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La vocation de l'art consiste-t-elle nécessairement à rendre "durable"ce qui n'est que "fugitif" ?

Publié le 19/10/2005

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L'expression « la vocation de l'art » désigne le but que nous recherchons à travers l'art, la fonction que nous attribuons à cette activité de productions d'artefact et que l'artiste s'efforce de remplir. L'adverbe « nécessairement » a une importance décisive dans ce sujet, dans la mesure où il nous invite à nous demander si dans tous les cas, toutes les circonstances, l'art a la vocation de rendre durable ce qui n'est que fugitif. Nous aurons à nous préoccuper de la précision sémantique apportée par cet adverbe. Quelque chose de durable est quelque chose qui présente une continuité dans le temps, qui s'inscrit dans la durée et y demeure dans le même état. A l'inverse, quelque chose de fugitif est quelque chose qui n'a qu'une faible permanence, qui ne s'inscrit pas dans la durée mais qui « fuit » immédiatement (pour reprendre l'étymologie latine de ce terme : « fugire » : fuir). Dans le contexte qui nous occupe, à savoir celui de l'art, nous pouvons préciser ce que nous entendons par « durable » et « fugitif » : ce qui est fugitif, ce sont les sentiments de l'artiste, ses impressions, qui n'ont aucune inscription durable dans le temps, ou alors l'esprit passager de l'époque dont il tire le contenu de son inspiration. Le durable, au contraire, c'est ce qui passe par l'intermédiaire de l'artiste dans le domaine de l'oeuvre, qui s'inscrit dans le temps en prétendant à la pérennité. En nous demandant si la vocation de l'art consiste nécessairement à rendre durable ce qui n'est que fugitif, nous cherchons à déterminer si tous les produits de l'art et toutes les formes d'art font passer dans le domaine du durable, de la pérennité, ce qui n'est que fugitif et passager.   La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l'art est un procédé valable pour pérenniser les sentiments et les existences fugitives.   I.

Lorsque nous parlons d’art, nous employons un terme qui recouvre en réalité deux dimensions distinctes. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Ainsi, l’activité de l’artiste et celle de l’artisan étaient recouvertes par le même terme. Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l’une à l’autre, qu’elles possèdent chacune une spécificité à élucider. Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d’une part ce qui distingue l’art de l’horloger de celui du poète, l’activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art «. L’expression « la vocation de l’art « désigne le but que nous recherchons à travers l’art, la fonction que nous attribuons à cette activité de productions d’artefact et que l’artiste s’efforce de remplir.

 

L’adverbe « nécessairement « a une importance décisive dans ce sujet, dans la mesure où il nous invite à nous demander si dans tous les cas, toutes les circonstances, l’art a la vocation de rendre durable ce qui n’est que fugitif. Nous aurons à nous préoccuper de la précision sémantique apportée par cet adverbe.

Quelque chose de durable est quelque chose qui présente une continuité dans le temps, qui s’inscrit dans la durée et y demeure dans le même état. A l’inverse, quelque chose de fugitif est quelque chose qui n’a qu’une faible permanence, qui ne s’inscrit pas dans la durée mais qui « fuit « immédiatement (pour reprendre l’étymologie latine de ce terme : « fugire « : fuir). Dans le contexte qui nous occupe, à savoir celui de l’art, nous pouvons préciser ce que nous entendons par « durable « et « fugitif « : ce qui est fugitif, ce sont les sentiments de l’artiste, ses impressions, qui n’ont aucune inscription durable dans le temps, ou alors l’esprit passager de l’époque dont il tire le contenu de son inspiration. Le durable, au contraire, c’est ce qui passe par l’intermédiaire de l’artiste dans le domaine de l’œuvre, qui s’inscrit dans le temps en prétendant à la pérennité.

En nous demandant si la vocation de l’art consiste nécessairement à rendre durable ce qui n’est que fugitif, nous cherchons à déterminer si tous les produits de l’art et toutes les formes d’art font passer dans le domaine du durable, de la pérennité, ce qui n’est que fugitif et passager.

 

La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l’art est un procédé valable pour pérenniser les sentiments et les existences fugitives.

 

« La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l'art est un procédé valable pour pérenniser lessentiments et les existences fugitives. I.

