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Le langage est-il le masque de la pensée ?

Publié le 31/10/2005

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langage
Le mot réalise donc la pensée, lui donne une extériorité mais en même temps il la réalise sous une forme particulière qui va exclure d'autres formes. Le mot n'est qu'une des possibilités de la pensée, il n'est qu'un vêtement. Le mot est plat, précis, net déterminé et n'a aucune auréole. La pensée est toujours plus nuancée, plus riche. La pensée est toujours plus profonde que le langage. Il y a donc un ineffable qui n'est pas seulement le monde du coeur ou des sentiments mais qui est aussi la pensée -cette pensée qui ne peut être traduite par les mots. En cela, le langage serait un masque de la pensée et l'empêcherait de se dévoiler. Toutefois, qu'exprimer sans le truchement des mots ? Le "masque du langage" n'est-il pas plutôt le signe d'une pensée mal assurée ? (a) Le langage comme masque de la pensée  ¨     Bergson et le mot-étiquette.

Qui n'a pas fait l'expérience de « chercher ses mots « ? Cette expérience témoigne de l'existence d'une pensée antérieure à la parole, d'une antériorité à la fois de temps et de causalité. Il y a là quelque chose que nous pensons comme un « encore à dire «, une sorte de pensée antérieure à tout discours, même intérieur. Tantôt nous ne trouvons pas les mots pour le dire soit parce que, jusqu'à présent, cela n'a pas encore été dit et qu'il faudrait avoir recours à des mots nouveaux, soit parce que notre pensée refuse de faire surface et d'émerger des profondeurs de l'esprit. Tantôt nous trouvons les mots, mais, une fois ceux-ci trouvés, nous avons le sentiment que le langage a pacifié notre pensée, qu'il l'a faite passer à l'être et au repos, voire qu'il l'a pétrifiée.  Dans le langage, notre pensée a son « domicile «, elle se possède elle-même ; la pensée est un désir que le langage satisfait, mais cette satisfaction ne peut être que provisoire. Dans la mesure où le mouvement tend vers le repos, la volonté vers l'habitude, la satisfaction du mot est provisoire puisque le mot est fixe tandis que la pensée est dynamique.  Le mot réalise donc la pensée, lui donne une extériorité mais en même temps il la réalise sous une forme particulière qui va exclure d'autres formes. Le mot n'est qu'une des possibilités de la pensée, il n'est qu'un vêtement. Le mot est plat, précis, net déterminé et n'a aucune auréole. La pensée est toujours plus nuancée, plus riche. La pensée est toujours plus profonde que le langage. Il y a donc un ineffable qui n'est pas seulement le monde du coeur ou des sentiments mais qui est aussi la pensée –cette pensée qui ne peut être traduite par les mots. En cela, le langage serait un masque de la pensée et l'empêcherait de se dévoiler. Toutefois, qu'exprimer sans le truchement des mots ? Le "masque du langage" n'est-il pas plutôt le signe d'une pensée mal assurée ?

langage

« mot oublie les différences, il ne permet que la fixation des généralités : c'est la raison pour laquelle Bergson défend la théorie du mot-étiquette.

Le mot renvoie à une classe d'objets, mais parmi cette classe, il manque la différencespécifique de tel objet de cette classe : le langage a donc tendance à égaliser les contours de toutes choses dansune même classe, manquant par là la mobilité qui est la marque de la vraie réalité, et qui plus est nous habituant àne plus la penser.

En conséquence, la pensée et le langage deviennent hétérogènes et même ennemis : « la pensée demeure incommensurable avec le langage » : il n'y a plus entre eux de commune mesure. Le mot a de ce fait trop souvent tendance à n'être que ce que Bergson appelle un « concept rigide », incapable de saisir la souplesse de la réalité.

Les pires théories du scientisme sont donc à mettre au débit dulangage, en tant que celui-ci se fait le véhicule des conceptions les plus figeantes : le temps homogène est unevéritable idole du langage.

Le scientisme peut être compris comme un verbalisme.

Le langage, donc n'est générateurque d'idées générales, dont il faut aussi peu attendre qu'il nous montre la vraie réalité qu'il ne faut attendre debillets de banque qu'ils renvoient à un objet stable et défini.

Le langage apparaît ici comme une convention aussiraide dans son essence qu'elle est fragile dans son existence. Cependant, ce n'est pas seulement à partir du mot comme voile ou comme étiquette que Bergson rend compte des rapports du langage et de la pensée.

Le langage, dans le droit fil des définitions qui précèdent, paraîtn'être finalement plus qu'un « réflexe », et cependant il n'en a pas toujours été ainsi.

