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L’HISTOIRE (cours de philosophie)

Publié le 27/01/2020

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histoire

Introduction: Une science moins philosophique que la poésie?

Les Grecs nous ont légué ce beau mot d’«histoire» que nous avons, il est vrai, quelque peu détourné de son sens primitif d’« enquête » : Hérodote (460-395 av. J.-C.) et Thucydide (480-425 av. J.-C.) confèrent à ce simple mot un sens technique qu’il conserve aujourd’hui. Pourtant, les Barbares, c’est-à-dire pour eux, les autres, n’ignoraient pas la chose, même s’ils lui donnaient d’autres noms : ainsi dans la Bible hébraïque nous trouvons non seulement des chroniques (dlvrei ha yamim, c'est le titre d'un livre de la Bible), mais également des récits historiques, qui ne sont pas seulement des généalogies ou des annales, mais bel et bien de l’histoire. Kant, dans une remarque curieuse, n’est pas d’accord puisqu’il écrit à propos de l'histoire grecque :

« Seul un public érudit (gelehrtes) dont la durée a ignoré l’interruption depuis ses débuts jusqu’à nos jours, peut authentifier l’histoire ancienne. Au-delà, tout est terra incognita et l’histoire des peuples qui vécurent ignorés par lui ne peut commencer qu’à partir de l’époque où ils y entrèrent. C’est ce qui arriva au peuple juif à l’époque des Ptolémées, avec la traduction de la Bible en grec, sans laquelle on ne pourrait accorder que peu de crédit aux informations isolées qu’ils rapportent sur leur propre compte. A partir de ce moment (si ce commencement a été au préalable convenablement découvert), on peut remonter leurs contes. Et il en est ainsi de tous les autres peuples. La première page de Thucydide, dit Hume, est l’unique commencement de toute l’histoire vraie. »

(« Idées pour une histoire universelle » (1784), in Werke Darmstadt 1975 T. IX p. 48, trad. fr. La philosophie de l’histoire, p. 77)

On peut s’étonner de voir qualifier les récits bibliques d’informations isolées : ne concernent-ils pas autant l'entourage du peuple hébreu que les illustres historiens hellènes, et le passage de la langue sacrée au grec transforme-t-il le contenu de ces récits ? La pointe est évidemment dans le public cultivé : elle sous-entend que les Hébreux, « isolés » qu’ils étaient, ne pouvaient, en dépit de l'idéal universel des Prophètes (cf. Isaïe), prétendre à la culture qui suppose l'universalité. Comme si grec et culture se conjuguaient nécessairement. Que les Grecs marquent une période, voilà qui est purement relatif aux Grecs et à ceux qui s’en veulent les descendants « sans interruption ». La référence à la première page de Thucydide accroît le malaise :

« Thucydide l’Athénien a composé un ouvrage sur la guerre que se livrèrent Péloponnésiens et Athéniens ; il s’y était mis dès qu’elle commença et il croyait qu’elle serait importante et particulièrement mémorable par rapport aux guerres antérieures ; selon ses conjectures, les deux parties

L’HISTOIRE

Une science moins philosophique que la poésie?

1. Le Tout et les Parties: histoire universelle et monographies.

^02. Une science qui ne fait pas du passé table rase : fait et répétition.

Conclusion : Histoire et vérité.

TEXTE

Leibniz, La pyramide des possibles in Théodicée III, §414-416.

mémoire de la cité grecque, c’est elle et non \\’historia qui conserve le passé. Dangereuse concurrente puisqu’elle court par nature, comme le mythe, le risque d’abuser ceux qui l’écoutent, subjugués par son charme magnétique (ion 553 d et sq.). D’où la nécessité de la critique de ces mythes et l’ostracisme d’Homère (banni de la cité juste par Platon); d’où également le rejet des mythes par Thucydide pour l’interprétation des temps anciens, c’est-à-dire antérieurs à la guerre du Péloponnèse. Il n’empêche, l'historia ne prend point le pas sur la poésie par rapport à la science suprême du politique. Aristote a éprouvé de manière remarquable cette espèce de peur grecque devant l’éphémère et le devenir, misérables objets de l’enquête : peur grecque? Non, mais peur des philosophes grecs I

