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L'Assujettissement Féminin Au XVIIIe siècle

Publié le 26/09/2010

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Dans quelle mesure le courant libertin peut être considéré comme progressiste ou comme un renforcement de l'assujettissement féminin ?

 

Il faut distinguer, lorsque l'on parle de courant libertin, le simple libertinage de pensées du XVIe siècle qui désignait les personnes sans religion, du libertinage de moeurs tel qu'il est dépeint dans l'œuvre de Choderlos de Laclos, Les Liaisons Dangereuses. Toutefois, le libertin de mœurs est forcément un libertin d'esprit puisque cette course effrénée pour la recherche du plaisir ne se fait pas dans le respect de la morale judéo-chrétienne. De plus, la femme occupe une place très particulière dans ce roman épistolaire, en effet, la Marquise de Merteuil n'est pas seulement une spectatrice passive de la comédie humaine, elle en est une actrice brillante. Enfin, ce rejet de la religion et la primauté de la raison sur la religion n'est pas sans rappeler le courant humaniste, nous pouvons donc nous demander si le courant libertin est effectivement progressiste ou au contraire un enlisement dans l'assujettissement féminin. Il sera successivement étudié la vision de la femme comme une proie puis l'aspect progressiste de ce courant et enfin le reniement de leur humanité. Dans un premier temps, il est vrai que nous pouvons considérer que le courant libertin est un renforcement de l'assujettissement féminin à travers les métaphores filées de la chasse et de la guerre et l'animalisation de la femme. En effet, tout au long du roman, et plus particulièrement sous la plume de Valmont et Merteuil, nous retrouvons la métaphore de la chasse et de la guerre pour la conquête amoureuse. Ces deux métaphores font de la femme à conquérir soit un gibier à abattre soit un ennemi à vaincre ; et c'est en ces termes que Valmont fait un compte rendu du "viol" de Cécile à Mme De Merteuil : "Sûr de saisir ma proie, si je pouvais la joindre, je n'avais besoin de ruse que pour m'en approcher". (Lettre XCVI) La séduction amoureuse devient un véritable champ de bataille où l'élaboration de stratégies est primordiale. Le libertin devient un grand guerrier, et en retire un orgueil sans pareil "Jugez moi comme Turenne ou Frédéric [...] Je me suis donné, par de savantes manœuvres, le choix du terrain et celui des dispositions ; j'ai su inspirer la sécurité à l'ennemi, pour le joindre plus facilement dans sa retraite [...] avant d'en venir au combat" (Valmont, lettre CXXV). La description de cette parade nuptiale place le libertin mâle dans une position de supériorité indiscutable, reniant tous faits extérieurs, ne prenant en compte que son habileté à la séduction. Enfin, les années 1780 sont relativement pacifiques, les hommes de guerre sont donc désœuvrés, il n'est donc pas étonnant que ces centres d'intérêts soient appliqués à la séduction amoureuse. De plus, dans ces métaphores, la femme occupe le rôle du "gibier" ou celui de l'"ennemi" si elle n'est pas considérée comme un moyen quelconque pour accéder au plaisir. Ni la femme, ni les sentiments, ni le désir qu'elle inspire ne sont une finalité. "Laissons le braconnier obscur tuer à l'affût le cerf qu'il a surpris ; le vrai chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas ?" (Valmont, lettre XXIII) ; Le Vicomte parle ici de la Présidente de Tourvel, qu'il se fait un devoir de séduire, et même plus, "ce n'est pas assez pour [lui] de la posséder, [il veut] qu'elle se livre" (Valmont, lettre CX). Plus qu'animalisée, la femme est ici réifiée. Elle est présentée comme insignifiante devant la toute puissance du Vicomte, elle n'est plus rien d'autre

 