La vocation de l'art consiste nécessairement à rendre durable le fugitif a.

L'art est dans le domaine de l' « œuvre », non du « travail » Nous commencerons par soutenir la thèse qu'il appartient à la nature même de l'art de rendre durable ce qui estfugitif, de sorte qu'il s'agit nécessairement de sa vocation.

Pour le montrer, nous ferons un détour par l'ouvraged'Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne .

La philosophe nous rappelle en effet que durant l'antiquité romaine, les maîtres se déchargeaient sur leurs esclaves du fardeau du travail, c'est-à-dire de la nécessité d'entrerdans le cycle de production et de destruction nécessaires à l'existence.

Le travail se distingue ainsi pour H.

Arendtde « l'œuvre » et de « l'action » : de « l'œuvre » car il n'a aucune pérennité, contrairement à elle qui s'inscrit dansle temps pour y durer ; de « l'action », car l'action modifie la configuration de la réalité par l'enchaînement descauses et des effets, alors que le travail n'est qu'une production de biens périssables, préalable à leur consommationet à leur reproduction, un éternel recommencement.

A la lumière de cette distinction entre travail, œuvre et action,nous pouvons proposer une réponse à la question qui nous est posée : il semble que la vocation de l'art estnécessairement de rendre durable ce qui est fugitif, car les produits de l'art n'appartiennent ni à la temporalitécyclique du travail, ni à la temporalité courte de l'action, mais bien à la temporalité durable de l'œuvre. b.

L'art et la prétention à figer dans l'airain les actions humaines Cette vocation de l'art à rendre durable ce qui est fugitif, nous la trouvons exprimée, mise en abyme, dans lesœuvres d'art elles mêmes.

Quoi de plus fugitif qu'une action, qui s'inscrit dans un court espace de temps pourmodifier ou non la réalité humaine par l'enchaînement causal ? Or, l'art peut précisément avoir pour vocation derendre durable ces actions en les décrivant dans les mots ou la peinture.

Homère, par exemple, prétend graver dansl'airain les exploits de la guerre de Troie, il se fait l'historiographe de ces prouesses guerrières avec l'intention de lestransmettre par le médium de l'écrit aux générations futures.

Mais l'art ne fait pas que rendre durable les fugitivesactions humaines, mais aussi les impressions, les données de la sensibilité.

Par exemple, Rimbaud parle dans Une saison en enfer de « fixer des vertiges ».

Il semble donc que la vocation de l'art est nécessairement de rendre durable ce qui n'est que fugitif. II.

La vocation de l'art ne peut consister nécessairement à rendre durable le fugitif a.

Les arts du temps, du fugitif au fugitif Cependant, il semble que nous ne pouvons affirmer aussi brutalement la thèse que la vocation de l'art estnécessairement de rendre durable ce qui n'est que fugitif.

En effet, cette thèse souffre des exceptions, qui nousinvitent à relativiser la portée de l'adverbe « nécessairement ».

Prenons l'exemple des arts du temps, comme lamusique.

Certes, la partition qui traduit les impressions fugitives de l'artiste est durable, reproductible, elle s'inscritdans le temps.

Mais elle n'est pas l'œuvre d'art elle-même : l'œuvre musicale, c'est la musique elle-même, jouée,interprétée.

Or, la musique aussi est fugitive : fugitive car elle ne dure que le temps de la représentation, et fugitiveaussi parce qu'elle est en réalité interprétée une seule fois, chaque représentation musicale étant une nouvellevariation sur le même canevas donné par la partition.

La vocation de l'art ne peut donc consister nécessairement àrendre durable ce qui n'est que fugitif, car les arts du temps sont aussi fugitifs que les impressions sensibles qu'ilstraduisent. b.

Les arts de l'espace, du durable au fugitif Mais ce que nous venons de dire es également vrai, dans une certaine mesure, pour les arts de l'espace.

Prenonsl'exemple d'une représentation théâtrale : elle aussi n'a qu'une courte durée, elle présente des interprètes qui nejoueront jamais exactement de la même manière, dans le même ton, avec la même justesse.

Ce type d'art est toutaussi fugitif que la musique.

Mais si nous prenons l'exemple de la sculpture, nous verrons que paradoxalement, c'est. »

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