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ARTICLE DE PRESSE: Itzhak Rabin, homme d'épée, homme de paix

Publié le 17/01/2022

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4 novembre 1995 - Il n'aimait pas les discours. Il était mal à l'aise dans les cérémonies et rien ne l'embarrassait tant que d'écouter les litanies de lauriers qu'une partie du monde entreprit de lui tresser à partir de ce jour historique, le 13 septembre 1993, où, à contre-coeur, il accepta de serrer la main de Yasser Arafat à Washington. Itzhak Rabin, " l'homme de paix " aujourd'hui pleuré par son peuple, était d'abord un soldat, un grand soldat, avec tout ce que cela peut supposer de rugosité, de dureté et aussi d'intégrité. Traits burinés, diction rocailleuse, parler vrai et poigne de fer, Itzhak Rabin incarnait, aux yeux de son peuple, la quintessence du sabra, l'Israélien né sur la terre d'Israël, le " juif nouveau ", fier, fort et ombrageux, tel qu'il fut rêvé par les pères fondateurs du sionisme pour effacer à jamais l'image du pauvre israélite faible et maltraité par l'Histoire, qui courait la vieille Europe dès avant la Shoah. " Seul un peuple fort peut faire la paix avec ses ennemis ", croyait profondément le neuvième premier ministre de l'Etat juif. Cette paix, qui n'est pas acquise, l'ancien général Rabin fut lent, très lent, à s'y atteler. Les historiens se demanderont sans doute longtemps si les accords avec l'OLP, qui donnèrent le coup d'envoi au processus de normalisation israélo-arabe en cours, auraient jamais vu le jour sans la pressante insistance de leur principal architecte, l'actuel premier ministre, vieux rival travailliste du disparu, Shimon Pérès. Itzhak Rabin n'était pas un visionnaire. C'était un pragmatique, un peu laborieux, profondément pessimiste sur la nature humaine, mais doué d'une volonté de fer qui faisait que, lorsqu'il était convaincu de la justesse d'une stratégie, en l'occurrence celle de la paix, rien, pas plus les menaces de l'extrémisme juif que les attentats arabes, ne pouvaient l'en dévier. De Henry Kissinger, son mentor pendant les cinq années 1968-1973 où il fut ambassadeur d'Israël à Washington, l'homme d'épée avait appris et retenu la formule magique de la realpolitik : on ne négocie avec l'ennemi qu'en position de force. " J'ai fait la guerre aussi longtemps qu'il n'y avait aucune chance de faire la paix ", lançait-il samedi soir, quelques minutes avant son assassinat, aux cent mille Israéliens venus le soutenir à Tel Aviv. L'effondrement de l'URSS, principale alliée du camp arabe du refus, puis la guerre du Golfe, suivie en 1991 de la faillite financière et politique de l'OLP, crééront le rapport de forces jugé nécessaire par le premier ministre pour ouvrir cette " fenêtre d'opportunité pour la paix " qu'il évoquait si souvent ces deux dernières années. La force, le colauréat avec Shimon Pérès et Yasser Arafat du Nobel de la paix 1994 ne rechigna jamais à l'employer. D'abord pour assurer la naissance de son pays en 1948, ensuite pour le défendre contre ses nombreux ennemis, enfin pour en conforter la pérennité politique dans un environnement violent et instable. Né en 1922 à Jérusalem, Itzhak Rabin est entré en politique en 1973 sur le conseil de Golda Meïr. Jusqu'au bout, il aura donné l'image d'un soldat en politique. Tsahal, dans laquelle il aura passé vingt-sept années de sa vie, était sa véritable famille. A vingt-six ans nous sommes en 1948 et Israël, naissant, livre sa première grande guerre contre les armées arabes , le colonel Rabin devient le plus jeune officier du Palmach, l'unité d'élite de la jeune armée juive. Son ascension personnelle ne cessera plus d'accompagner et de se confondre avec les succès de l'Etat juif voulu par Theodor Herzl. Le 1er janvier 1964, le général Rabin est nommé chef d'état-major de Tsahal. Trois ans plus tard, début juin 1967, éclate la guerre de six jours. Moshé Dayan est ministre de la défense. Les deux hommes seront les maîtres d'oeuvre de la plus fulgurante campagne militaire jamais lancée dans la région. Le Sinaï et la bande de Gaza sont pris à l'Egypte, le plateau du Golan est enlevé à la Syrie, les Bédouins du royaume de Jordanie sont mis en déroute et abandonnent l'ensemble de la Cisjordanie, Jérusalem-Est incluse. TSAHAL a vaincu les armées arabes et Itzhak Rabin, son chef, devient instantanément un héros national. Partout on le fête, on lui décerne une ribambelle de doctorats honoris causa, on lui tresse des lauriers dans tous les médias et, déjà, sur les films d'archives, le beau soldat timide et taciturne apparaît gêné, gauche, et, pour tout dire, un peu balourd. En décembre 1987, quand éclate