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Platon par Victor Goldschmidt

Publié le 22/02/2012

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platon
Ses détracteurs et certains de ses amis sont d'accord : la doctrine platonicienne est le fruit d'une vocation politique manquée. A partir de là, les appréciations divergent. Ceux-ci le louent de l'intérêt porté à la chose publique et au bien commun. L'éloge n'est d'ailleurs pas sans arrière-pensée ; il est apologétique. Cet idéaliste sublime s'est penché sur les misères de son temps ; l'utopiste impénitent est le fondateur de la science sociale. Chez ceux-là, il y a entente sur la condamnation, mais sur les considérants, on dispute. Pour les uns, Platon est le théoricien de la dictature spirituelle, il est directement responsable de l'inquisition médiévale et, aujourd'hui, de tout régime totalitaire, d'où qu'il vienne, quoi qu'il se propose et quelles que puissent être, d'ailleurs, les différences d'inspiration et de structure. Pour d'autres, l'utopisme platonicien répond aux intérêts d'une classe (on veut parler du parti aristocratique athénien) et fournit tous les mouvements réactionnaires des concepts et des conceptions dont ils ont besoin : l'idéalisme, le mépris de l'action directe, la croyance au retour des choses et la négation du progrès, l'éternité substituée au temps historique, fuite dans le mysticisme mystificateur ; la liste n'est pas complète.    Ces mises en accusation multiples et ces plaidoyers ne sont pas sans apparence. Les oppositions ne s'annulent pas, et il faut se garder de les renvoyer dos à dos. On peut seulement s'interroger sur le fondement du débat, commun à beaucoup d'autres procès qu'on a coutume d'intenter de nos jours à titre posthume. C'est d'abord l'idée d'une causalité mécanique, qui fait juger les idées comme des actes politiques, dans leurs effets réellement produits, non d'après l'intention. C'est ensuite la prétention à l'universalité, dans l'espace et le temps, de la doctrine accusatrice ou, ce qui revient au même, l'idée d'une causalité cyclique qui ramène les situations identiques et les superpose dans un présent éternel ; ma propre historicité s'érige ainsi en tribunal de l'histoire universelle.   
platon

« Pour Socrate H048 , la philosophie n'est pas une spéculation désintéressée : elle est un service civique.

Les accusateurs de 399 mettent un terme à son activité, mais ne la mettent pas en question et, aux yeux de Socrate H048 , en confirment au contraire l'opportunité et l'urgence.

Pour Platon (et à partir de lui), la mort de Socrate H048M1 prend valeur de symbole.

Elle n'est pas simplement le résultat de circonstances malheureuses et d'un malentendu regrettable.

Elle marque l'échec définitif de la réforme socratique et rejette la philosophie hors de la Cité.

La retraite du philosophe dansle monde des Idées " séparées " le retranche aussi de la communauté politique, et " il se tiendra tranquille et ne s'occupera que de ses propresaffaires ; comme le voyageur pendant l'orage s'abrite derrière un mur contre la poussière et la pluie soulevées par le vent, lui, devant le spectacledes transgressions accumulées par les autres, s'estime heureux si, pour sa part, il parvient à passer sa vie d'ici-bas pur d'injustice et d'impiété "(République , VI, 496 d-e).

Entre la philosophie et la politique, les rapports n'ont pas toujours été aussi tendus.

Depuis les origines, les penseurs grecs ont souvent pris unepart active aux affaires publiques, Thalès H1229 , par exemple, puis Parménide H036 , Empédocle H1077 , Zénon d'Elée H051 et certains Pythagoriciens, comme Archytas de Tarente.

Il est vrai que ces mêmes Pythagoriciens avaient défini l'idéal de la vie théorétique ; Anaxagore H1006 s'était proclamé citoyen du monde et Démocrite H1064 dit fièrement qu'il aimerait mieux découvrir une seule relation causale que d'être roi de Perse.

Chez Platon, on ne peut pas dire qu'un idéal s'affirme aux dépens d'un autre, la théoria au mépris de l'action.

Morale et politique ne sont pas renvoyées de la philosophie.

Elles lui sont au contraire subordonnées de plein droit ; pour bien faire, il faut avoir bien pensé.

Mais cette condition nécessaireest très loin d'être suffisante, parce que la pensée pure ne mord pas sur les choses et parce qu'il faut, selon l'expression de la Lettre VII, " d'heureuses circonstances " pour prêter force aux idées.

Avec Platon, la philosophie prend conscience à la fois de sa vocation et de sonimpuissance.

Ce qu'on a appelé l'utopisme ou le Songe de Platon se vérifie bien moins pour le contenu de sa doctrine que pour son ambition uniquement théorétique.

A cet égard, la " séparation des idées " indique surtout une orientation.

A partir de Platon, et pour fort longtemps, laphilosophie renonce à toucher les choses pour les remanier ; elle se fait pur regard.

Et l'enseignement le plus secret qu'elle déchiffre dans la mort de Socrate H048M1 , ce n'est pas tant le pessimisme politique, que le réalisme des idées ou, plus simplement, la découverte d'un monde où la pensée est chez elle, parce qu'elle le suscite, et parce qu'il s'offre, transparent, à sa connaissance ; il est " intelligible ".

La théorie des Formes intelligibles demeure constante dans le platonisme, jusque dans le Timée H038M1 .

