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Michelet écrit en 1855: "Nous avons évoqué l'histoire, et la voici partout; nous en sommes assiégés, étouffés, écrasés; nous marchons tout courbés sous ce bagage, nous ne respirons plus, n'inventons plus. Le passé tue l'avenir. D'où vient que l'art est mort (sauf de si rares exceptions) ? c'est que l'histoire l'a tué." Est-ce qu'au XIXe siècle l'histoire a tué ou renouvelé l'art et la littérature ?

Publié le 12/04/2009

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michelet

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Le XIXe siècle est certainement le premier où la dimension historique envahit la conscience des écrivains et des artistes. Ce serait une grave erreur de croire que c'est le XXIXe siècle qui a inventé le genre historique sérieux. D'énormes travaux avaient dès le XVIIIe siècle mis fin à l'histoire rhétorique et ornementale (celle où, par exemple, une harangue plus ou moins imaginaire d'un général à ses troupes comptait plus qu'une étude économique des ressources d'un pays): les recherches des Bénédictins avaient contribué à donner le sens de la documentation solide, si bien qu'un Voltaire, malgré son désir d'écrire des livres d'Histoire attrayants et bien composés, fait un des tout premiers en France œuvre de savant (et avec son Essai sur les mœurs il ouvre l'histoire à l'économie). Cependant le XVIIIe siècle, préoccupé de modernité et de progrès, n'a pas encore une conscience historique très développée. Le même Voltaire qui présente une excellente fresque du Siècle de Louis XIV ne sent pas du tout le passé des peuples orientaux, fait d'énormes contresens sur la civilisation biblique antique ou sur l'Arabie de Mahomet (il voit en Mahomet un imposteur). Un Diderot n'imagine que très imparfaitement les civilisations primitives lointaines et un Rousseau, pourtant fort épris d'Histoire romaine et de couleur antique, attribue surtout aux vieux Romains sa propre misanthropie et sa propre méfiance à l'égard de la culture. Même Montesquieu, s'il démonte fort bien les mécanismes de la puissance romaine, ne s'intéresse jamais vraiment aux couleurs de la cité antique; ce qui l'intéresse, c'est plutôt d'en tirer des lois historiques et sociologiques. C'est sans doute avec Chateaubriand et les années de la Révolution française et de l'Empire que les choses vont changer rapidement. en ce sens qu'on s'intéressera au passé en ce qu'il a d'unique, d'irremplaçable, qu'il sera ressenti comme « ce que jamais on (n'a vu) deux fois «. Examiner les causes de ce renversement ne relève pas de notre propos ici. (Rappelons simplement pour information: sentiment de l'accélération du temps due aux événements politiques, références permanentes aux révolutions grecques et romaines et aux institutions romaines telles que le Consulat puis l'Empire aimaient les évoquer, impression de glissement rapide des classes sociales les unes par rapport aux autres, besoin des romantiques de se référer à la tradition nationale pour faire pièce au classicisme, développement de l'éloquence parlementaire, notamment sous la Restauration, appui systématique donné par la Monarchie de Juillet à la recherche d'archives, progrès foudroyant de certaines disciplines comme l'Égyptologie, l'Orientalisme, le Médiévisme, etc.). Ce qui nous intéresse, c'est de constater que, vers le milieu du siècle, un historien, peut-être le plus grand de son temps, est amené à porter un jugement assez sévère sur cette invasion de la méthode historique et sur ses conséquences dans la création littéraire et artistique. Examinons donc, à la lumière de ce que nous pouvons savoir de la pensée de Michelet, ce qu'il condamne, puis tâchons de préciser au nom de quelle conception personnelle Michelet porte cette condamnation et demandons-nous enfin si le XIXe siècle, notamment après 1855. doit ou non en être acquitté.

michelet

« historiens, philosophes, poètes se laissent gagner par les idées germaniques issues de Hegel où l'Histoire est penséecomme un immense devenir, un fieri, un werden.

Jusque-là on croyait à l'Absolu, ou tout au moins à l'Absolu decertaines valeurs philosophiques, religieuses, morales, etc.

Mais voici que vers 1850 il n'y a plus de philosophie, maisune Histoire de la philosophie, plus de religion, mais une Histoire des dogmes, plus de critique littéraire, mais uneHistoire de la littérature.

L'homme est emporté par ce grand mouvement qu'il n'a plus qu'à subir ou avec lequel dumoins toute sa liberté n'est plus que de coïncider.

Dans le contexte des lignes qui nous occupent, Michelet s'enprend d'une façon assez générale, mais vigoureuse, à ces doctrines historicistes qui nous font « croire que le tempsest tout et la volonté peu de choses ».

Le résultat en est évidemment sur le plan moral un terrible pessimisme, quidomine l'œuvre d'un Leconte de Lisle (ne pas oublier chez Leconte de Lisle le lien entre pessimisme et Histoire desreligions), et sur le plan artistique stérilité ou pastiche.

L'art n'est plus une invention, mais une répétition : Viollet-le-Duc (1814-1879) multiplie ses restaurations, voire ses reconstructions de monuments du moyen âge; la peintureofficielle sous le Second Empire devient de plus en plus la peinture historique (par exemple Hippolyte Flandrin.

ledécorateur de l'église Saint-Germain-des-Prés de Paris).

Arnoux dans L'Éducation sentimentale développe « L'Artindustriel » (en revanche, peu de succès sous le Second Empire des peintres qui.

comme Millet ou Manet, veulentvraiment exprimer leur temps ou renouveler l'art).

