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RIBOT et la psychologie doit se débarrasser de l'esprit métaphysique

Publié le 02/02/2011

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Bien qu'elle fasse encore assez bonne figure, l'ancienne psychologie est condamnée. (...) D'abord elle est imbue de l'esprit métaphysique : elle est la « science de l'âme «; l'observation intérieure, l'analyse et le raisonnement sont ses procédés favoris d'investigation; elle se défie des sciences biologiques. (...) Une conception pareille n'a plus de vitalité. Ses attaches métaphysiques excluent l'esprit positif, empêchent l'emploi d'une méthode scientifique, lui ôtent le bénéfice de la libre recherche. Elle n'ose pas être elle-même, c'est-à-dire une étude des seuls phénomènes psychiques, distincte et indépendante. Cependant cette nécessité s'impose. (...) La nouvelle psychologie diffère de l'ancienne par son esprit : il n'est pas métaphysique; par son but : elle n'étudie que les phénomènes; par ses procédés : elle les emprunte autant que possible aux sciences biologiques. (...) L'un des plus grands obstacles aux progrès de la psychologie, depuis longtemps signalé, c'est la nature même des faits de conscience, si vagues, si fuyants, si difficiles à fixer. (...) Les états psychiques, pris en eux-mêmes et connus par la conscience seule, en sont réduits à des différences de qualité et de rapport dans le temps. Aussi la psychologie nouvelle a-t-elle dû tout d'abord s'efforcer d'augmenter leur détermination. C'est ici que les découvertes de la physiologie lui ont été d'un grand secours. Celle-ci, après avoir établi que les actions psychiques, d'une manière générale, sont liées au système cérébro-spinal, a montré plus récemment par des observations et des expériences répétées que tout état psychique est invariablement associé à un état nerveux dont l'acte réflexe est le type le plus simple. (...) A la formule vague et banale des « rapports de l'âme et du corps «, comme parle l'ancienne école, à l'hypothèse arbitraire et stérile de deux substances agissant l'une sur l'autre, on substitue l'étude de deux phénomènes qui sont en connexion si constante pour chaque espèce particulière qu'il serait plus exact de les appeler un phénomène à double face. Par suite, le domaine de la psychologie se spécifie : elle a pour objet les phénomènes nerveux accompagnés de conscience, dont elle trouve dans l'homme le type le plus facile à connaître, mais qu'elle doit poursuivre dans toute la série animale, malgré les difficultés de la recherche. Du même coup s'établit la distinction entre la psychologie et la physiologie : le processus nerveux à simple face est au physiologiste; le processus nerveux à double face est au psychologue. (...) Un grand résultat est ainsi obtenu : l'état de conscience cesse d'être une abstraction flottant dans le vide. Il se fixe. Rivé à son concomitant physique, il rentre avec lui et par lui dans les conditions du déterminisme, sans lequel il n'y a pas de science. La psychologie est rattachée aux lois de la vie et à son mécanisme.

La psychologie allemande contemporaine, Paris, Librairie Germer Baillière et Cie, 1879. Introduction, p. Ribot 

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« l'établissement de relations constantes entre des phénomènes assujettis à des lois (on raisonne alors en termes derelation) s'oppose à la recherche ambitieuse et inutile d'une cause ultime (où l'on raisonne en termes d'absolu).

Sansdoute Ribot se souvient-il au passage de la célèbre critique adressée par Comte à la psychologie introspectionniste :comment partager son esprit en deux parties dont l'une agit alors même que l'autre contemplerait cette action pouren ressaisir les mécanismes? Ou : comment se promener dans la rue tout en se regardant par la fenêtre ?L'observation intérieure, dont on ne peut contester qu'elle soit un nécessaire premier pas, ne saurait pour autantêtre érigée en méthode d'explication des faits psychiques.

Il en va de même pour ce que Ribot appelle ici analyse,pratique commandée par le précepte de l'observation intérieure : il ne s'agit donc pas de l'analyse au sens techniquedu terme (chimique ou logique : la décomposition d'une totalité en ses éléments), mais de l'analyse au sens littérairedu terme, où l'observation de soi engage une dissection des sentiments dont l'éventuelle subtilité ou même la réelleprofondeur transforment le psychologue en romancier de son âme.

Quelle que puisse être la satisfaction esthétiqueprocurée par un tel procédé, le déploiement de l'esprit de finesse ne saurait, là encore, se substituer à uneexplication réelle prenant en compte la totalité des phénomènes psychiques.

L'analyse est finalement liée au «raisonnement », c'est-à-dire à une approche résolument verbale des phénomènes, un procédé abstractif quitémoigne de la confiance de l'esprit en lui-même et le fait décoller de la réalité et de la complexité des phénomènes.La méfiance exercée vis-à-vis des sciences biologiques renvoie à la séparation tranchée entre l'observationintérieure (fondement de l'ancienne psychologie) et l'« observation extérieure » (qui caractériserait la physiologie); àsa manière, l'ancienne psychologie revendique l'autonomie de la discipline en refusant d'expliquer le dedans (l'âme)par le dehors (le corps), en s'interdisant de recourir à tout modèle d'observation et d'explication issu des sciencesnaturelles.

