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Article de presse: Hassan II met le Maroc sur la voie de l'alternance politique

Publié le 17/01/2022

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4 février 1998 - Les socialistes marocains ont le triomphe modeste. Le 5 février 1998, Libération, leur quotidien en langue française, a annoncé sobrement que, la veille, le roi avait chargé Abderrahmane Youssoufi de former le prochain gouvernement. "Finalement, c'est M. Youssoufi...", a titré le journal entre un article sur le sida et un dossier consacré à l'Irak. Annoncée par une brève dépêche de la Maison royale, la nomination comme chef du gouvernement du premier secrétaire de l'USFP, à défaut de constituer une réelle surprise, est un événement considérable du point de vue politique. Pour la première fois depuis qu'il est monté sur le trône en 1961, le roi confie à un socialiste la gestion du pays. Et pas à n'importe lequel d'entre eux : à un opposant de la première heure, bras droit de Medhi Ben Barka, et qui a payé de la prison et de l'exil son engagement politique. "Depuis des années le Maroc bouge, change. Mais l'arrivée des socialistes est le signal le plus fort jamais envoyé. Il montre que le changement sera poursuivi, sans dévier", confie un conseiller de Hassan II. Peu enclin à déroger à ses habitudes, M. Youssoufi était jeudi matin, comme à l'accoutumée, à Casablanca, au siège d'Al Ittihad Al Ichtiraki, le quotidien en langue arabe de son parti. Et c'est là qu'il a commencé les consultations en vue de la formation d'un gouvernement de coalition, qui sera constitué autour d'une alliance entre les socialistes et le centre droit. Le résultat des législatives de novembre, contestées par l'opposition, mais qui ont vu l'USFP arriver en première position d'une courte tête ne lui laissent pas d'autre choix puisque trois blocs (gauche, droite, centre) d'égale importance se partagent la Chambre des représentants. Constituer l'équipe gouvernementale ne sera pas facile et demandera du temps. S'il est assuré d'obtenir samedi le soutien du comité central de l'USFP, M. Youssoufi sait que la direction de son parti a jusqu'ici laissé peu de place à ses jeunes cadres et aux femmes. Certains responsables redoutent que ce même immobilisme bloque l'arrivée au gouvernement de personnalités compétentes au profit de caciques du Parti socialiste. Des problèmes peuvent aussi surgir des contours de la future majorité gouvernementale. Elle englobera les centristes du Rassemblement national des indépendants (RNI) et de petites formations du centre et de la gauche. Mais qu'en ira-t-il de l'Istiqlal ? Comme tous les vieux militants politiques, M. Youssoufi, âgé de soixante-quatorze ans, est passé par l'Istiqlal, le plus ancien des partis politiques marocains. Et, s'il en a claqué la porte en 1959, les relations entre les deux formations n'ont jamais été interrompues. Ne forment-elles pas l'ossature du bloc de l'opposition, la Koutlah ? Au nom de ce compagnonnage ancien, M. Youssoufi chercherait, selon certaines sources, à faire entrer l'Istiqlal dans la future majorité. "Ce serait une erreur politique. L'Istiqlal est un parti de droite, fondamentalement conservateur. S'il rejoint la majorité, elle sera tirée à hue et à dia, comme le sera le gouvernement", affirme un intellectuel de l'USFP. Présidés par le roi, flanqué de ses conseillers, les conseils des ministres sont aujourd'hui "de vraies réunions de travail où chaque ministre doit défendre ses projets", affirme l'un des participants. "J'ai eu les coudées franches pour mener ma politique. Jamais il n'y a eu d'interférence venue du Palais ou d'ailleurs", assure le ministre de la justice, Omar Azziman, un homme proche de l'USFP, peu suspect de complaisance. Poursuivre les réformes Les propos tenus par Hassan II à M. Youssoufi au cours de leur entretien en tête-à-tête mercredi, selon certaines sources, vont dans le même sens : ni domaine réservé ni programme imposé. Le souverain a simplement exhorté le futur premier ministre à poursuivre les réformes engagées, notamment dans le domaine de l'éducation et de la justice; à ne pas remettre en cause celles lancées en matière économique avec le concours des institutions financières internationales; à ne pas faire du dossier du Sahara occidental une pomme de discorde entre les partis ni de la religion un thème d'affrontement politique. Enfin, le roi a demandé à M. Youssoufi de s'attacher à réduire les inégalités sociales en privilégiant la lutte contre la pauvreté. "Le prochain gouvernement ne prendra pas en charge un pays sinistré", fait-on observer dans l'entourage du roi. Le fait est que le Maroc, chichement doté par la nature, n'est pas un pays à la dérive. Des "grappes de modernité" existent. Mais elles ne profitent qu'à une frange de la population. Une bonne partie des Marocains n'en profitent guère qui voient leurs conditions de vie se dégrader année après année ou leur salut dépendre des seuls caprices de la météo. "Si on ne fait rien, le pays n'échappera pas à une explosion sociale", note M. Azziman. Heureusement pour les laissés-pour-compte du développement et pour le prochain gouvernement, les pluies abondantes de cet hiver laissent augurer une croissance supérieure à 10 % cette année. JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 7 février 1998

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