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Peut-on construire sa vie comme une oeuvre d'art ?

Publié le 11/02/2011

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• L'intitulé de la question semble, dès lors, nous conduire à un problème : on peut, en effet, se demander s'il n'existe pas une dissymétrie et une hétérogénéité entre les deux membres de la phrase. « Construire sa vie « désigne l'organisation structurée d'une existence par un projet humain, en fonction de valeurs, d'énoncés axiologiques généralement éthiques, ayant trait à la sphère de la pratique et de l'action. Au contraire, « comme une œuvre d'art « renvoie à la sphère désintéressée de l'art, puisque l'œuvre d'art ne se meut pas pour nous dans le monde pratique du désir et du faire; elle nous entraîne fort loin, en une satisfaction désintéressée et purement contemplative, comme l'ont souligné Kant et Hegel.     

« C'est ce paradoxe d'une mise en forme purement désintéressée de son existence qui pose problème dans notreintitulé de sujet : il semble contradictoire de produire sa vie (éthiquement et pratiquement) comme une organisationesthétique (contemplative). 2° Discussion A) Première réponse affirmative : la « vie en beauté ». L'œuvre d'art représente un ensemble organisé manifestant un vouloir esthétique, ensemble qui nous entraîne bienloin des appétits immédiats ou des préoccupations morales et pratiques.

Dès lors, construire sa vie comme uneœuvre d'art, c'est la ramener au libre jeu d'une imagination esthétique et déréalisante, c'est mettre à distance leréel concret, faire s'évanouir le monde quotidien en ne donnant comme forme fondamentale aux projets humains quecelle du Beau.

Cette dernière illuminera tout le vécu de l'homme, mais, du même coup, le déréalisera; construire savie comme une œuvre d'art, c'est unifier son existence en déréalisant toutes choses, en transmutant le quotidien enbelle apparence : telle est la tâche de l'Esthète. De cette esthétisation permanente de l'existence, les exemples littéraires sont nombreux : ainsi Oscar Wilde, leprince des esthètes, tentait-il de faire des moments de sa vie autant de belles apparences.

Ainsi le héros d'un conted'Hofmannsthal, le Conte de la 672e nuit, s'efforce-t-il de mener à bien le projet d'une « vie en beauté».

L'âme,indifférente à la morale, mais aussi à l'action, stylise alors tout sous la forme du Beau.

Le héros d'Hofmannsthal veutconstruire sa vie comme une organisation esthétique, tout transmuter en jouissance désintéressée.

Ainsi parvient-il,ou semble-t-il parvenir, à un ordre supérieur, celui de la belle apparence.

Au chaos du concret et de l'immédiat, dela prosaïque quotidienneté, se substitue l'Harmonie souveraine. Il semble donc légitime de construire sa vie comme une œuvre d'art puisque la forme unifiée de la Belle apparenceremplace alors la décevante quotidienneté : mon existence paraît ainsi profondément organisée et structurée parune exigence supérieure et très haute.

L'esthète se définira comme « l'ouvrier de la beauté de sa propre vie » et satâche paraît devoir être pleinement justifiée. B) Critique : esthétisme, néant, haine. Néanmoins, est-il légitime et possible de construire son existence comme si elle pouvait être une œuvre d'art, demettre à distance le réel concret et de tout soumettre ainsi à la pure forme du Beau? Rien n'est moins certain. Ce projet semble bel et bien recéler la contradiction signalée dès l'Introduction.

Il semble si peu possible et si peulégitime de construire esthétiquement sa vie que cette intention, vouée à l'échec, bute finalement sur le non-être,la désespérance ou la mort.

L'esthète, précisément, loin de construire sa vie, la détruit : Des Esseintes, le héros deHuysmans, dans A rebours, s'il s'adonne d'abord au culte exclusif de la beauté formelle, s'abîme bientôt dans unedemi-folie.

Comme si l'esthète était d'avance promis à cette nuit de la folie ou de la mort.

Comme si, voulantconstruire sa vie comme une œuvre d'art, il ne pouvait que la détruire, s'enfoncer à l'aveugle, de manière mortifère,dans le culte esthétique.

La vie de l'esthète, cette vie en Beauté, ne saurait retenir les forces de la vie, comme lemontre si bien le Conte de la 672e Nuit de Hofmannsthal : le jeune esthète incapable d'aimer autrui, puisque seule laBeauté le retient, non point les êtres vivants et concrets, meurt finalement, solitaire, d'une mort ignominieuse.

Maison pourrait aussi songer à Oscar Wilde qui, comme le héros d'Hofmannsthal, a eu la mort tragique que lui préparaitsa vie d'esthète.

Il semble donc qu'il y ait bel et bien contradiction entre « construire sa vie » et « comme uneœuvre d'art » : la vie et l'art n'appartiennent pas à la même sphère.

A ne vouloir que l'œuvre d'art, on ratefinalement sa vie.

L'esthète aime le Beau, non point les hommes concrets hic et nunc. Sartre a remarquablement souligné, dans Saint Genet comédien et martyr, ce qui mine et tue l'esthète : c'est unméchant, il n'aime pas les hommes et vit dans le ressentiment et dans la haine de soi et d'autrui.

Son « Beau » estune machine de guerre contre l'humanité.

Dès lors, si l'esthète est un méchant, que pourrait-il bien construire? Ildétruit, il tue, mais ne construit pas.

« Le but (de l'esthète) est de réduire l'univers et l'homme lui-même au simplejeu d'une imagination.

Bien sûr il cache ses desseins, il se déclare le pur amant de la Beauté : on ne prend pas lesmouches avec du vinaigre; mais l'esthétisme ne provient nullement d'un amour inconditionné du Beau : il naît duressentiment » (Sartre, Saint Genet comédien et martyr, p.

346, N.R.F.). Il semble, par conséquent, que construire sa vie comme une œuvre d'art soit un projet voué à l'échec, projet néuniquement du ressentiment et de la haine de l'esthète.

Ce dernier, parce qu'il n'aime pas les hommes, se réfugiedans le Beau et veut construire sa vie esthétiquement.

L'esthétisme pur est donc le produit de la haine, c'est unoutil forgé contre les hommes. C) L'esthétique grecque de l'existence : la leçon hellénique. Néanmoins, il semble que ce projet de construire esthétiquement son existence, de faire de sa vie une œuvre d'art,soit susceptible de recevoir une autre acception et une autre signification, plus profondes et plus fondamentales.Dès lors, un éclairage nouveau surgit au sein même de l'expression « construire sa vie comme une œuvre d'art » etparaît pouvoir lui conférer une légitimité.. »

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