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SUJET : L'art nous détourne-t-il de la réalité ?

Publié le 24/07/2012

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3. CONTRE LE NOMINALISME ARTISTIQUE

Demander ce qu'il y a dans l'art de plus que dans la réalité, c'est accepter tacitement une distinction entre l'art et la réalité. Il faut remettre en question cette rupture et c'est là tout le sens du ready-made de Marcel Duchamp3. Des objets aussi utiles et communs soient-ils peuvent être placés dans l'enceinte du musée. Il n'y a pas de l'art et autre chose, de l'art et de la réalité commune, il n'y a pas de créateur mais toutes ces distinctions sont vaines. Il faut en sortir et prendre conscience que l'art et la réalité sont l'un dans l'autre, unis. Ainsi, il ne saurait y avoir légitimement des Salons, dans lesquels on prétendrait dire ce qui est œuvre d'art et ce qui est réalité. Au fond, il n'y a pas d'art. Ce n'est pas parce que le vocable existe que l'art existe. L'art est dans le monde, l'art est au monde et nous ne pouvons pas confronter ces deux notions, sauf à affaiblir, appauvrir le sens de l'une et de l'autre. Il faut admettre que l'objet peut entrer au musée, que la réalité peut entrer au musée, que le monde de l'art est un monde réel.

« les déserts d'Abyssinie.

« Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens' ».

Il y a dans l'art un courage qu'il n'y a pas dans laréalité, le courage de larguer toutes les amarres pour des mondes inconnus qui peuvent être dangereux et destructeurs.

N'est-ce pas ce que nous dit le poète dans LeBateau Ivre ?L'art nous donne ce départ hors d'un monde qui ne nous rend pas heureux, qui nous contraint, nous enferme, nous limite alors que l'artiste a eu le courage de partir etde nous dire de loin ce que nous aurions vu si nous avions eu son courage.

Nous sommes restés sur la berge, mais nous avons les échos des voyages dont nousn'avons pas su prendre la décision.

Et ces échos prennent une valeur d'unicité que n'auront jamais les objets interchangeables de ce monde.

L'art a en lui une valeurque n'aura jamais la réalité, cette valeur que lui donne un geste unique, incomparable, inimitable.

Quand bien même nous pourrions obtenir des copies fidèles, nousne les regarderons jamais comme nous regarderions l'original.

Avouons que les copies de Peter Bruegel le Jeune ne nous ont pas autant parlé que les originaux de sonpère... 3.

LA LIBRE CRÉATIONOr n'oublions pas que le résultat de ce départ est que l'artiste jouit d'une liberté dont nous ne disposerons jamais de ce côté-ci du monde.

Et s'il y a dans le monde del'art une telle liberté, c'est sans doute parce que l'intérêt pour l'utile est écarté, au profit du seul souci du beau.

Nous voyons pour le moment qu'il y a dans l'art non pasplus que dans la réalité, mais autre chose.

En particulier, il y a cet éloignement de la thématique de l'utile. 1.

Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871.Relisons ce que dit Kant dans la Critique de la faculté de juger :Il y a des choses en lesquelles on remarque une forme finale, sans y reconnaître une fin ; par exemple les ustensiles en pierre qu'on retire souvent des anciennestombes et qui ont une ouverture comme pour un manche.

La forme de ces ustensiles indique clairement une finalité, dont on ne connaît pas la fin ; on ne les ditcependant pas beaux.

[...] il n'y a aucune satisfaction à leur vue'.Le seul fait que ces objets, dont on ignore la fin, portent en eux la trace d'une finalité les arrache au règne de l'esthétique.

Ils ne peuvent être beaux.

Il y a donc, dansl'art, une libération face à l'utile qui nous obsède et nous assiège en ce monde.

Mais ce monde est-il la réalité ? La question qui nous est posée, nous demandant dedéfinir ce qu'il y a dans l'art de plus que dans la réalité, ne nous enferme peut-être pas dans ce monde.

Peut-être faut-il nuancer notre rapport à la réalité, et à traverselle notre rapport à l'utile. III.

AU-DELÀ DE l'OPPOSTION AVEC LA RÉALITÉ 1.

L'UTILE N'EST PAS LA RÉALITÉNous sommes restés tributaires d'une thématique dans laquelle la réalité était définie comme le règne de l'efficace, de l'utile.

Et à cet égard, il y a bien une oppositionentre l'art et la réalité qui permet de dire ce que nous perdons et ce que nous gagnons à passer dans le domaine esthétique.

Mais l'art nous dit surtout ce que la réaliténe nous dira jamais d'elle-même, à savoir qu'elle ne se réduit pas à l'utile.

C'est ce que pose Heidegger lorsqu'il pense au tableau de Van Gogh représentant dessouliers de paysans.

Là où nous ne voyons dans l'objet familier que la paire de chaussures qui s'épuisent dans leur utilité, Van Gogh nous donne à voir ces mêmessouliers portant en eux toute la vie du paysan, tout son labeur, sa fatigue, ses attentes, la patience de ses pas.Ainsi ne faut-il pas tant dire qu'il y a plus dans l'art que dans la réalité.

Il paraîtrait plus juste de formuler leurs rapports comme étant, sous le regard del'artiste, tels que l'art révèle ce que la réalité n'a pas pour vocation de donner d'elle-même.