En effet, le langage dans son état originel était capable de renvoyer aux choses sans les voiler ou les étiqueter.

« Le langage même [...] est fait pour désigner des choses et rien que des choses : c'est seulement parce que le mot est mobile, parce qu'il chemined'une chose à une autre, que l'intelligence devait tôt ou tard le prendre en chemin ».

Le langage est à l'origine fait pour les choses, ce qui veut dire à la fois qu'à l'origine il ne saurait désigner des genres des genres ne s'adapteraitpas à des sentiments personnels, et que le langage n'a pas toujours été investi par l'intelligence pour être un moyenà sa discrétion : par conséquent, le langage a aussi su désigner les choses.

Mais l'intelligence a trouvé en lui un bonmoyen d'arriver à ses fins et se l'est approprié, étendant aux états de conscience ce qui ne pouvait valoir que pourles choses.

Néanmoins, le langage fait ici preuve d'autres virtualités : il est peut-être possible d'écarter le rôle del'intelligence pour redonner au langage une certaine positivité. C'est ce que l'exemple de l ‘écrivain nous permet de penser.

En effet, Bergson définit (dans « Le Rire ») l'art comme « une vision plus directe de la réalité ».

Or, il y a bien des arts, littérature, poésie, qui emploient le langage : donc le langage peut lui aussi permettre de voir la réalité et donc de penser.

La question se présente là aussi enapparence sous forme de paradoxe : le rôle de l'écrivain consiste « à nous faire oublier qu'il emploie des mots ». Ecrirait-on malgré les mots ? C'est qu'il y a dans le mot quelque chose qui transcende virtuellement l'usage quenous en faisons habituellement : c'est ce que Bergson appelle sa mobilité, c'est-à-dire son adaptivité à la chose. On peut comprendre cela de deux manières : Ø D'abord en ce que chaque mot transcende le précédent : c'est la multiplicité des mots et des qualifications qui finit ici par rattraper la mobilité de la chose. Ø En un second sens, c'est la métaphore juste qui permet au mot de se débarrasser de son rôle habitueld'attributeur de genres.

L'écrivain est celui qui est capable de faire dire aux mots les spécificités de ce àquoi le mot renvoie.

Il n'est sans doute pas anodin de remarquer ici que cette théorie de la substitutionau « concept rigide » d'un concept « fluide » capable de dire la ré alité, intervient au moment où le roman se révolutionne, et commence à vouloir épouser la mobilité de ce flux intérieur qu'est le flux de laconscience ( Dostoievski , Proust , et bientôt Gide et Joyce ). Il va de soi que ces résultats concernent aussi la philosophie : un tel art d'écrire mis au service de la philosophie (etpar Bergson lui-même, qui s'attribue volontiers les qualités de l'écrivain) permettra de redresser les erreurs philosophiques que le langage et les concepts rigides ont sur la conscience.

Une conversion de l'attention (le bonusage de la liberté) et l'exigence de précision (l'art d'écrire) permettent de substituer au « concept rigide » un « concept fluide » capable de dire la réalité, c'est-à-dire au fond capable de servir et d'exprimer la pensée. Chez Bergson donc, le langage apparaît vis-à-vis de la pensée comme pris dans un double rapport : non seulement le langage, comme tout le système d'habitudes dont il dépend, jette un voile sur la vraie réalité, qui est durée et nepeut donc faire l'objet que d'une intuition, mais encore il renforce en le développant cet aveuglement inscrit dans lesbesoins de la vie, et nous empêche donc littéralement de penser : c'est le sens de la critique des idées générales,et de la définition du mot comme « embryon de concept ».

Bergson ira même plus loin en liant le langage aux erreurs de la philosophie traditionnelle, notamment du scientisme, défini par lui comme un « verbalisme » : il faut sortir de notre langage habituel (et du langage philosophique qui n'échappe pas à la critique) pour considérer ànouveau la réalité avec précision. C'est donc que le langage est capable de servir une autre approche de la réalité : au « concept rigide », un effort, une conversion de l'attention permettent de substituer le « concept fluide », qui s'approche de la chose dans la mesure où il est doué de la même mobilité qu'elle.

Quoi qu'il en soit, et malgré ces concessions, on ne peut pourBergson penser que malgré les mots, quand toutefois on arrive à s'arracher de l'habitude solidifiée que représente notre système linguistique. Le présupposé de l'ensemble de cette analyse est très clair : la pensée, qui ne relève aucunement du même ordreque le langage, le subit au point de vouloir peut-être parfois s'en affranchir.

Bien souvent, quand nous éprouvons unétat d'une inhabituelle intensité, nous arguons de cette inadéquation du langage : « il n'y a pas de mots pour dire. »

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