l'Intifada, le soulèvement populaire arabe contre l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie, Itzhak Rabin est ministre de la défense dans le gouvernement d'unité nationale dirigé par Itzhak Shamir. Il déclare d'abord péremptoirement qu'il s'agit d' " un feu de paille ", que cela ne durera pas et qu'il faut réprimer cette jacquerie " avec la force et les coups ". Puisant largement dans l'arsenal des lois d'exception héritées de l'administration britannique de la Palestine et encore en vigueur à ce jour, l'ancien général fait arrêter, emprisonner et expulser des milliers de Palestiniens. Il recommandera même de " briser les os " des émeutiers, expression malheureuse qui sera souvent prise au pied de la lettre par de nombreux soldats. Les Palestiniens des territoires, ne pardonneront jamais à celui qui a lancé contre eux la politique de la " poigne de fer ". Itzhak Rabin était-il un " faucon de gauche " ou une " colombe de droite " ? La question le laissait de marbre. Son idéologie à lui tenait en six lettres : Israël. Pour le reste, on notera que le discours humaniste n'était pas sa tasse de thé et que les organisations de défense de droits de l'homme, les israéliennes surtout, l'irritaient profondément. " Quand Arafat prendra Gaza en main, disait-il avec espoir, peu avant le retour du chef de l'OLP dans les territoires autonomes en juillet 1994, il pourra établir l'ordre sans s'inquiéter d'appels à la Cour suprême. " La mise en place par son ancien ennemi palestinien d'une " cour de sûreté de l'Etat ", en fait un tribunal d'exception qui siège en catimini, la nuit, sans témoin, condamne sans avocat et emprisonne au secret des dizaines d'opposants, islamistes ou non, l'aura comblé. " Je ne crains pas d'affirmer, lançait-il samedi à ses derniers supporters de Tel Aviv, que nous avons trouvé, en l'OLP, un véritable partenaire de paix qui a renoncé au terrorisme. " ITZHAK RABIN pouvait se montrer profondément humain avec ses proches, mais ce n'était ni un tendre ni un romantique. Les hommes d'Etat le sont rarement, et c'en était un. A ses yeux, les accords signés avec l'OLP constituaient sans doute moins le moyen de réparer une injustice historique commise contre un peuple expulsé de ses terres, que celui d'assurer la sécurité d'Israël sur " la plus grande partie des territoires de l'ancienne Palestine du mandat britannique ". Il crut d'ailleurs très longtemps, comme la plupart de ses collègues, militaires et politiciens, qu'il serait possible à Israël de conserver les territoires palestiniens conquis en 1967. C'est l'Intifada, par sa résistance aux diverses vagues de répression, qui lui ouvrit finalement les yeux. Qui saura jamais si le vieux soldat, engagé volontaire à dix-huit ans dans la Hagannah, l'armée juive clandestine qui préparait la naissance d'Israël contre l'occupation britannique, n'a pas éprouvé quelque admiration secrète pour ces milliers de gamins arabes qui, chaque jour, pendant sept années, ont affronté les balles de l'occupation avec de misérables pierres ? Le premier ministre austère s'est-il jamais souvenu qu'un jeune guerrier juif nationaliste du nom d'Itzhak Rabin participait en 1946 aux coups de main de la Hagannah contre l'occupant anglais et que cela lui avait valu six mois d'emprisonnement dans un camp militaire situé... à Gaza ? " Nous savons nous battre... Personne ne nous a vaincus... Nous ne fuyons pas les territoires... Nous avons fait un choix stratégique, celui de la paix. " L'essentiel d'Itzhak Rabin est dans ces phrases, répétées comme un leitmotiv dans presque tous ses derniers discours. Cigarettes, café, whisky et, à l'occasion, un bon steak non cachère. Itzhak Rabin ne portait la kippa qu'en public, pour certaines de ses sorties officielles, et il n'allait pas très régulièrement à la synagogue. En d'autres termes, il n'avait rien de commun avec le sionisme messianiste qui, depuis le début des années 70, a pris la relève des pionniers laïcs et des kibboutzniks dans les territoires occupés. La paix est une décision stratégique d'Israël. Le maintien, pour au moins cinq ans, de toutes les colonies juives, 147 au total pour un peu plus de 140 000 habitants, Jérusalem-Est exclue , dans tous les territoires, y compris à Gaza, était, pour le disparu, une tactique à moyen terme visant à négocier en position de force, le moment venu, le statut définitif des territoires. Cela, les colons et l'extrême droite l'avaient compris, et c'est sans doute ce que les plus fanatiques d'entre eux ne lui ont pas pardonné. Homme d'épée il fut, homme d'épée il mourut. D'une certaine manière, sa fin tragique conforte sa légende. PATRICE CLAUDE Le Monde du 7 novembre 1995

