Devoir de Philosophie

La raison vient-elle uniquement de l'expérience ?

Publié le 18/02/2004

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Raison même à laquelle on prétendait l'opposer. C'est la grande leçon apportée par la Philosophie kantienne que la position d'une structure rationnelle de l'Expérience. Le tableau qui nous paraît « offert » par la Nature répond non seulement à un Tout lié, mais à un Tout lié d'une certaine manière suivant certaines exigences répondant aux cadres de l'Entendement. Nous irons même jusqu'à dire que, sur ce point, la thèse kantienne demande à être renforcée. Non seulement en effet, la nécessité fait partie intégrante de l'expérience, mais on est en droit de se demander si elle n'en constitue pas l'essence même. Le tumulte des impressions ne nous livre le monde extérieur qu'à travers des sensations éminemment subjectives d'une part, constamment changeantes d'autre part, comment constituer dès lors avec ce qui vient de nous et change comme nous un monde d'objets s'opposant à nous et résistant aux caprices de notre imagination ? C'est que précisément il existe « entre » ces impressions des liaisons nécessaires et immuables contre lesquelles toutes nos préférences, toutes nos dispositions subjectives viennent se briser, une détermination qui, pour reprendre une formule de Lachelier est « quelque chose de distinct de nous puisqu'elle s'impose à nous. » Ce qui nous conduit à conclure sur ce point avec l'auteur précité : « Qu'une nécessité, dont nos sensations en tant que telles ne sauraient rendre compte, constitue par cela même une existence aussi distincte de la nôtre qu'on peut raisonnablement demander. » Ainsi la Raison semble, dans son essence, devoir se définir par un minimum : par une tendance vers l'Unification nécessaire, par le besoin de comprendre, c'est-à-dire de saisir ensemble les données fournies à l'esprit au lieu de se perdre dans leur multiplicité. Elle se bornerait à exprimer au sein de l'expérience une orientation vers l'Unité de cette Expérience et, en nous éloignant de cette pauvreté originelle nous sentirions se perdre la nature intime de la Rationalité.

« », qu'elle refuse le total changement et suppose dans toutes ses opérations l'existence d'éléments fixes, d'idées quisoient elles-mêmes et non leur contradictoire.

Que resterait-il de la Raison sans un tel besoin « de stabilitéintellectuelle » classiquement désigné sous le nom de « Principe d'Identité ».Ainsi l'exigence d'unification n'est pas quelconque, elle est déjà orientée.A vrai dire, certains penseurs ont pu soutenir qu'il n'y avait pas à dépasser cette première détermination, quel'exigence d'Identité suffisant à poser les notions suffisait encore à les relier.

D'après eux, une fois réalisés desconcepts fixes, l'esprit porté par son mouvement au delà des résultats obtenus chercherait à retrouver sous cesconcepts eux-mêmes en apparence divers quelque chose d'identique, susceptible de les réunir, si bien que le feudifférent de la fumée se confondrait à certains égards avec la fumée, que la pluie à l'analyse se réduirait au nuage,que l'énergie calorifique se ramènerait à l'énergie cinétique.Mais on fera remarquer à bon droit que le besoin de stabilité n'exprime que partiellement l'exigence d'un esprit quisans doute oppose à la dispersion un effort unificateur mais qui invinciblement cherche à réaliser un Progrès aucours de cette unification même.Comment rendre compte d'une relation de cet ordre, comment expliquer qu'un fait trouve sa source dans un autrefait sans y être contenu ? Peu importe puisqu'il s'agit ici de constater des exigences mentales et non d'en fournirl'explication.

Or, à prendre les choses de ce biais, il semble bien que l'originalité de la relation causale, c'est-à-direde la liaison de deux phénomènes dont l'un ne saurait être réduit à l'autre, soit hors de discussion et qu'au principed'identité puisse ainsi légitimement être adjoint un principe de causalité.Mais ces principes fondamentaux ne sont isolables que par abstraction au sein d'une structure mentale qui sembletout entière pouvoir être intégrée au domaine de la Raison.Ces relations établies en effet entre des termes clairement et distinctement posés, elles ont trait à un nombrevariable d'objets, elles sont soit affirmées, soit niées, et cela purement et simplement ou avec un caractère denécessité.

