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Vivre sa vie, est-ce être soi-même ?

Publié le 14/05/2012

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« Vivez enfin votre vie ! « (titre d'un article du magazine Elle de janvier 2006), « Devenez vous-même en faisant le choix d'une vie hors du commun ! « (slogan de la campagne de l'armée de terre française depuis 2010), « Qu'attendez-vous pour vivre votre vie ? Vivre sa vie reste le meilleur moyen de se réaliser soi-même afin de devenir une individualité à part entière ! « (titre et sous-titre d'un article du site internet Moutonbreak qui se propose de donner des conseils pour devenir « riche, libre et [pour] voyager «, tout cela, « en même temps «). Force est de constater que l'époque contemporaine raffole de ce « questionnement « : la publicité, la télévision, les sites internet et les magazines dits de bien-être et de santé, l'opinion publique même, répondent en cœur à l'interrogation proposée avec une assurance certaine. La société occidentale du XXIème siècle est tellement persuadée de la positivité de la réponse qu'elle ne se pose même plus la question sérieusement, le questionnement n'en est plus vraiment un ou bien celui-ci se révèle t-il bien souvent trop superficiel. En effet, pour être soi-même, pour se réaliser en tant qu'individu particulier, évidemment libre et égal aux autres, je vais devoir trouver mon chemin de vie, ma vie et oublier, réduire au maximum les contraintes que m'imposent la nature (jusqu'au choix de ma mort à travers la pratique de l'euthanasie par exemple, qui permettra de décider de sa vie jusqu'à la fin), les formes traditionnelles d'expression de la société (l’État, le travail, le mariage...), la religion, parfois même mes origines et ma famille. C'est souvent la définition ou du moins, le sens à trouver que propose la presse du bien-être éminemment progressiste quand elle affirme qu'il faut « vivre sa vie « par le détachement des individus hors de toute structure coercitive et directive traditionnelle. Ce premier sens étant soutenu, assisté par la société de consommation que nous connaissons aujourd'hui au sein du monde occidental (mais pas seulement) quand elle nous ordonne de « vivre notre vie « en consommant de plus en plus grâce à une publicité omniprésente. « Vivre sa vie « est, dans ce second cas, synonyme de céder à nos pulsions individuelles, à nos désirs propres de consommateur, c'est comme cela que nous pourrons nous réaliser et devenir nous-mêmes.

« 1).

« Vivre sa vie », une tautologie apparente. La proposition « vivre sa vie » apparaît, dans une première lecture, comme un axiome manifeste.

En effet, peut-on vivre une autre vie que lasienne ? Par définition, non.

On ne peut « vivre » que sa propre vie.

La vie, pour un être humain, est une succession d'évènements qu'uneconscience va « apercevoir » suivant le mot même de Leibniz.

Pour ne prendre qu'un seul exemple tendant à montrer que « vivre sa vie » est bienune tautologie, on peut exposer l'opinion de ce même auteur à ce sujet.

Pour Leibniz, l'homme étant une monade « raisonnable » c'est à dire uneunité véritable « sans portes, ni fenêtres » créé au moyen d'une « fulguration » par Dieu ( Monadologie ).

Ainsi et nécessairement, la mise des prédicats au compte du sujet est entière et définitive, car c'est cette notion qui a été posée par Dieu et à qui il a donné un sujet.

Ainsi Dieu, lorsqu'il crée une monade, lorsqu'il l'a fait passer de la puissance à l'acte sous forme d'entéléchie, a donné à une essence prédéterminée (une notion), une existence (un sujet).

La vie n'est donc que le déroulement effectif des prédicats du sujet.

Le sujet ne se fait pas, il est ce qu'il fait. Autrement dit, il est absolument impossible et totalement absurde d'un point de vue logique, pour Leibniz, de « vivre » autre chose que « sa vie »c'est à dire l'ensemble des prédicats de son sujet propre, de sa monade particulière. Cependant, on entend parfois ces phrases de la part de nos parents, de nos amis : « Vis ta vie ! Pas celle d'unautre, n'en rêve pas une autre, n'essaye pas de lui ressembler pour lui plaire ! » Comment comprendre cette perteponctuelle et contingente au sein de la vie, de Sa vie propre pour « celle d'un autre » ? Divers systèmes philosophiques semblent essayer de montrer que nous ne vivons pas toujours notre vie comme nous l'avons rationnellement décider.

