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Peut-on parler de progrès dans l'art et la moralité ?

Publié le 16/01/2010

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Voltaire fait volontiers le bilan du progrès historique de son siècle au moyen d'une allégorie : celle du voyage de la Raison. Dans l'Homme aux quarante écus, il conte l'épanouissement de son personnage, M. André, grâce à l'accès simultané à la prospérité et à l'instruction (André fait un héritage et il s'offre une bibliothèque...). La trame même du récit met déjà en relation le développement matériel et spirituel : «La misère avait affaibli les ressorts de l'âme de M. André, le bien-être leur a rendu leur élasticité. « Mais du coup, son héros devient philosophe, apte à juger le «sens de l'histoire« de son temps : «II est aujourd'hui au fait de toutes les affaires de l'Europe, et surtout des progrès de l'esprit humain. « Or voici comment il résume cette grande «affaire« qu'est la marche en avant des Lumières: «Il me semble [...] que la Raison voyage à petites journées, du nord au midi, avec ses deux intimes amies, l'Expérience et la Tolérance. « Soulignons : l'expérience, clef du progrès technique, et la tolérance, aboutissement et critère du progrès moral. Ici prend corps une idéologie, qu'il est tentant de comparer aux traumatismes de notre siècle — la révolution scientifique et technique, et, en même temps les deux guerres mondiales, les camps de concentration, la terreur atomique — pour en apprécier la grandeur et les illusions. Sans vouloir — ce qui ne serait d'ailleurs pas le sujet —faire le bilan des découvertes, des erreurs et des crimes contemporains, il est aisé de faire ressortir des points où le divorce entre progrès technique et progrès moral est accusé, où le premier se met au service d'une régression humaine. On examinera donc, à travers quelques exemples, les fondements de l'optimisme scientifique, avec ses promesses de progrès moral continu de l'humanité, tel qu'il s'est développé à partir de la philosophie des Lumières, pour jouer, notamment au 'axe siècle, un rôle idéologique prépondérant, — avant d'étudier quelques-uns des éléments théoriques et pratiques de sa remise en cause : en évitant, toutefois, de tomber dans le catastrophisme et de s'enfermer, à partir de notre expérience, dans une vision tragique de l'histoire.   

« épique, un tenseur de la pensée et de l'oeuvre.

Lorsque, dans la préface de La Légende des siècles, l'écrivaincherche à rendre compte de la structure de cet immense feuilleton poétique, il confie : «Du reste, ces poèmes,divers par le sujet, mais inspirés par la même pensée, n'ont entre eux d'autre noeud qu'un fil, ce fil qui s'atténuequelquefois au point de devenir invisible, mais qui ne casse jamais, le grand fil mystérieux du labyrinthe humain, leProgrès.

» Or comment exprimer la finalité dernière de celui-ci ? « L'épanouissement du genre humain de siècle ensiècle, l'homme montant des ténèbres à l'idéal, la transfiguration paradisiaque de l'enfer terrestre, l'éclosion lente etsuprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l'autre.

»Ce n'est pas qu'Hugo ignore que le progrès technique peut engendrer la misère et la guerre.

Dans deux longs textes,à la fin de cette même Légende des siècles, il met en oeuvre la dialectique permettant de sortir de l'impasse.

«Pleine mer », d'abord, représente symboliquement un vaisseau titanesque, construit sur la Tamise (une pierre dansle jardin de l'impérialisme british), conquérant des mers doté d'ubiquité, et synthèse des connaissances mécaniquesdu temps.

Certes, il manifeste la maîtrise que l'homme commence à avoir sur la nature : «Il maîtrisait l'autan, le flux, l'éclair, la brume.A son avant tournait, dans un chaos d'écume,Une espèce de vrille à trouer l'infini.Le Malstrom s'apaisait sous sa quille aplani.

» Mais c'est en fait une épouvantable machine de guerre et de conquête : «Il allait, broyant tout dans l'obscure mêlée »,parce que la conscience de l'homme s'est laissée dominer par le moloch matériel et n'a pu, du coup, produire qu'uneversion technicienne du démon, portant d'ailleurs symboliquement le nom de Léviathan, et marquée par cettefiliation jusque dans son apparence, transposition métaphysique de l'usine moderne :« Dans l'antre d'où sortait son vaste mouvement, Au fond d'une fournaise on voyait vaguement Des êtres ténébreuxmarcher dans des nuées D'étincelles, parmi les braises remuées ;Et pour âme il avait dans sa cale un enfer.

»Or le temps et les éléments, interprètes de la Volonté Transcendante, finissent par en avoir raison et n'en laissentqu'une épave.

Inversement, voici, dans « Plein ciel », le rêve, désormais envisageable, de la conquête stellaire : « L'homme est ailé.

Peut-être, ô merveilleux retour !Un Christophe Colomb de l'ombre, quelque jour,Un Gama du cap de l'abîme, un Jason de l'azur, depuis longtemps parti,De la terre oublié, par le ciel englouti,Tout à coup, sur l'humaine rive,Reparaîtra, monté sur cet alérion,Et, montrant Sirius, Allioth, Orion,Tout pâle, dira : J'en arrive ! » Affirmation orgueilleuse de l'antique vocation prométhéenne ? Vieille aspiration des Titans fils de la Terre ? Hugos'écrie : « Pas si loin ! pas si haut ! redescendons.

Restons l'homme, restons Adam.

» Il vaut mieux oeuvrer ici-bas.La montée au ciel doit être plutôt un symbole, celui d'une humanité dominant la technique pour réaliser un idéalmoral : «Où va-t-il, ce navire ? Il va, de jour vêtu,A l'avenir divin et pur, à la vertu,A la science qu'on voit luire,A la mort des fléaux, à l'oubli généreux,A l'abondance, au calme, au rire, à l'homme heureux !Il va, ce glorieux navire,Au droit, à la raison, à la fraternité,A la religieuse et sainte vérité,Sans impostures et sans voiles,A l'amour, sur les coeurs serrant son doux lien,Au juste, au grand, au bon, au beau...

— Vous voyez bienQu'en effet il monte aux étoiles ! Lorsque l'Apollinaire de Calligrammes et les Futuristes, à l'orée de notre siècle, reprennent la prédiction, sur desbases renouvelées (l'automobile, l'aviation...), le souci de trouver un langage neuf pour exprimer la nouveauté dumonde infléchit, certes, la rhétorique : « C'est le temps de la grâce ardenteLa volonté seule agiraSept ans d'incroyables épreuvesL'homme se diviniseraPlus pur plus vif et plus savant », mais le « fond » n'est pas si éloigné.

Et les prémices qui fondent cette ascèse et cette métamorphose sont, par-dessus le marché, bien suspectes : la guerre, investie d'une connotation purificatrice et d'une mission. »

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