Il y a dans la réalité, ce que nous nommons réalité, une obsession de l'utilequi nous met à distance de la réalité profonde des choses, et l'artiste nous permet, dans la formulation que donne son art, de retrouver cette complétude du monde.Cette fois, nous avons rompu avec la thématique de l'art comme nous ramenant dans les seules apparences ; c'est cet aspect qu'il nous faut creuser. 2.

L'APPARENCE ET LA RÉALITÉIl faut se demander ce qu'il y a dans l'art de plus que dans la réalité en sortant de la perspective selon laquelle d'une part l'art est le règne de l'apparence et d'autre partl'apparence s'oppose à la réalité.

Une disjonction entre l'apparence et l'essence montre une incompréhension de ces notions.

Toute essence, pour que nous puissionsavoir accès à elle doit apparaître.1.

Kant, Critique de la faculté de juger, trad.

J.

Gibelin, Librairie philosophique Vrin, Paris, 1986, § 17, « Définition du beau conclue de ce troisième moment », note,p.

76.2.

Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part (1950), trad.

W.

Brokmeier, édit.

par F.

Fédier, Gallimard, Paris, 1962, p.

24-26.Qu'est-ce au fond que l'apparence, nous demande Hegel, sinon la manifestation de l'essence ?Ainsi rien ne convient mieux à l'art que cette notion de manifeste.

Il y a dans l'art une manifestation de ce qu'est le monde et de ce qu'est l'homme, une déclaration deces essences qui ne peuvent rester tacites.

Il y a dans l'art un parti pris de déclarer, de manifester, d'illustrer le monde qu'il n'y a pas dans la réalité commune,quotidienne et qui remplit un manque.Ainsi nous pouvons conserver l'opposition que nous avons tracée depuis les premières lignes de ce propos, à condition de concevoir la réalité comme le monde duquotidien, de la répétition, monde tout entier dévolu à l'utile.

En revanche, si nous voulons donner à la réalité un sens plus plein, force est de X reconnaître qu'il n'y arien dans l'art de plus que dans la réalité, puisque rien ne nous interdit de concevoir que l'art est cette réalité que nous cherchons. 3.

CONTRE LE NOMINALISME ARTISTIQUEDemander ce qu'il y a dans l'art de plus que dans la réalité, c'est accepter tacitement une distinction entre l'art et la réalité.

Il faut remettre en question cette rupture etc'est là tout le sens du ready-made de Marcel Duchamp3.

Des objets aussi utiles et communs soient-ils peuvent être placés dans l'enceinte du musée.

Il n'y a pas del'art et autre chose, de l'art et de la réalité commune, il n'y a pas de créateur mais toutes ces distinctions sont vaines.

Il faut en sortir et prendre conscience que l'art etla réalité sont l'un dans l'autre, unis.Ainsi, il ne saurait y avoir légitimement des Salons, dans lesquels on préten¬drait dire ce qui est œuvre d'art et ce qui est réalité.

Au fond, il n'y a pas d'art.

Ce n'estpas parce que le vocable existe que l'art existe.

L'art est dans le monde, l'art est au monde et nous ne pouvons pas confronter ces deux notions, sauf à affaiblir,appauvrir le sens de l'une et de l'autre.

Il faut admettre que l'objet peut entrer au musée, que la réalité peut entrer au musée, que le monde de l'art est un monde réel. CONCLUSIONLa confrontation entre les notions de monde et de réalité a eu ceci de fécond, qu'elle nous a peignis, à travers la relecture d'une tradition philosophique qui refuse depenser une plus grande richesse de l'art, de comprendre en quoi nous ne pouvions conserver ces termes.

Il y a une réalité de l'art, plus réelle peut-être que la réalité dela réalité et qui nous ouvre un monde dont les frontières sont reculées.Il va de soi que cela remet également en cause le statut de l'artiste — et c'est d'ailleurs bien là le mouvement de l'art contemporain.

Il n'est plus question de parler decréateur.

Il n'est d'ailleurs pas plus légitime de parler de créateur que de parler d'art.

Vasarely ne préférait-il pas le noir et le blanc, afin de pouvoir photocopier sesœuvres, les diffuser le plus largement, et rompre avec l'isolement de l'œuvre ? L'art se répand dans le monde et ignore les barrières que nous lui avions longtempsimposées.

Et la hiérarchie que nous cherchions, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'un ou l'autre des deux termes, s'effondre et laisse le champ libre à denouvelles investigations. 1.

Hegel, Esthétique (1835), trad.

J.-G.

Aubier-Montaigne, 1944, p.

26-27.

Le rapprochement de ces textes est suggéré par L.-L.

Grateloup, Nouvelle anthologiephilosophique.

Éléments pour la réflexion, Hachette, Paris, 1983.

« L'art ».2.

Thierry de Duve, Nominalisme pictural.

Marcel Duchamp.

La peinture et la modernité, éditions de Minuit, Paris, 1984, p.

129-130.3.

Arturo Schwarz, La mariée mise à nu chez Marcel Duchamp, même, chapitre IV, « Du ready-made au Rembrandt employé comme planche à repasser » (1913-1968), trad.

A.-M.

Sauzeau-Bozetti, éditions Georges Fall, 1974, p.

54 et suivantes.. »

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