« Itzhak Rabin était-il un " faucon de gauche " ou une " colombe de droite " ? La question le laissait de marbre.

Son idéologie à luitenait en six lettres : Israël.

Pour le reste, on notera que le discours humaniste n'était pas sa tasse de thé et que les organisationsde défense de droits de l'homme, les israéliennes surtout, l'irritaient profondément.

" Quand Arafat prendra Gaza en main, disait-ilavec espoir, peu avant le retour du chef de l'OLP dans les territoires autonomes en juillet 1994, il pourra établir l'ordre sanss'inquiéter d'appels à la Cour suprême.

" La mise en place par son ancien ennemi palestinien d'une " cour de sûreté de l'Etat ", en fait un tribunal d'exception qui siège encatimini, la nuit, sans témoin, condamne sans avocat et emprisonne au secret des dizaines d'opposants, islamistes ou non, l'auracomblé.

" Je ne crains pas d'affirmer, lançait-il samedi à ses derniers supporters de Tel Aviv, que nous avons trouvé, en l'OLP, unvéritable partenaire de paix qui a renoncé au terrorisme.

" ITZHAK RABIN pouvait se montrer profondément humain avec ses proches, mais ce n'était ni un tendre ni un romantique.Les hommes d'Etat le sont rarement, et c'en était un.

A ses yeux, les accords signés avec l'OLP constituaient sans doute moins lemoyen de réparer une injustice historique commise contre un peuple expulsé de ses terres, que celui d'assurer la sécurité d'Israëlsur " la plus grande partie des territoires de l'ancienne Palestine du mandat britannique ". Il crut d'ailleurs très longtemps, comme la plupart de ses collègues, militaires et politiciens, qu'il serait possible à Israël deconserver les territoires palestiniens conquis en 1967.

C'est l'Intifada, par sa résistance aux diverses vagues de répression, qui luiouvrit finalement les yeux.

Qui saura jamais si le vieux soldat, engagé volontaire à dix-huit ans dans la Hagannah, l'armée juiveclandestine qui préparait la naissance d'Israël contre l'occupation britannique, n'a pas éprouvé quelque admiration secrète pources milliers de gamins arabes qui, chaque jour, pendant sept années, ont affronté les balles de l'occupation avec de misérablespierres ? Le premier ministre austère s'est-il jamais souvenu qu'un jeune guerrier juif nationaliste du nom d'Itzhak Rabin participait en1946 aux coups de main de la Hagannah contre l'occupant anglais et que cela lui avait valu six mois d'emprisonnement dans uncamp militaire situé...

à Gaza ? " Nous savons nous battre...

Personne ne nous a vaincus...

Nous ne fuyons pas les territoires...Nous avons fait un choix stratégique, celui de la paix.

" L'essentiel d'Itzhak Rabin est dans ces phrases, répétées comme unleitmotiv dans presque tous ses derniers discours. Cigarettes, café, whisky et, à l'occasion, un bon steak non cachère.

Itzhak Rabin ne portait la kippa qu'en public, pourcertaines de ses sorties officielles, et il n'allait pas très régulièrement à la synagogue.

En d'autres termes, il n'avait rien de communavec le sionisme messianiste qui, depuis le début des années 70, a pris la relève des pionniers laïcs et des kibboutzniks dans lesterritoires occupés. La paix est une décision stratégique d'Israël.

Le maintien, pour au moins cinq ans, de toutes les colonies juives, 147 au totalpour un peu plus de 140 000 habitants, Jérusalem-Est exclue , dans tous les territoires, y compris à Gaza, était, pour le disparu,une tactique à moyen terme visant à négocier en position de force, le moment venu, le statut définitif des territoires.

Cela, lescolons et l'extrême droite l'avaient compris, et c'est sans doute ce que les plus fanatiques d'entre eux ne lui ont pas pardonné.Homme d'épée il fut, homme d'épée il mourut.

D'une certaine manière, sa fin tragique conforte sa légende. PATRICE CLAUDE Le Monde du 7 novembre 1995. »

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