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La charité peut-elle tenir lieu de justice ?

Publié le 24/05/2009

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justice

Très souvent, nous avons le sentiment que les mots justice et charité sont, sinon exactement synonymes, du moins très proches l'un de l'autre. Et cette proximité apparente nous est à un tel point familière que la question de savoir si la charité peut tenir lieu de justice nous surprend et nous déconcerte. Nous découvrons alors que les concepts de justice et de charité sont bien loin d'être clairs. C'est pourquoi, avant même de tenter de répondre à la question qui nous est posée, nous devons nous efforcer de préciser le sens de ces deux concepts. Sans ce travail préparatoire, nous ne pourrions que nous égarer.

justice

« son sens originel.

C'est ce sens fort et originaire du concept de physis (nature) qui fonde la supériorité de la loicommune ou loi naturelle sur la loi particulière.

C'est peut-être l'écho, à peine perceptible, de ce lien intime quiunissait la notion de justice à la nature au sens originaire du mot physis qui se fait encore parfois entendre dans lesGéorgiques de Virgile.

Ceux, nous dit Virgile, qui sont le plus près de la nature se souviennent encore que la justiceémanait de la terre, ou plutôt que la nature irradiait de justice.Sans doute nous faudra-t-il revenir sur ce qu'Aristote nomme u le sentiment naturel » qu'ont les hommes de ce quiest juste ou injuste selon la nature.

Achevons de brosser à grands traits le portrait de la justice, toujours en nousappuyant sur Aristote.

Ce dernier définit une sorte de justice qui intervient dans les phénomènes de répartition(répartition des honneurs ou répartition des richesses), et une autre sorte de justice qui intervient dans lescontrats, le mot désignant soit des relations librement consenties comme les achats ou les ventes par exemple, soitdes relations que l'on pourrait qualifier d'involontaires [mais en se méfiant de l'usage du mot volonté, mot tropmarqué par la philosophie moderne depuis Descartes, dans la pensée grecque] et qui peuvent être clandestines ouviolentes.

Saint Thomas, traduisant Aristote, parlera dans le premier cas de la justice distributive et dans le secondcas de justice directive ou commutative.

Mais avec saint Thomas la justice doit compter avec un autre concept, néau sein du christianisme : la charité.« Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'auraismême toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien ».

Ainsi s'exprime saintPaul dans la première Epître aux Corinthiens (I, 13, 2).

Il établit même une gradation entre trois concepts :Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance, la charité ; mais la plus grande de ces choses,c'est la charité » (I, 13, 13).

Saint Augustin, dans les Confessions, n'oubliera pas cette leçon : « O aeterna semitaset vera tariras et cara aeternitas ? » (O éternelle vérité, ô véritable charité, ô chère éternité ?) (Livre VII, chap.

10,Garnier, tome I, p.

288-289).

De nouveau nous retrouvons cette connexion entre la charité et la vérité divine quenous avions découverte dans une phrase de Pascal.

Mais qu'est-ce que la charité ? c'est d'abord l'amour de Dieu, etaussi de celui qui est mon prochain en Dieu.

A l'origine l'expression « faire la charité » a un sens très fort.

Faire lacharité, ce n'est pas se débarrasser de quelques vieilles frusques traînant dans un grenier en en faisant don à uneorganisation charitable.

La charité est même la plus haute des trois vertus théologales que nome me saint Paul : lafoi, l'espérance, et enfin la charité.

Si l'on se souvient que la justice n'appartient pas à ce domaine des vertus ditesthéologales, suais à celui que saint Ambroise définit comme étant le domaine des u vertus principales ou cardinales »avec la prudence, le courage et la tempérance, on voit que la comparaison entre justice et charité n'est peut-êtrepas si évidente que cela.

Elle l'est à vrai dire d'autant moins que les vertus cardinales de saint Ambroise ne sont quela reprise chrétienne des grandes vertus morales de Platon.

Dans la perspective platonicienne, c'est la justice quiest souvent considérée comme la vertu dominante.

Nous nous trouvons ainsi d'une part devant un domaineproprement moral, dont le fondement est grec, et d'autre part devant un domaine dont l'ancrage religieux ne sauraitêtre sous-estimé.

Dans un de ces domaines se trouve la justice, dans l'autre la charité.

Celle-ci peut-elle alors tenirlien de justice ?Si nous prenons l'expression « tenir lieu de » au sens fort, nous voyons qu'il n'en est pas question.

A la rigueur, onpeut admettre que la charité puisse suppléer à ce qui dans la justice n'est que formel.

C'est alors une actiongracieuse, une action d'amour qui apporte quelque chose que l'on pourrait nommer chaleur à ce qui n'a que lafroideur de la loi.

Mais même dans ce cas, la charité ne tient pas lieu de justice ; elle ne peut que la précéder ou ladevancer.

Elle n'est jamais à la place de la justice.

La justice fait-elle défaut ? La charité peut apporter sans doutebeaucoup dans une telle situation, mais ce qu'elle apporte ne peut en aucun cas se substituer à la justicedéfaillante, puisque c'est par essence quelque chose de différent.

Il faudrait peut-être se demander s'il est souhaitable, tant d'ailleurs pour la charité que pour la justice, de continuerà vouloir établir entre elles des parallèles qui ne peuvent qu'accroître la confusion régnant entre ces termes.

Lacharité ne peut pas tenir lieu de justice, parce que son lieu d'origine est différent de celui de la justice.Si l'on tient vraiment à rechercher un complément à la justice, il ne faut pas quitter le terrain où elle se trouve, maisau contraire s'y attacher solidement.

Il se pourrait bien que ce complément, ou peut-être même ce fondement de lajustice, soit comme nous l'avons dit à rechercher dans ce qu'Aristote nomme le « sentiment naturel » de ce qui estjuste et injuste.

Un tel sentiment, nous le nommerons avec Aristote l'équité.

« L'équitable est permanent etimmuable, comme la loi commune » (Rhétorique, 1, 15).

L'équité, par opposition à la justice selon la loi particulière,la seule que reconnaissent les sophistes, retrouve le sens du tout, le sens de la physis prise dans sa significationoriginaire.

En une acception plus restreinte que ce sens du tout, l'équité va désigner chez Aristote ce qui, tenantcompte de l'esprit de la loi beaucoup plus que de la lettre, permet d'améliorer le côté formel de la justice.Et aujourd'hui ! Dès lors que l'on refuse par exemple de prendre en considération la caution que procure à la justicela croyance en Dieu - caution au sein de laquelle se tient la charité —, peut-on encore parler de la justice ? Nefaut-il pas alors passer du substantif à l'adjectif et parler de causes justes ? Il semble bien.

Mais alors n'y a-t-ildonc plus de critères ? Si, mais ceux-ci ne sont plis, en un sens, extérieurs à l'homme.

« La transcendance nesurplombe plus l'homme : il en devient étrangement le porteur privilégié.

» (Merleau-Ponty, Signes, Gallimard, p.

88).Ceux qui proclament qu'il n'y a point de causes justes et ceux qui parient sur la justice infaillible de l'au-delà,laquelle ne se conçoit pas sans la charité, manquent peut-être, les uns comme les autres, la véritable dimension oùl'on peut parler du juste et de l'injuste.

Quels sont les critères d'une action juste ? Ce sont : moi-même, les autreset le vrai : « Quelquefois la vie est la même devant soi, devant les autres et devant le vrai.

Ces moments-là sontceux qui la justifient » (Merleau-Ponty, Éloge de la Philosophie).. »

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