C'était Maine de Biran qui s'écriait : « Ô psychologie, ô morale, gardez-vous de la physique, gardez-vousmême de la physiologie3.

» Mais cette revendication est, aux yeux de Ribot, revendication d'une fausse autonomie,puisqu'elle est encore rattachée à l'esprit métaphysique qui s'intéresse à la substance (l'Arne, le Moi) et non auxseuls phénomènes psychiques, dont la prise en compte est seule capable de produire une autonomie à caractèrescientifique, sous les espèces d'une étude distincte et indépendante.

L'ancienne psychologie se réduit donc à uneinterrogation sur soi, dépourvue d'expérimentation et d'outillage conceptuel.

Une psychologie de ce type, livrée àl'appréciation subjective, sans instruments de contrôle, n'est décidément pas une science. 3.

L'inventaire des raisons pour lesquelles la nouvelle psychologie a effectivement vocation scientifique reprend,dans un régime d'oppositions, les attendus qui interdisaient à l'ancienne psychologie d'être une science véritable.L'esprit scientifique, c'est-à-dire positif, s'oppose à l'esprit métaphysique; l'objet de la recherche concerne les seulsphénomènes par opposition à la substance, objet de la métaphysique dont l'ancienne psychologie est encoreprisonnière : à l'objet « âme » se substitue ainsi l'objet état de conscience; les procédés, enfin, sont empruntés à labiologie, ce qui veut dire que l'expérimentation se substitue à l'observation intérieure.

La psychologie scientifiquesera expérimentale ou ne sera pas.Encore faut-il, par-delà les déficiences de l'ancienne psychologie, se saisir d'une difficulté réelle et reconnue delongue date : la nature même des faits de conscience qui, livrés à eux-mêmes et tant qu'ils sont appréhendés parles seules forces de la conscience, se révèlent évanescents, instables, indéterminés.

Cette difficulté estreprésentée comme un obstacle qui déborde largement les querelles d'écoles.

Pour que le phénomène psychique soitsusceptible d'un traitement scientifique, il est nécessaire que la détermination en soit accrue et que la « fixation »en soit possible.C'est sur ce point précis que la physiologie apparaît comme un recours : l'énoncé du principe du parallélisme psycho-physiologique (tout état psychique est invariablement associé à un état nerveux) est rendu possible par une séried'observations et d'expériences répétées qui font passer d'une généralité vague (d'une manière générale) à uneconstante (invariablement).

L'acte réflexe (la réaction des nerfs moteurs à une excitation des nerfs sensitifsréfléchie par la moelle épinière ou par l'encéphale) joue ici le rôle de modèle réduit (le type le plus simple).

Al'interaction de deux substances (âme-caps) se substitue ainsi l'idée d'une connexion constante de deuxphénomènes (psychique-physiologique); la force même de la connexion, son caractère invariable invitent Ribot àforger pour la circonstance l'expression de phénomène à double face.

Sont ainsi renvoyés dos à dos le spiritualisme(action de l'âme sur le corps) et le matérialisme (action du corps sur l'âme) : à l'idée d'une causalité se substituel'idée d'une concomitance. 4.

La physiologie se signale donc comme détour requis pour assigner à la psychologie son objet spécifique : lesphénomènes nerveux accompagnés de conscience. Mais la physiologie n'étend pas pour autant son empire, puisque lui est réservée la face nerveuse du processustandis que la psychologie prend en charge la totalité du phénomène, la double face.

Le bénéfice obtenu est celuid'une fixation : l'état de conscience trouve une assise dans le concomitant physique; d'abstrait, il devientdéterminé.

La physiologie fait entrer la psychologie dans le régime général de la science expérimentale.

Si l'on admeten effet comme « axiome expérimental » (pour reprendre l'expression de Claude Bernard) que chez le vivant commedans la matière il y a détermination absolue des conditions d'existence de tout phénomène4, ce qui veut dire que,lorsqu'on connaît la condition d'un phénomène, on peut le reproduire à volonté; si l'on admet encore que refusertoute valeur à cet axiome (les conditions du déterminisme), ce serait nier la science elle-même, il faudrait alorsajouter, en suivant Ribot, que le psychisme — en tant que concomitant — pénètre à son tour dans le champ del'expérimentation ouverte et que son approche scientifique est à ce prix.

Mais, pour autant, la psychologie ne seréduit pas à la physiologie.

Simplement, à entendre la leçon de Ribot, c'est par rapport à la physiologie, et non pluspar rapport à la philosophie, que la psychologie doit circonscrire son domaine propre.En abolissant le dualisme substantialiste de l'âme et du corps au bénéfice du parallélisme psycho-physiologique; en. »

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