On dira peut-être qu'une philosophie du devenir devrait inciterl'homme à se renouveler, mais on n'oubliera pas que c'est aussi, que c'est sans doute d'abord une philosophie dutotal où chaque moment est senti comme déterminé dans un ensemble : au moins pour la génération de 1850 il y aun lien profond entre ces nouvelles perspectives historiques et évolutionnistes et un déterminisme radical (cf.Taine).

Bref, selon Michelet.

au fur et à mesure que l'Histoire envahit le siècle, on peut dire que l'érudition éparpillela.

pensée et que la philosophie du devenir historique amollit l'homme dans le sens d'un certain scepticismedéterministe. II La philosophie de l'Histoire de Michelet Cependant une condamnation absolue de l'Histoire par Michelet n'aurait pas grand sens.

Si Michelet est aussi durpour les dégâts causés selon lui par une certaine conception historique, c'est parce qu'il a sa propre conception aunom de laquelle il critique celle qui lui semble menaçante vers 1850. 1 L'Histoire est poésie et création.

Pour Michelet l'Histoire doit essentiellement recréer la vie du passé (rappelons lafameuse formule de la Préface de 1869 : « La résurrection de la vie intégrale », XIXe Siècle, p.

352), le texte estsurtout ce qui vivifie l'imagination de l'historien.

Sans doute, dira-t-on, c'est là purement et simplement la couleurlocale romantique.

Oui et non, car le romantique tel le Hugo des Odes et Ballades ou le Musset des Contesd'Espagne et d'Italie a tendance à se réfugier dans le passé, dont il apprécie le côté figé avec un mélange demélancolie et de sécurité, alors que pour Michelet c'est par une intelligence du passé qu'on arrive à la vie.

La scèned'autrefois reconstituée a une dynamique, liée au fait qu'elle est le produit partiel de l'imagination de l'historien etdonc qu'elle est directement rattachée aux inspirations profondes d'un moderne.

Bref Michelet se veutessentiellement cet historien non asservi aux documents dont rêvera Péguy dans Clio, un historien poète, c'est-à-dire, au sens propre du mot, créateur. 2 L'Histoire est appel à la liberté et à la volonté.

Sur un plan plus moral, chaque instant de l'Histoire ainsi ressuscitéeconstitue un moment d'une rédemption du genre humain, une tentative pour arracher l'humanité aux fatalités du solet du passé.

Par exemple, le christianisme médiéval ne doit pas être reconstitué comme une religion lénifiante ettranquillisante (ou inversement fanatique et dogmatique), dont les Modernes auraient la nostalgie, mais il doit êtresaisi dans la perspective spiritualiste et libératrice qu'il a offerte à un moment de l'histoire humaine : en poussant lesmasses à ériger les cathédrales, il contribuait à les arracher aux fatalités du sol, mais ce n'était qu'une libérationinsuffisante qui asservissait encore l'homme à la grâce; avec la Révolution française, l'homme ne sera plus asserviqu'à la justice.

Précisons bien que chaque tentative de libération n'offre la garantie d'aucune réussite, il faut à toutmoment que la volonté arrache l'homme aux servitudes et le conduise à la liberté par une reconquête de soi sur soi. 3 L'Histoire est un acte de foi.

Cela conduit Michelet à renverser la notion de causalité historique par rapport audéterminisme de type tainien.

La cause en Histoire n'est pas derrière, elle est devant, ce qui ne veut pas dire queles déterminations, par exemple géographiques, n'aient pas un rôle très important à jouer: Michelet ouvre sonHistoire de France par un fameux Tableau de la France (1831) où il étudie longuement les structures locales danslesquelles se jouera le drame français.

Mais ces structures ne seront que des données et elles dépendent avant toutde ce que voudra en faire la France.

Michelet croit à la France, mais comme en une personne dont la force vivetravaille tous les faits.

L'Histoire aboutit donc à un acte de foi.

Michelet croit aux nationalités et à l'humanité commeà de vastes initiatives qui peuvent à tout moment se forger elles-mêmes : « La France a fait la France.

...

elle estfille de sa liberté.

Dans le progrès humain, la part essentielle est à la force vive, qu'on appelle l'homme.

L'homme estson propre Prométhée.

» Quand il développe ces idées, Michelet se défend du reste de tout fidéisme ou de toutmessianisme un peu vague et il pense qu'il ne fait qu'appliquer à l'histoire la notion de cause finale qui commençait às'imposer en biologie (« la vie a sur elle-même une action de personnel enfantement...

Du pain, des fruits que j'aimangés, je fais du sang rouge et salé qui ne rappelle en rien ces aliments d'où je le tire.

Ainsi va la vie historique.»).Au fond, on peut se demander dans quelle mesure en 1855 Michelet n'est pas relativement éloigné de l'Histoire etplus proche de grandes réalités morales, vitales, naturelles : il va publier L'Oiseau (1856), L'Amour (1858), La Femme(1859), La Bible de l'Humanité (1864).

Son romantisme débouche sur une foi plus juvénile que jamais en la vie.

Unecertaine conception de l'Histoire lui semble favoriser ce vieillissement, ce manque de foi qu'il sent chez sescontemporains, et cela notamment depuis l'échec de 1848.

Lui a toujours la foi.

croit en la volonté, en face d'unLeconte de Lisle.

d'un Renan, d'un Flaubert qui vont se donner le spectacle des civilisations qui naissent et meurent.. »

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