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Article de presse: Benyamin Nétanyahou, l'homme qui fait ce qu'il dit

Publié le 17/01/2022

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7 avril 1997 - Une fois encore, Benyamin Nétanyahou a prévenu. "Les Palestiniens ont compris qu'ils doivent réduire leurs revendications. Je pense qu'ils s'attendaient à obtenir un Etat indépendant avec la moitié de Jérusalem pour capitale et qu'ils se rendent maintenant compte que cela n'aura pas lieu." Ce n'était pas off, en privé ou dans quelque conclave secret du Likoud, son parti; ce fut dit haut et fort devant le Parlement israélien, en début de semaine. Et pour ceux qui n'auraient pas entendu il le répète dans la prochaine livraison de l'hebdomadaire américain Newsweek : "Ce qui se passe aujourd'hui, c'est un réaménagement [comprendre : à la baisse] de ce que les Palestiniens peuvent espérer." Le chef de la droite nationaliste israélienne poursuit une logique simple, facile à décrypter, méthodiquement mise en oeuvre depuis janvier. A l'époque, après avoir longuement tergiversé, M. Nétanyahou s'était résolu à ordonner un retrait partiel de l'armée israélienne de la dernière grande ville de Cisjordanie qu'elle occupait encore, Hébron. Il s'agissait du minimum de concession territoriale auquel il ne pouvait échapper, sauf à renier la parole donnée par Israël et à se brouiller d'emblée avec la nouvelle administration Clinton. Il fallait montrer que le nouveau gouvernement, en dépit des procès qu'on lui avait fait ici et là, s'en tenait strictement aux accords d'Oslo. Ces accords que le Likoud abhorre, mais qui ont mis la paix sur les rails. Mais ce geste accompli à la fureur d'une partie de la coalition de droite et d'extrême droite, chichement majoritaire à la Knesset, paraît n'avoir été destiné qu'à faire diversion. Dès le dernier blindé de Tsahal éloigné de la cité des Prophètes, Benyamin Nétanyahou, le vrai, l'homme de conviction, regagne son camp : celui qui se refuse absolument au principe "la paix contre les territoires" inscrit entre chaque ligne des accords d'Oslo, le camp de ceux qui entendent briser la dynamique du retrait israélien de Cisjordanie ré-enclenchée avec le départ d'Hébron. Le terrain choisi est le plus sensible : Jérusalem. Le sort de la Ville sainte est cher au coeur de tous les Israéliens, comme des Palestiniens et de l'ensemble des Arabes. On "compense" Hébron en construisant une nouvelle colonie dans la partie arabe de Jérusalem. On refait l'unité de la coalition sur un thème qui embarrasse même les travaillistes. On adresse un message clair à Yasser Arafat, le chef de l'Autorité palestinienne : la dynamique d'Oslo s'arrête à Hébron, ou presque. C'est d'autant plus clair que la construction de la colonie de Har Homa (en un lieu que les Palestiniens appellent la colline d'Abou Ghneim) viole les accords d'Oslo. Ceux-ci stipulent qu'aucun fait accompli sur le terrain ne doit venir modifier la situation à Jérusalem comme d'ailleurs en Cisjordanie avant que ne commencent les négociations sur le statut définitif des territoires. Fondés sur la sage notion de progressivité, les accords veulent que ces négociations toujours repoussées, (elles auraient dû commencer le mois dernier) soient amorcées après une période intérimaire qui verra les Palestiniens administrer l'essentiel des territoires : la bande de Gaza et la Cisjordanie. La philosophie qui a présidé à ces accords était celle d'une lente évolution vers une entité palestinienne, un Etat pour l'OLP, de plus en plus séparée d'Israël. Ce serait un acheminement par étapes : les pourparlers sur le statut définitif qui, outre Jérusalem et les territoires, doivent aussi traiter des réfugiés, pouvant s'étaler jusqu'en 1999. Entre-temps, les Palestiniens auront pris en main l'essentiel de l'administration de la Cisjordanie et de Gaza et l'une et l'autre parties auront expérimenté une coexistence bâtie à coups de mesures de confiance. Bien sûr, les Palestiniens n'ont pas été consultés sur Har Homa-Abou Ghneim; bien sûr, ils n'ont aucun moyen juridique ou politique de s'y opposer. Sauf à recourir aux Etats-Unis pour qu'ils fassent respecter l'esprit d'Oslo, mais l'administration Clinton ne veut pas prendre le risque d'un conflit avec Israël. Bien sûr, encore, les services de sécurité israéliens ont averti le premier ministre : l'arrivée des bulldozers sur le chantiers de Har Homa provoquera une explosion de colère palestinienne. La mort du processus d'Oslo Mais Har Homa n'était que le premier avertissement. Benyamin Nétanyahou va préciser ses intentions. Il annonce, mi-mars, que le deuxième grand retrait auquel devaient procéder les Israéliens dans cette période dite intérimaire (avant les pourparlers sur le statut définitif) ne porterait que sur un très faible pourcentage de Cisjordanie. Israël continuera d'en contrôler l'essentiel, à l'exception des villes. Israël peut faire valoir que la lettre d'Oslo ne lui impose pas de pourcentage précis de retrait. Mais, là encore, c'est renier toute la dynamique des accords. Et puis, à l'intention des quelques diplomates et analystes mal voyants qui pourraient encore s'y tromper, le premier ministre tire, in fine, en plein jour, une fusée éclairante qui illumine le fond de sa pensée : il veut abandonner, dit-il, le calendrier d'Oslo. Il souhaite entamer tout de suite les pourparlers définitifs. Il veut même conclure d'ici trois à six mois, sans attendre l'issue de la période de coexistence à l'essai prévue par les négociateurs d'Oslo. Autant dire qu'il préconise la mort du processus d'Oslo. Il fait d'ailleurs valoir que les coups que le terrorisme palestinien porte à l'Etat hébreu, trois Israéliennes tuées dans un café de Tel Aviv, sont autant de coups également portés aux accords d'Oslo. Pourquoi abandonner Oslo maintenant ? Précisément parce qu'entamer aujourd'hui les négociations sur le statut définitif serait le faire à un moment où les Palestiniens ne contrôlent que 6 % de l'ensemble des territoires. Et sont donc en position de faiblesse, incapables de s'appuyer sur une vraie expérience d'administration autonome des territoires. Ce serait engager des négociations fondamentales au moment où la situation est figée, gelée, dans un rapport de forces très défavorable aux Palestiniens. Cité par le Financial Times, un politologue israélien, Shmuel Sandler, expliquait : "Sauter l'étape intérimaire, pour parler directement du statut définitif, c'est engager la négociation avec les Palestiniens alors que leur société civile est encore très faible; c'est négocier avec eux alors qu'ils n'ont encore aucune monnaie d'échange." C'est idéal pour le Likoud, qui entend bien conserver l'essentiel des territoires. Que le prix à payer en soit l'arrêt brutal du début de normalisation des relations entre Israël et ses voisins arabes ne compte guère pour le Likoud. La cause sacrée d'un likoudnik est, d'abord, la Cisjordanie la Judée et la Samarie. Et, jusqu'à preuve du contraire, Benyamin Nétanyahou est un super-likoudnik. ALAIN FRACHON Le Monde du 4 avril 1997

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