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Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Garnier Flammarion, 1971, pp. 191-192. Commentaire

Publié le 24/03/2015

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« Les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qu'à l'aide des mots, et l'entendement ne les saisit que par des propositions. C'est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend [...] Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. «

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Garnier Flammarion, 1971, pp. 191-192.

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« Textes commentés 33 Ce texte établit ce qu'on pourrait appeler le nominalisme de Rousseau, en ce qu'il établit que le langage est la condition des idées générales.

Il s'inscrit dans le cadre de la recherche que mène le Second Discours sur l'origine des langues et ses « embarras » : est-ce pour parler que nous avons des idées, ou est-ce pour avoir des idées que nous parlons ? Ce texte rassemble des arguments en faveur de cette seconde hypothèse, contribuant ainsi au paradoxe de l'analyse de l'origine du langage dans le Second Discours : « la parole paraît avoir été fort nécessaire pour établir l'usage de la parole ».

Le premier argument est celui de l'animal : en reprenant l'idée classique selon laquelle le langage constitue la ligne de partage entre l'humanité (qui se caractérise chez lui par le principe de « perfectibilité ») et animalité, Rousseau fait de l'absence de l'idée générale chez l'animal un critère qui, par induction, détermine le langage humain comme condition d'apparition de ces idées : et en écho Bergson dira que chez l'animal l'idée générale est seulement «jouée ».

Le second argument, sur lequel repose l'essentiel de la démonstration, porte sur le rôle de l'imagination.

Celle-ci s'oppose au langage, en tant qu'elle bute sur le particulier, le singulier.

Les deux exemples du texte viennent l'établir: on ne peut imaginer que tel arbre touffu, ou que tel triangle particulier (et bien souvent, les triangles que nous dessinons sont isocèles ou rectangles, alors même que nous voulions dessiner un triangle quelconque).

Selon la thèse de Rousseau, il n'y a d'abord que des perceptions singulières et différenciées.

Cette singularité est la limite de l'image, comme l'établissait la Sixième Méditation de Descartes : j'ai une idée claire du chiliogone (polygone à mille côtés), mais je ne peux m'en former d'image.

C'est alors le langage qui prend littéralement le relais ( « lorsque l'imagination s'arrête ...

») : ce dont il n'y a pas d'image ne peut plus être qu'un être de discours.

Le chiliogone ne relève pas du réel, et il ne peut être présent dans l'esprit qu'en tant que mot puisque nous n'en pouvons former d'image : c'est là le nominalisme de Rousseau.

__J. »

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