C'est à une telle spécification de la fonction d'unification que répond l'établissement d'une liste decatégories, telle que nous la fournit par exemple la philosophie critique.Seulement, c'est là un chemin sur lequel il est bien difficile de s'arrêter.A mesure en effet qu'on poursuit sur ce point l'analyse, on voit les cadres de la Raison se multiplier, toute matièrede savoir devenant forme par une de ses faces, toute connaissance devenant une règle applicable auxconnaissances à venir.Kant n'a pas été sans tirer cette conclusion avec toute la rigueur possible, lui qui multiplie les intermédiaires entreles cadres constitués par les catégories et l'expérience à laquelle ces cadres s'appliquent, montrant par cettetentative même pour préciser les frontières de l'entendement l'instabilité des limites séparant le savoir de l'activitésusceptible de l'organiser.Inévitablement, la philosophie critique aurait été conduite dans ces conditions à chercher dans l'Expérience l'originede certaines des formes rationnelles si Kant n'avait été à même de faire appel à ce qui constitue un ressortfondamental de sa doctrine : L'Idéalité de l'Espace et du Temps retranchés ainsi de l'Expérience externe.C'est en effet d'une sorte de chimie mentale où entrent comme composants les catégories et le Temps tenu pourune espèce de matière interne que la Philosophie critique a pu extraire, sans sortir de la Pensée, des intermédiairesde plus en plus étroitement adaptés à l'Expérience tels que les Schèmes et les Principes.Mais il est aisé de constater qu'une semblable délimitation est arbitraire.

Acceptons même en effet l'hypothèseassez discutable qui fait jouer au Temps le rôle d'une Intuition intérieure dont sortiraient sous l'action des catégoriesdes cadres organisateurs nouveaux, il n'y aurait, hors le désir de tenir la Raison pour totalement a priori, aucun motiflégitime pour refuser d'intégrer à l'Entendement au même titre que les cadres organisateurs nés de l'élaboration del'expérience interne, ces autres cadres organisateurs nés de l'application des formes ainsi obtenues à l'expérienceexterne.Tous les penseurs inspirés par la doctrine kantienne ont senti ce qu'il y avait d'artificiel à placer la frontière de laRaison en deçà du premier axiome mathématique et de la première loi de la mécanique; aussi n'y a-t-il pas lieu des'étonner si une barrière aussi fragile est chaque jour moins respectée.Toute expérience annexée à la construction rationnelle devient en effet une règle de structura dont le Donné avenir subit l'emprise, chaque forme ainsi obtenue constituant un étage nouveau permettant d'atteindre une matièrejusqu'alors inorganisée, si bien que tout le donné vient ainsi graduellement s'intégrer à l'activité organisatrice quel'on prétendrait vainement en séparer.Sans doute ne saurait-on soutenir que les ressorts de la Pensée ainsi réalisés soient encore applicables à n'importequel domaine de la Pensée, que les lois de la thermodynamique puissent guider une réflexion appliquée àl'organisation sociale, que la somme des équations différentielles puisse être opérée à travers les principes de lachimie générale.

Mais d'abord il n'est pas non plus besoin d'insister longtemps pour saisir l'accroissement depuissance que l'instrument rationnel tire ainsi d'une adaptation toujours plus étroite à l'objet étudié; en outre, parl'intermédiaire de ces constructions que vient sans cesse enrichir davantage l'apport empirique, les principesrationnels et les connaissances qui en sont dérivées se tiennent, formant ainsi non une collection de vérités mais,pour reprendre une expression célèbre, une seule et immense vérité.

Sans doute Newton a-t-il trouvé dans le calculinfinitésimal un secours plus efficace que dans le principe d'identité, mais la réalisation du calcul infinitésimal nesuppose-t-elle pas la référence au Principe d'Identité ?Ainsi, dans les positions avancées situées au contact direct d'un certain domaine du Donné comme dans les ressortsfondamentaux dont tout le domaine de la Pensée est tributaire, nous avons toujours affaire à la Raison sansqu'aucune différence de Substance puisse être déterminée entre la forme de l'Intellect et la matière sur laquellecette forme s'exerce.Nourrie d'une expérience passée lui permettant de s'appliquer avec une efficacité accrue à l'expérience à venir, laRaison s'étend au delà d'une forme de subsomption, au delà des catégories, des schèmes, des Principes pour venir àla limite se confondre avec la Science.Seulement ne risquons-nous pas de voir s'appliquer à la détermination de la nature d'une Raison, ainsi définie. »

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