéologie?Ce texte de Kant a une portée considérable dans la mesure où il démasque le cynisme liberticide sous les traits duréalisme politique et du paternalisme.

Il montre aussi combien est illusoire toute « préparation à la liberté » qui n'estpas elle-même liberté.Pourtant, Kant ne néglige-t-il pas le paradoxe fondamental de toute l'éducation? Comment apprendre à rendre àquelqu'un à être libre sans lui accorder la liberté? Et néanmoins, l'éducation, indispensable à la liberté, n'est-elle pasbien souvent obligée de limiter cette dernière en lui donnant des cadres, comme le souligne Platon dans le livre VIIde la République? La pédagogie de la liberté ne doit-elle pas recourir inéluctablement à son contraire, à lacontrainte? KANT (Emmanuel). Né et mort à Königsberg (1724-1804).

Fils d'un sellier d'origine écossaise, il fit ses études à l'Université de Königsberg, et s'intéressa davantage à la physique et à la philosophie qu'à la théologie.

En 1755, ilest privat-dozent de l'Université de sa ville natale, puis il est nommé professeur extraordinaire de mathématiques etde philosophie.

En 1770, il devient titulaire de la chaire de logique et de métaphysique.

Il vécut dans une demi-retraite pendant onze ans ; puis, commença la publication de ses grands livres, les trois Critiques.

La Révolutionfrançaise l'enthousiasma, et l'on raconte qu'il ne se détournait de sa promenade, minutieusement réglée, que pouren aller apprendre les nouvelles.

Il fut, en 1793, réprimandé par Frédéric-Guillaume II pour deux ouvrages sur lapolitique et la religion.

A la mort du Roi, il reprit sa plume et dévoila l'affaire.

Kant mourut le 12 février 1804, aprèsune très longue agonie.

— A ses débuts, Kant fut un disciple de Leibniz et de Wolff.

Il considère la science commeun fait, dont la possibilité, plus que l'existence, doit nous préoccuper.

La lecture de Rousseau lui fait aussi. »

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