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Andres Pastrana veut en finir avec cinquante ans de guerre civile en Colombie

Publié le 17/01/2022

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7 janvier 1999 Cinq mois jour pour jour après sa prise de fonction, le président Andres Pastrana et le dirigeant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le vieux dirigeant communiste Manuel Marulanda, dit Tirofijo (qui tire dans le mille), devaient présider, jeudi 7 janvier, la cérémonie d'inauguration des négociations de paix entre le gouvernement et la plus importante guérilla du pays. La cérémonie devait avoir lieu dans la petite ville de San Vicente del Caguan, au coeur de la zone dite "de détente" - 42 000 km2 dans le sud du pays - démilitarisée par l'armée depuis le 7 novembre 1998, conformément aux exigences de la guérilla pour venir s'asseoir à la table des négociations. L'enjeu de ce nouveau processus de paix est de taille : les parties affirment vouloir mettre un terme au conflit armé qui, depuis près d'un demi-siècle, alimente la violence quotidienne en Colombie. A la veille de la rencontre entre le jeune président de la République, Andres Pastrana, quarante-trois ans, conservateur bon teint, et Tirofijo, le plus vieux guérillero du monde - soixante- dix ans dont cinquante dans la clandestinité -, l'agitation qui précède les grands événements médiatiques s'est emparée de San Vicente del Caguan. La population de ce gros bourg, en pleine forêt amazonienne, vit essentiellement d'élevage et de quelques cultures, dont celle de la feuille de coca. A 600 km à vol d'oiseau de la capitale, Bogota, la ville est difficilement accessible par voie terrestre. Un véritable pont aérien a donc été mis en place pour acheminer les tonnes de matériel nécessaires aux "festivités" et assurer le transport des deux mille invités et des quelques cinq cents journalistes attendus pour couvrir l'événement. L'ambassadeur des Etats-Unis en Colombie, Curtis Kamman, les prix Nobel de littérature, Gabriel Garcia Marquez, et de la paix, Rigoberta Menchu, l'ex-président du Nicaragua Daniel Ortega, ont confirmé leur présence. Le protocole de la cérémonie a été minutieusement élaboré par les délégués des deux camps : Andres Pastrana et Tirofijo arriveront en même temps sur la place afin "qu'aucun des deux n'attende l'autre" et l'hymne national sera suivi de celui des FARC. La question de la sécurité des dirigeants a accaparé depuis quelques jours l'attention des organisateurs. L'image est pour le moins inhabituelle : depuis mardi soir, les forces de sécurité de la présidence et les guérilleros des FARC patrouillent côte à côte dans les rues de San Vicente del Caguan. Optimisme "Je crois en la parole de Tirofijo", a déclaré Andres Pastrana, donnant toute la mesure de l'optimisme affiché par le président de la République et son gouvernement. La tâche est pourtant ardue. Les FARC comptent près de 12 000 hommes en armes. Cette guérilla, qui se réclame encore du marxisme léninisme, a survécu à la chute du mur de Berlin et s'est même renforcée depuis. Les rançons obtenues par les enlèvements et le prélèvement "d'impôts", entre autres sur les activités du narcotrafic, lui ont permis d'accroître ses ressources financières. Depuis deux ans, les FARC ont multiplié les coups de force spectaculaires dans les régions retirées où elles agissent. La guérilla détient toujours plus de 300 soldats et policiers, qu'elle veut échanger contre ses guérilleros emprisonnés. Ces dernières semaines et jusqu'à la veille même de l'ouverture des négociations, les accrochages avec l'armée hors de la zone démilitarisée ont été quasi- quotidiens et ont causé des dizaines de victimes. Dans l'euphorie des préparatifs, le Haut commissaire pour la paix Victor Ricardo, a pris soin de rappeler que "la paix ne sera pas signée le 7 janvier". La première ronde de discussion a essentiellement pour objet de fixer les règles du jeu de la négociation. Les rencontres entre les parties auront-elles lieu en Colombie ou à l'étranger ? L'échange de prisonniers demandé par les FARC, dont le gouvernement a accepté le principe, aura-t-il lieu indépendamment du résultat des négociations ? Un cessez-le- feu sera-t-il décrété ? Les FARC feront-elle du démantèlement des paramilitaires, ces groupes d'autodéfense privés que la guérilla dit contrôlés par l'armée, une condition préalable à la signature de tout accord ? Toutes ces questions se retrouveront dans l'agenda des pourparlers, ainsi que les problèmes politiques qui seront discutés entre les parties et restent encore à définir. Andres Pastrana, qui fait sa campagne sur le thème de la paix, entend diriger personnellement le processus. Il bénéficie de l'appui prudent des Etats-Unis. Lundi 4 janvier, le Département d'Etat a confirmé qu'à la demande du gouvernement colombien une réunion secrète avait eu lieu mi-décembre, à San José de Costa Rica, entre le directeur du Bureau des affaires andines, Phil Chicola, et le délégué des FARC, Raul Reyes. En acceptant un contact direct avec une organisation qualifiée de terroriste et qui retient en otage plusieurs citoyens américains, Washington apporte un soutien qui pourrait être décisif au processus de paix. Pour les Américains, il ne fait pas de doute que seule une issue favorable des négociations et le retour à la paix civile permettra d'envisager sérieusement l'éradication du trafic de drogues à partir de la Colombie. Cela étant, l'appui des Etats-Unis et le rendez-vous à grand spectacle de jeudi ne doivent pas faire oublier que la paix n'est pas pour demain et que les négociations pourraient durer des mois, voire des années. MARIE DELCAS Le Monde du 8 janvier 1999

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