« L’œuvre propre du poète n’est pas de dire ce qui est advenu (ta gino-mena) mais les possibles qui adviendraient vraisemblablement ou nécessairement. L’enquêteur (ho historikos) et le poète ne diffèrent pas par le recours ou non aux rythmes ; il serait possible d’y recourir avec les œuvres d’Hérodote et ce n’en serait pas moins une enquête (historia) avec ou sans rythmes. Voici la différence : l’un dit ce qui est advenu, l’autre ce qui adviendrait. Aussi la poésie montre-t-elle plus de philosophie et plus de sérieux que l’enquête. La philosophie préfère dire l’universel, l’enquête le particulier. Universel : que tel ou tel genre d’homme dira ou fera tel ou tel genre de choses vraisemblablement ou nécessairement, tel est le but de la poésie lorsqu’elle impose des noms aux personnages particuliers : les actions et les passions d’Alcibiade. »

(Aristote Poétique C.9. 1451a 36 - 1451b 11

Avec la poésie, même «historique», l’on a affaire au type, donc à de l’universel approché : moins Achille, pris individuellement, que sa colère, objet de l’Iliade. Certes cette colère n’est pas aussi universelle que celle qu’étudie le philosophe, lorsqu’il classe désirs et impulsions, qui sont de tout l’homme et non d’un tel, fut-il un héros, mais elle échappe à la pauvreté ontologique et épistémologique de l’ire d’un tel, tel jour à telle heure, misérable fait divers, objet d’une pauvre enquête. Si connaître c’est connaître l’universel, l’homme dans Socrate et non pas le fait qu’il soit camus ou blanc comme Callias, mais comme tous ses pareils mortels, l’histoire qui s’attache au particulier est bien frivole, elle qui se complaît dans le détail et le particulier, dans la nonscience en quelque sorte. Mieux valent le poète et ses mythes: ils sont en route vers la science. D’ailleurs si

« l’ami des mythes est en quelque sorte philosophe (ho phïlomuthos philosophas pôs estin) »

suivant la Métaphysique (I, 2, 982 b18), n’est-ce pas parce que l’inverse est aussi un peu vrai ?

Grande est donc la surprise : le commencement de l’histoire vraie est dans la première page de Thucydide, répète Kant après Hume, découvrant à Athènes le premier pas d’une science, qui n’en était pas une aux yeux des premiers usagers philosophiques de cette invention nouvelle. L’effet de paradoxe s’accroît encore si l’on s’avise que Kant est d’accord sur un point fondamental avec le vieil Aristote. Celui-ci rejetait l’histoire comme manquant de sérieux, en raison d’une carence d’universalité de son objet; osera-t-on dire qu’il aurait pu faire une exception en faveur de Thucydide, chez qui l’individu s’efface le plus souvent au profit de généralités, incarnées dans des discours qui renvoient à des collectifs (les Athéniens, les Corinthiens, les Méliens, etc. ; Athènes à travers l’oraison funèbre de Péri-clès). Kant n’est pas loin d’Aristote en ce sens qu’il aborde l’histoire philosophiquement, non comme une enquête portant sur le particulier, toujours contingent et donc inintéressant pour la science, mais comme la manifestation d’un universel qui se manifeste universellement. Pour lui en effet, au-delà des irrégularités et du chaos indéterminé que peut révéler un examen superficiel des actions humaines, se manifeste l’universalité d’un dessein caché de la nature, que l’on ne peut saisir qu’en envisageant l’histoire universellement, c’est-à-dire d’un «point de vue cosmopolitique » : une histoire particulière est aussi inintelligible que celle des Hébreux avant la traduction de la Bible en grec, (il en va autrement de l’histoire universelle, qui met en relation toutes les histoires particulières, comme c’est le cas avec la traduction des Septante, de manière à faire apparaître un objet invisible), sinon au philosophe qui la réfléchit dans sa totalité : l’histoire est le produit de la contrainte qu’exerce sur l’homme la nature en l’obligeant à réaliser une constitution civile parfaite. Restant sur le même terrain qu’Aristote, Kant ne ramène pas l’histoire à la philosophie ; c’est dans l’histoire même qu’il découvre une philosophie : envisagée de manière universelle, l’histoire révèle le dessein total de la nature, ce que la science de la nature elle-même ne saurait donner par elle-même. Condamnée au nom de l’universalité par la philosophie, l’histoire semble donc prendre sa revanche avec Kant, en assurant par son universalité spécifique une tâche qui dépasse, semble-t-il, son champ propre, en lui assignant une fonction médiatrice entre l’homme et la nature. Voilà qui impose une idée : la liaison organique de l’histoire et de la philosophie. Dis-moi quelle est ton histoire et je te dirai quelle est ta philosophie : voilà ce qu’on ne peut dire d’aucune autre science, du moins exacte, mais sans doute des sciences humaines, qui sont toutes des sciences historiques.

