La passion est-elle compatible avec la sagesse ?
Publié le 17/01/2022
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Le tyran est, pour l'Antiquité, le modèle de l'homme passionné.
Le livre IX deLa République de Platon dresse ainsi son portrait «Celui qui est effectivementun tyran est effectivement un esclave, allant jusqu'au bout des adulations etdes servitudes, flatteur des hommes les plus dépravés ; ne réussissantd'aucune manière au monde à assouvir ses désirs, il se révèle bien plutôt leplus indigent des hommes à l'égard du plus grand nombre de choses (...);chargé de peur dans tout le cours de sa vie, plein d'agitations convulsives etd'angoisses.» Le tyran est à l'image du passionné : il n'est plus maître de lui-même malgré sa force apparente ; au fond de son être, il est esclave, il nepeut plus résister aux passions qui l'assaillent et est davantage esclave queceux qu'il asservit.
[3.
Le sage est exempt de passions.]
Diogène Laërce, dans son exposé de la philosophie des stoïciens, écrit: «Lesage, disent-ils, est sans passion parce qu'il ne se laisse pas entraîner.
» Lesage est en effet maître de soi et la passion aliène, le sage vit en ce sens enétat d'ataraxie, d'absence de trouble.
Toute passion lui serait nuisible etcontradictoire avec sa sagesse.
Cicéron, dans les Tusculanes, précise, aprèsavoir dressé le portrait de l'homme en proie au chagrin : «Et ce sont là lespassions qui minent l'âme, je veux dire le chagrin et la peine; mais celles qui sont moins sombres, le désir quirecherche avidement son objet, la gaieté absurde avec ses mouvements désordonnés, diffèrent peu de la folie.
»Autrement dit, il n'y a pas de bonnes passions et de mauvaises passions.
Les effets de la joie ou du désir sont aussidangereux pour l'équilibre spirituel et la maîtrise de soi-même du sage que le sont la haine et la tristesse.
Lesentiment intérieur de plaisir ou de peine qui accompagne la passion ne suffit pas à rendre celle-ci bonne oumauvaise : tout ce qui peut troubler mon âme, m'arracher à moi-même est mauvais.
[II.
La sagesse comme bon usage des passions.]
Cependant, si le sage ne peut être esclave des passions, il leur reste néanmoins exposé.
Certes le sage nesuccombe pas à la passion comme le débauché ou le tyran, mais il peut lui-même être sujet à la passion : lasagesse ne peut en ce sens être radicalement séparée de la passion.
La question qui se pose devient alors lasuivante comment le sage use-t-il de ses passions?
[1.
L'objet de la passion peut s'accorder avec celui de la sagesse.]
Dans une lettre du 1er février 1647 à Chanut, Descartes répond à unequestion que lui avait posée son correspondant : «Lequel des deuxdérèglements est le pire, celui de l'amour, ou celui de la haine?» La questionposée par Chanut ne fait plus de ces deux passions deux maux absolus, maisil s'agit tout au contraire d'établir au sein des passions une hiérarchie entredes passions comparativement bonnes ou mauvaises.Descartes écrit ainsi, par exemple, que «l'amour qu'on a pour un objet de peud'importance, peut causer plus de mal, étant déréglée, que ne le fait la hained'un autre de plus de valeur».
L'accent est mis ici sur la nature de l'objet dela passion et sur la nature de la passion elle-même.
L'amour est pire que lahaine parce qu'en aimant quelque chose qui ne le mérite pas, nous nouscomportons de façon injuste à l'égard de tout le reste, parce que nousnégligeons le monde entier pour satisfaire une passion sans valeur;inversement, bien que ce soit un mal, notre haine ne touchera que son objetpropre, et nous pourrons nous comporter avec justice dans toutes les autrescirconstances.Par ailleurs, on peut déduire aussi de la phrase de Descartes qu'a contrario,l'amour que l'on a pour ce qui mérite d'être aimé (l'amour du père de famillepour ses enfants et non pas celui de l'ivrogne pour le vin) mérite d'êtrecultivé, parce que son objet est conforme à ce qu'attendrait la sagesse.
[2.
La passion peut nous rendre joyeux.]
Il faut en outre avoir à l'esprit qu'une passion comme l'amour peut nous aider à être vertueux et, par là même, sagesen nous rendant joyeux.
«L'amour, tant déréglée qu'elle soit, donne du plaisir» nous dit Descartes.
La sagesse esten effet le contraire de la tristesse et de l'abattement.
À la suite d'Épicure, Kant nous le rappelle dans La Religiondans les limites de la simple raison : le sage doit avoirle coeur joyeux, sans quoi il ne sera pas disposé à faire le bien.
«De quelle nature est la disposition esthétique, pourainsi dire le tempérament de la vertu, courageux donc joyeux ou abattu par la crainte et découragé? Eh bien, uneréponse est à peine nécessaire.
Cette dernière disposition de l'âme propre à un esclave ne se rencontre jamais sansune haine cachée de la Loi et le coeur joyeux (...) est un signe de l'authenticité d'une intention vertueuse.» Les.
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