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LEVI-STRAUSS: Diversité des peuples sans histoire

Publié le 22/02/2012

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histoire
Dans notre perspective, par conséquent, le moi ne s'oppose pas plus à l'autre que l'homme ne s'oppose au monde : les vérités apprises à travers l'homme sont « du monde », et elles sont importantes de ce fait. On comprend donc que nous trouvions dans l'ethnologie le principe de toute recherche, alors que pour Sartre elle soulève un problème, sous forme de gêne à surmonter ou de résistance à réduire. Et en effet, que peut-on faire des peuples « sans histoire », quand on a défini l'homme par la dialectique, et la dialectique par l'histoire ? Parfois Sartre semble tenté de distinguer deux dialectiques : la « vraie » qui serait celle des sociétés historiques, et une dialectique répétitive et à court terme, qu'il concède aux sociétés dites primitives tout en la mettant très près de la biologie; il expose ainsi tout son système, puisque, par le biais de l'ethnographie qui est incontestablement une science humaine et qui se consacre à l'étude de ces sociétés, le pont démoli avec tant d'acharnement entre l'homme et la nature se trouverait subrepticement rétabli. Ou bien Sartre se résigne à ranger du côté de l'homme une humanité « rabougrie et difforme »; mais non sans insinuer que son être à l'humanité ne lui appartient pas en propre et qu'il est fonction de sa prise en charge par l'humanité historique : soit que, dans la situation coloniale, la première ait commencé à intérioriser l'histoire de la seconde; soit que, grâce à l'ethnologie elle-même, la seconde dispense la bénédiction d'un sens à une première humanité, qui en manquait. Dans les deux cas, on laisse échapper la prodigieuse richesse et la diversité des moeurs, des croyances et des coutumes; on oublie qu'à ses propres yeux chacune des dizaines ou des centaines de milliers de sociétés qui ont coexisté sur la terre ou qui se sont succédé depuis que l'homme y a fait son apparition s'est prévalue d'une certitude morale — semblable à celle que nous pouvons nous-mêmes invoquer — pour proclamer qu'en elle — fût-elle réduite à une petite bande nomade ou à un hameau perdu au coeur des forêts — se condensaient tout le sens et la dignité dont est susceptible la vie humaine. Mais que ce soit chez elles ou chez nous, il faut beaucoup d'égocentrisme et de naïveté pour croire que l'homme est tout entier réfugié dans un seul des modes historiques ou géographiques de son être, alors que la vérité de l'homme réside dans le système de leurs différences et de leurs communes propriétés. La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 328-329
histoire

« principe ethnologique. Parfois Sartre semble tenté de distinguer deux dialectiques...

Ou bien Sartre se rési gne...

deux voies, deux impasses, que Lévi-Strauss reconnaît successivement pour revenir enfin à sa méthode. Parfois...

mais où? Dans une note en bas de page, Sartre manifeste un embarras sensible au sujet de « l'historicité » des sociétés sans histoire.

Il écrit : « Il ne faudrait pas définir l'homme par l'historicité — puisqu'il y a des sociétés sans histoire — mais par la possibilité permanente de vivre historiquement lesruptures qui bouleversent parfois les sociétés de répétition.

Cette définition est nécessairement a posteriori, c'est-à-dire qu'elle naît au sein d'une société historique et qu'elle est en elle-même le résultat de transformations sociales.

Mais elle revient s'appliquer sur les sociétés sans histoire de la même manièreque l'histoire elle-même revient sur celles-ci pour les transformer — d'abord par l'extérieur et ensuite danset par l'intériorisation de l'extériorité.

» La pensée sauvage semble ici constituer la riposte à cette note qui l'appelait, ainsi qu'à la page 203 du même ouvrage, qui présente comme trait d'une « nature humaine » acquise les séquelles physiologiquesde la rareté. Il expose ainsi tout son système peut être pris en un sens ambigu : il le déploie, mais aussi il le met enpéril, puisque tout repose sur la coupure tranchée entre nature et histoire, abolie en une phrase(l'homme, c'est cet être rabougri...).

L'alternative ne vaut guère mieux : si l'homme est cela, toutes sociétés confondues au risque de perdre le critère de l'historicité, c'est que la société à histoire prend lesautres en charge et les « historise » en les colonisant (triste définition de l'histoire), soit que cette «colonisation » culturelle prend la forme plus sophistiquée de...

l'ethnologie elle-même, qui donne sens àson objet de l'extérieur (c'est un aspect du « paradoxe anthropologique » auquel Lévi-Strauss peutdifficilement rester insensible). Il demeure à riposter, pour prouver que ces antinomies ou apories tiennent bien à la pensée de Sartre et non àl'histoire contemporaine elle-même. 4.

Trois arguments se succèdent pour prendre en faute le « matérialisme dialectique » du pape de l'existentialisme : la pluralité irréductible des moeurs et coutumes : l'ethnocentrisme universel et, enfin, laquestion de méthode, la place d'un comparatisme dans l'anthropologie. Le premier point accentue la diversité synchronique ou géographique, quand Sartre privilégiait le changementdiachronique propre à l'histoire.

Est-ce là la richesse des pauvres, toujours est-il que, sans ce postulat, le voyageethnologique perdrait de son prix.Le second porte sur le caractère général et non spécifiquement occidental de la croyance à constituer la référenceuniverselle : pour être parfaitement convaincant, il faudrait encore expliquer pourquoi la particularité occidentale estla seule à présenter un projet d'ethnologie comparée, et ceci depuis, au bas mot, la Renaissance (Montaigne), sinondepuis Pline l'Ancien.

La liaison de la « raison graphique » et du projet ethnographique a depuis intéressé desanthropologues de l'anthropologie, tel Jack Goody. L'aspect de méthode récapitule et conclut : on ne peut savoir « ce qu'est l'homme » (de fait, Sartre récuse laquestion), sans discerner les points communs et les différences, ce que la zoologie comparée a déjà compris poursaisir « le vivant » ou « l'espèce ».

On revient au point de départ : étudie-t-on l'homme comme une fourmi, etd'ailleurs, étudie-t-on l'homme?. »

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