qu'un animal qui se débat avant sa longue agonie "Dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arrière ; elle épuise ses forces pour gravir péniblement un court espace" (Valmont, XCVI). La femme en tant que personne n'a donc aucune importance. Il y a seulement certaines femmes qui se distinguent par leurs qualités, leurs caractères ou bien ce qu'elles représentent, cela a le mérite de glorifier l'homme qui les aura possédées. Par exemple, la vertu de Mme de Tourvel, sa droiture et sa morale, en font un "gibier" fascinant. Valmont retire de la fierté à avoir "vaincu" les principes inflexibles de la religion. Nous avons étudié le libertinage comme assujettissement féminin, toutefois, à travers le personnage de la Marquise de Merteuil, nous pouvons constater que certaines femmes profitent largement de ce courant et assument pleinement leur sensualité. Le caractère progressiste du mouvement libertin dans Les Liaisons Dangereuses est montré à travers Mme de Merteuil, tout particulièrement dans sa lettre LXXXI, où elle fait l'apologie de la raison et de l'étude. En effet, la Marquise est la seule femme dans ce roman à être libertine. Toutefois, ce n'est pas un fait publiquement reconnu, puisqu'elle conserve une image de marque dans la société. C'est là toute l'ambigüité de ce personnage : elle est à la fois respectée en tant que Veuve vertueuse mais aussi comme libertine invétérée. "Ces reconnaissantes duègnes s'établirent mes apologistes; et leur zèle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage, fut porté au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti prude criait au scandale et à l'injure" (Merteuil, lettre LXXXI). C'est dans sa correspondance avec Valmont que l'on découvre toute l'étendue de ses principes libertins : elle le prend en confidences et lui explique qu'elle est "née pour venger [son] sexe et maîtriser le [leur]". Elle s'affiche devant le vicomte au summum du libertinage : "Et qu'avez-vous donc fait, que je n'aie surpassé mille fois ?". (Merteuil, lettre LXXXI). Cela suppose pour la Marquise de Merteuil des études préalables. Elle s'est fait un devoir durant sa jeunesse de percer les secrets des mœurs de l'époque. Dans la lettre autobiographique de Mme de Merteuil, nous pouvons trouver une facette de l'aspect progressiste du libertinage. Dans la mesure où il s'agit de jouer un rôle en société, il y a un réel travail de profondeur sur l'esprit et le corps, soit l'être et le paraître. Tandis qu'elle méprise l'humanité "Les sots sont ici bas pour nos menus plaisirs." (Merteuil, lettre LXIII), elle s'attache néanmoins à étudier son fonctionnement, en particulier sur elle-même : "j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin et plus de peine pour réprimer les symptômes d'une joie inattendue.". De plus, nous retrouvons tout au long de cette lettre le champ lexical de l'étude avec les termes "réflexions, observer, réfléchir, instruire, chercher, travailler, science". Le libertinage accorde donc une importance toute particulière à la raison, à opposer aux passions de la préciosité. Ce qui fait la particularité de ce mouvement, est en quelque sorte sa prédilection pour le milieu aristocratique. Le libertinage suppose en effet de l'éducation, du temps, et un public ; il est donc l’apanage de la cours. Il garde ainsi un certain prestige, n’est pas libertin qui veut ! Enfin, le libertinage est progressiste parce qu’il est dans le reniement de la religion, à l’instar de l’humanisme. Ce mouvement est donc progressiste par la possibilité qu’il offre aux femmes de vivre leur sexualité et par le privilège qu’il accorde à la réflexion. Toutefois, ce

 

courant de penser n’est pas répandu dans la société : c’est quelque chose de choquant et de caché. Le libertinage peut-être vu comme un réseau de relation sous-terrain. Puisqu’en effet tout passe par l’apparence, et que par définition, les apparences ne sont pas ce qu’elles semblent être, les relations des gens de la cours sont complexes. Ainsi la Marquise de Merteuil se montre avec des prétendants qu’elle n’apprécie pas et ne fréquente pas ses amants. Le fait que ces relations soient cachées posent le problème de la limite : elles n’en n’ont aucune. Et de l’absence de limite naît l’absence de morale. Les problèmes du libertinage ne relèvent donc plus de l’immoralité mais de l’amoralité. L’extrême exemple du genre serait une œuvre au hasard du Marquis de Sade. On ne sait donc considérer le libertinage comme progressiste ou non. Nous sommes tous des animaux doués de raison. D’un côté les libertins renient leur humanité en reniant leurs sentiments : « je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l'amour; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l'inspirer et le feindre. « (Merteuil, lettre LXXXI), ils trouvent un plaisir sadique dans le malheur et la chute des autres. Mais d’un autre côté, ils acceptent totalement la raison, et même la vénère, leurs plans machiavéliques nécessitent cette raison. Leur humanité est donc acceptée et dépassée pour accéder à un empire exercé sur eux-mêmes et leurs sentiments, un contrôle de soi parfait. Finalement, à trop se contrôler, on se bride. C’est ce que montre les lettres de la Merteuil à Valmont, elle lève son auto-censure, lui dit tout ce qu’elle a sur le cœur… et s’en repend. Le libertinage est donc un choix de vie à double tranchant, promettant un choix de partenaires sexuels nombreux, mais une vie tout à fait solitaire. Car personne ne peut se connaître entièrement dans la mesure leur réputation est à préserver. De cette étude, nous pouvons conclure que le libertinage, n’est pas réellement un progrès. Il remplace l’assujettissement de la religion par celui du paraître. Le plaisir devient une finalité, prioritaire sur tout. Les hommes comme les femmes sont rabaissés au rang de « machine à plaisir «. Il n’y a pas de respect, tout au plus une vague reconnaissance pour la personne ayant réussi le plus mauvais coup ou ayant obtenu une conquête par des moyens intéressants. Toutefois, malgré son statut de « gibier « ce n’est pas un assujettissement de la femme en particulier : les hommes ont seulement moins de mal à faire valoir leurs prouesses dans le beau monde. Le libertinage peut-être vu comme le reflet d’une société frustrée, car éprouve-t-on réellement un quelconque plaisir après avoir renié une partie de nous-mêmes et de l’humanité entière, les sentiments ?

 

 

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