C'est le cas, par exemple de Kant qui, dans Qu'est que les Lumières ? affirme que n os opinions, nos actes, nos pensées, même s'ils nous semblent personnels, sont déterminés par le monde extérieur, tant que nous ne les avons pascritiqués, remis en question.

On peut vivre une autre vie que la sienne quand on a pas suffisamment examiné les événements qui composent notrevie.

Notre vie doit être constamment critiquée afin de pouvoir véritablement s’apercevoir que nous la vivons bien telle que nous la voulions.

C'estle fameux « Sapere aude » d'Horace repris ici.

Il nous faudra donc du courage et des efforts pour bien vivre la vie que nous voulons. On peut également prendre comme illustration philosophique, l'hypothèse de l'inconscient (Freud notamment) qui est venu a la fin du XIXème siècle remettre en cause l’idée d'un sujet transparent à lui-même et maitre de ses actes.

Pour Freud, par exemple, l'homme peut produire ce qu'il nommedes « actes manqués » ( Abrégé de psychanalyse ).

Dans ces moments là, le sujet ne vit pas la vie qu'il a décidé consciemment (même si lui-même pense « vivre sa vie ») mais est sous l'emprise de son inconscient (exemple : rater l'avion afin de repousser le moment des adieux, le sujet sembleen vouloir à lui-même d'avoir rater cet avion mais c'est son inconscient, qui, ici, l'a dominé).

L'effectivité de l'inconscient dans la vie ne permet doncpas de vivre totalement sa vie de façon rationnelle et autonome.

La psychanalyse restant le seul moyen de retrouver la pleine maitrise de sa vie. On voit donc bien que le fait de « vivre sa vie » reste une tautologie apparente, relative.

D'un point de vue métaphysique (Leibniz), cela reste unetautologie mais si on accepte d'autres points de vue (social, psychanalytique), cette tautologie doit être nuancée. 2).

« Être soi-même », une évidence qu'on peut également relativiser. Le même problème se pose ici.

En effet, à première vue , comment ne pas « être soi-même » ? C'est une proposition absurde.

Cela renvoie à une évidence et même à une redondance dans les termes.

Je suis moi, que pourrais-je être d'autre que moi-même.

Un autre ? Alors je ne suis plus moi.Le principe de contradiction manifeste la tautologie, là encore, de cette proposition.

Cela fait également intervenir la notion d’identité, je me pensecomme le même à travers les temps, comme étant un, comme unique.

On a là clairement explicité, l'unité, l'unicité et l'ipséité.

La théorie très célèbredu cogito cartésien ( Méditations Métaphysiques , Discours de la Méthode ) démontre que je suis moi-même à partir du moment où je pense.

Le « je pense donc je suis », le « j'existe », montre que c'est la pensée (essence de l'âme) qui m'assure avec une certitude apodictique le fait « d'être moi-même.

» Je suis moi-même chaque fois que je pense.

Il y a une présence à soi immédiate, un être soi-même qui ne peut subir d'altération. Comme dans l'étude du premier concept, on entend également ces phrases qui semble mettre à mal le discours tautologique de « l'être soi-même » :« sois donc toi-même ! » ou encore « pense par toi-même et reste naturel ! », « arrête de jouer un rôle », « sois authentique et vrai ».

Les mêmesdiscours philosophiques (celui de Kant comme celui de Freud ou de la psychanalyse en général) peuvent sembler confirmer que l'homme n'est pastoujours lui-même.

On a là encore, deux niveaux de vérité qui s'affrontent (la métaphysique (Descartes ici) contre la psychanalyse ou unephilosophie plus morale...).

Ces deux théories peuvent donc également répondre de la même manière à « l'être soi-même ».

On peut rajouter encorecette analyse, il peut arriver qu'un homme, dans certaines circonstances, choisisse (volontairement ou non) de se perdre totalement, de renoncerà sa personnalité, à exercer son jugement, son discernement, à « être soi-même ».

C'est ce que décrira Arendt sous les termes de « non-pensée »ou encore Terestchenko par le concept « d'absence de soi.

» L'exemple du haut fonctionnaire du régime nazi, Adolf Eichmann, qui se justifia lorsde son procès à Nuremberg pour, entre autres, crime contre l'humanité, d'avoir seulement « suivi les ordres », est ici éclairant.

Il affirme ne pasavoir été lui-même, ne pas avoir utilisé sa pensée, son jugement pour décider.. »

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