histoire

« 1 ntroduction: Une science moins philosophique que la poésie? Les Grecs nous ont légué ce beau mot d'« histoire» que nous avons, il est vrai, quelque peu détourné de son sens primitif d'« enquête»: Héro­ dote (460-395 av.

J.-C.) et Thucydide (480-425 av.

J.-C.) confèrent à ce simple mot un sens technique qu'il conserve aujourd'hui.

Pourtant, les Barbares, c'est-à-dire pour eux, les autres, n'ignoraient pas la chose, même s'ils lui donnaient d'autres noms: ainsi dans la Bible hébraïque nous trouvons non seulement des chroniques (divrei ha yamim, c'est le titre d'un livre de la Bible), mais également des récits historiques, qui ne sont pas seulement des généalogies ou des annales, mais bel et bien de l'his­ toire.

Kant, dans une remarque curieuse, n'est pas d'accord puisqu'il écrit à propos de l'histoire grecque: « Seul un public érudit (gelekrtes) dont la durée a ignoré finterruption depuis ses débuts jusqu'à nos jours, peut authentifier l'histoire ancienne • .

Au-delà, tout est terra incognita et l'histoire des peuples qui vécurent ignorés par lui ne peut commencer qu'à partir de l'époque où ils y entrèrent.

C'est ce qui arriva au peuple juif à l'époque des Ptolémêes, avec la tra­ duction de la Bible en grec, sans laquelle on ne pourrait accorder que peu de crédit aux informations isolées qu'ils rapportent sur leur propre compte.

A partir de ce moment (si ce commencement a été au préalable convenablement découvert), on peut remonter leurs contes.

Et il en est ainsi de tous les autres peuples.

La première page de Thucydide, dit Hume, est l'unique commencement de toute l'histoire vraie.

» («Idées pour une histoire universelle it (1784), in Werke Darmstadt 1975 T.

IX p.

48, trad.

fr.

La philosophie de l'histoire, p.

77) On peut s'étonner de voir qualifier les récits bibliques d'informations isolées: ne concernent-ils pas autant l'entourage du peuple hébreu que les illustres historiens hellènes, et le passage de la langue sacrée au grec transforme-t-il le contenu de ces récits? La pointe est évidemment dans le public cultivé : elle sous-entend que les Hébreux, «isolés» qu'ils étaient, ne pouvaient, en dépit de l'idéal universel des Prophètes (cf.

Isaïe), pré­ tendre à la culture qui suppose l'universalité.

Comme si grec et culture se conjuguaient nécessairement.

Que les Grecs marquent une période, voilà qui est purement relatif aux Grecs et à ceux qui s'en veulent les descendants «sans interruption».

La référence à la première page de Thucydide accroît le malaise : 230 «Thucydide l'Athéuien a composé un ouvrage sur la guerre que se livrè­ rent Péloponnésiens et Athéniens; il s'y était mis dès qu'elle commença et il croyait qu'elle serait importante et particulièrement mémorable par .

rapport aux guerres antérieures ; selon ses conjectures, les deux parties ·. »

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