Les variations qu'elle a pu subir d'un dialogue à l'autre développent ses possibilités latentes et font voir qu'elle est surtout une méthode d'analyse étroitement adaptée au réel ; ellesn'affectent pas sa position fondamentale et, en ce sens, son dualisme.

Celui-ci, puisqu'il se manifeste dans tous les domaines, peut être interprété de bien des façons ; la manière de le rendre le plus acceptable pour le moderne, serait sans doute de le comprendre comme l'opposition entre le faitet le droit.

Il procède cependant d'une inspiration plus spécifiquement grecque et qui s'est imposée à Platon dans la condamnation deSocrate H048 : la disjonction entre justice et pouvoir.

Depuis les poèmes homériques, la destinée des dieux et des hommes est soumise à une instance dont on ne peutmême pas dire qu'elle soit arbitraire, tant ses arrêts sont privés d'intention et de discernement : c'est la Nécessitécontre laquelle, selon le proverbe rappelé dans les Lois, " même un dieu ne saurait lutter ".

Justice et sagesse des dieux sont tenues en échec, non pas par une divinité antagoniste, mais par une puissance aveugle qui ne veut rienet qui ne sait rien, et dont on ne peut rien dire, si ce n'est qu'elle est puissante.

A ce compte, bonté et puissancene vont pas ensemble : " Dieu, n'est-il pas essentiellement bon...

? Ce qui est bon, n'est-il pas bienfaisant ?...

Il estdonc cause de ce qui se fait de bien...

Ainsi, ce qui est bon n'est pas la cause de tout ; il est la cause des biens, iln'est pas la cause des maux...

Par conséquent, Dieu, puisqu'il est bon, n'est pas non plus la cause de tout, commeon le prétend souvent ; il n'est cause que d'une petite partie des choses qui arrivent aux hommes, et il n'est pourrien dans la plus grande partie, car nos biens sont en fort petit nombre en comparaison de nos maux ; pour lesbiens, nul autre que lui n'en est l'auteur, mais, pour les maux, il faut en chercher la cause ailleurs qu'en Dieu.

"(Rép. , II, 379 c.) Cette autre cause, quelle qu'elle soit, est donc séparée du bien, et c'est là que réside, malgré les apparences, sa faiblesse.

A Polos qui exalte latoute-puissance des tyrans, Socrate H048 demande : " Crois-tu que ce soit un bien pour un homme de faire ce qui lui paraît le meilleur, s'il est privé de raison ? Et appelles-tu cela être tout-puissant ? Non.

Alors tu vas sans doute me prouver que les politiciens ont du bon sens et que larhétorique politique est une science, et non une flatterie, comme je le crois.

Si tu laisses debout mon affirmation, ni les politiciens qui font ce quileur plaît dans l'État, ni les tyrans ne possèdent, de par leur situation, un bien ! " ( Gorgias , 466 e.) Et il va soutenir la célèbre thèse qu'il vaut mieux supporter l'injustice, plutôt que de la commettre.

Il faut bien voir que cette thèse est une affirmation, nullement un précepte.

" Il vaut mieux "signifie, non pas : il est plus moral, mais : " Il est plus avantageux " (475 e).

Le culte et la crainte du pouvoir apparaissent comme un " pseudo-réalisme ", et le ralliement au succès comme une opération perdante.

La justice est forte de sa propre faiblesse, et la force injuste " ressemble à cescoureurs qui fournissent une belle course au départ, mais non pas au retour.

Ils bondissent d'abord avec rapidité ; mais à la fin, on rit d'eux, quandon les voit, les oreilles basses, se retirer précipitamment sans être couronnés, au lieu que les vrais coureurs arrivent au but, remportent le prix etreçoivent la couronne " ( Rép .

X, 613 b-b). Ce retournement final, qui peut rappeler la promesse : " Les justes hériteront la terre ", arrive là comme par surcroît.

Ce que prétend établir laRépublique, c'est que la justice appartient à la classe des biens supérieurs qui méritent d'être recherchés pour eux-mêmes, indépendamment des avantages, des salaires et de la réputation qui peuvent s'y attacher, tels que la vue, l'ouïe, la raison, la santé ( Rép ., II, 367 d).

Cette adhésion inconditionnée au bien, même vaincu et humilié, détermine toute une tradition platonicienne qui va continûment, jusqu'à la " précarité desvaleurs " définie par Eugène Dupréel.

On la ressaisit dans ce vers du poète stoïcien Lucain L1561 : " Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni ", où la vertu défaite se dresse en face d'une victoire même sanctionnée par les dieux.

On la retrouve encore en 1755, quand Voltaire L235 écrit son Poème sur le désastre de Lisbonne ou de cet axiome : tout est bien, poème dont on a pu dire qu'il était une protestation au nom de l'esprit, et un refus d'accepter du réel, les normes du rationnel et du bien.

Ainsi parce qu'il est une philosophie des idées, le platonisme est un dualisme.

Il aurait pu, à l'égard des choses, se retirer dans un ascétisme et, àl'égard des Idées, se précipiter dans la " fuite d'ici-bas vers là-haut " ( Théétète , 176 a).

Platon a fortement éprouvé ces tentations et les a décrites avec les ressources d'un lyrisme auquel bien des lecteurs ont succombé.

Mais lui-même les a toujours tenues à distance, c'est-à-dire les arenvoyées, à titre d'espérance, dans une vie future.

Plusieurs motifs se sont réunis pour neutraliser la tendance mystique qui devait s'épanouir. »

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