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Le paradoxe de la passion

Publié le 28/03/2015

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La passion devient alors l'instrument d'une affirmation de soi qui passe par le mépris, le rejet de l'autre, voire la violence (cf. «L'individualisme : la passion de soi?

 

Le devoir de l'Etat est ainsi d'instituer la raison, et il est pour cela nécessaire de l'établir sur des principes «que la passion ne puisse attaquer« (cf. «La passion : fondement de l'autorité?

 

Nous sommes ainsi face à un nouveau «paradoxe de la passion« : établir une liberté suppose de se placer sous le joug d'une autorité.

 

Seul un pouvoir «fort« est à même de faire taire et d'éduquer les puissances «naturelles« qui ôtent à l'homme la possibilité de disposer de lui-même.

 

Voilà sans doute résumée toute l'ambiguïté de la répression des passions : en maintenant l'homme dans «l'état de l'âme« dont parle Chateaubriand, cette répression ne cherche-t-elle pas à établir une concorde et un bien-être (cf. «La répression des passions«, p. 250)?

 

Le thème de la passion pose ainsi le problème du mal d'une façon très originale.

 

La passion semble en fait déjouer toute morale, toute tentative pour distinguer un «mal« d'un «bien« : la ligne de démarcation séparant ces deux termes devient floue tant ceux-ci se confondent et se mêlent.

 

Cela est manifeste dans le cas de passions comme l'ambition ou la cupidité : n'acquièrent-elles pas une utilité sociale et ne concourent-elles pas à établir ou renforcer un bien-être collectif?

 

Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme.

 

Paradoxalement, un aveuglement, ou du moins le fait de ne prendre en considération que sa propre condition, est nécessaire au développement de la collectivité.

 

En ce sens, la passion rend absolument caduque le rôle traditionnel de la morale : édicter des règles de conduite, statuer sur ce qu'il est «bon« de faire ou de ne pas faire.

 

Le «bien« de la passion doit se réaliser grâce à une passivité : il n'est en aucun cas le produit d'une conscience ou de l'astreinte à une quelconque maxime.

 

« La passion exerce sur lui une action.

La perception relève de semblable logique : elle désigne ce que l'on reçoit du monde; elle est le produit de son action sur un être.

C'est une capacité à être « altéré », à devenir « autre » sous l'effet de quelque chose provenant du monde, qui est au fondement d'une sensibilité.

Grâce à cette passivité, un élément qui nous est étranger, qui ne fait pas partie de nous, devient un événement à part entière de notre vie psychique.

La passion s'inscrit dans semblable découverte : quelque chose que je ne pense pas et que je ne veux pas, qui n'est pas un produit de mon esprit, s'impose radicalement à moi.

En ce sens, la passivité prend un nouveau sens : elle nous signale que nous ne sommes pas hors du monde.

Descartes le montre dans son Traité de l'homme : « Les objets extérieurs, qui par leur seule présence agissent contre les organes des sens, et qui par ce moyen les déterminent à se mouvoir en diverses façons, selon que les parties de son cerveau sont disposées, sont comme des étrangers qui[ ...

] causent eux-mêmes sans y penser les mouvements qui sy font en leur présence» (Œuvres et lettres, éditions Gallimard, collection «Pléiade», p.

815).

Pouvoir être «touché», voire dominé dans le cas de la passion, par un objet est précisément le signe de notre « être-au-monde ».

Le « vrai homme » dont parle Descartes est préci­ sément celui qui découvre et accepte semblable état de fait: ce qui occupe son esprit ne provient pas uniquement de lui-même; celui-ci est avant tout le lieu d'une porosité, d'une ouverture au monde.

Loin d'être un pur esprit, nous sommes aussi un corps et un être en rapport avec ce qui nous environne.

Et cette passivité est ainsi la marque de notre inscription dans un univers qui dépasse les limites de notre sub­ jectivité.

La passivité dont il est question ici a donc un sens : elle est la marque d'une action du monde sur notre être.

On ne saurait la considérer comme une simple apathie : cette passivité est liée à une activité, notamment dans le cas de la passion.

En effet, si la sensation est pas­ sagère, la passion est durable et constitue un moteur d'action.

Pâtir rime avec agir, comme dans le cas de la passion amoureuse qui est souvent synonyme d'audace.

Roméo, l'amant de Juliette, déclare ainsi (cf.« Roméo le "passionné", Don Juan le "passionnant"», p.

163): «Sur les ailes légères de l'amour, /j'ai volé par-dessus ces murs.

Car des clôtures de pierre / Ne sauraient l'arrêter.

Ce qui lui est possible, / L'amour l'ose et le fait.

» (Acte Il, scène 2).

Il existe donc un véritable « paradoxe de la passion » : une passivité, le fait d'être sous l'emprise d'un sentiment, permet une activité.

La passion relève d'un énigma­ tique « subir » : cette « sujétion » instaure un rapport au monde, une façon d'être et d'évoluer dans son environnement.

Ce sont les modalités de cette « passivité » qu'il nous faut interroger: la perte d'une volonté -8-. »

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