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Article de presse: La nouvelle social-démocratie allemande

Publié le 17/01/2022

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15 novembre 1959 - Le 15 novembre 1959, le Parti social-démocrate allemand se donnait un nouveau programme. Le congrès s'était réuni à Bad-Godesberg, ville d'eau voisine de Bonn, dont le nom devait s'attacher au document. L'adoption d'un nouveau programme était, pour la social-démocratie allemande, un acte rare et solennel. Fondé cent ans plus tôt, en 1863, par Ferdinand Lassalle, tribun éloquent et audacieux, puis une seconde fois en 1869 à Eisenach, en Thuringe, par la fusion d'un groupe d'anciens lassalléens avec une forte cohorte de marxistes, le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) avait été définitivement constitué en 1875, à Gotha, en Thuringe, par une nouvelle fusion avec ce qui restait du premier parti lassalléen. Le programme de Gotha groupait, ou plutôt juxtaposait, l'adhésion lassalléenne au suffrage universel et à l'action parlementaire avec les conceptions marxiennes du parti de la lutte des classes révolutionnaires. Se reconstruisant autour de Kurt Schumacher après la longue et sanglante parenthèse nazie, la social-démocratie n'éprouva pas tout de suite le besoin de formuler à nouveau ses principes et ses voies d'action. Il lui fallut d'abord rassembler ses militants dispersés qui sortaient des prisons, des camps et de l'exil, former des cadres, résister à la formidable pression soviétique en faveur de la fusion avec le Parti communiste, qui fut imposée par la force en zone russe dès le printemps 1946. Avec moins d'un tiers des voix aux élections de 1949, le parti du peuple tout entier que devait être le SPD de Schumacher se trouvait confiné dans une section de l'électorat formée essentiellement de salariés, d'ouvriers, d'employés et de fonctionnaires, secteur sur lequel chrétiens-démocrates et libéraux mordaient d'ailleurs eux aussi assez largement. Le SPD que Schumacher avait reconstitué comme parti gouvernemental se trouvait rejeté dans l'opposition sans perspective de sortie, situation confirmée en 1953 après la mort de Schumacher, par la deuxième élection générale, qui apporta à la CDU un succès éclatant, avec 50 % des sièges pour le seul parti du chancelier Adenauer. Dans ces conditions, les responsables du parti furent contraints de prendre conscience du fait que le SPD, à travers ses choix politiques et ses programmes, repoussait la majorité des électeurs. De ce constat, qui ne s'imposa que très progressivement, se dégagea peu à peu un nouveau programme. Débutant par une espèce d'incantation historique qui célèbre en termes presque poétiques les nouvelles forces et les nouvelles espérances de l'humanité, à laquelle il annonce en même temps des dangers terrifiants, le préambule appelle à résoudre ces contradictions dans un ordre social meilleur, au-delà de la misère et de la peur, par le " socialisme démocratique ". Dans une deuxième partie intitulée " Valeurs fondamentales du socialisme ", la liberté et la justice sont présentées comme se fondant mutuellement, afin que tout un chacun puisse participer dans une pleine égalité de droits à la formation et au développement de la société. Le socialisme démocratique s'établit sur la base de l'éthique chrétienne, de l'humanisme et de la philosophie classique. Dans ces formulations, toute allusion au marxisme a été évitée, de même que les expressions " démocratie socialiste ", " travailleurs ", " classe ouvrière ", voire toute référence à l'histoire marxiste du parti. Cette rupture avec le marxisme correspondait à la fois à l'expérience d'un grand nombre de responsables, dont certains avaient retrouvé la foi religieuse de leur jeunesse, et à une nécessité stratégique. Malgré la lutte acharnée que la social-démocratie avait menée contre la tentative de fusion forcée avec le Parti communiste, ses adversaires continuaient dans les luttes électorales à l'assimiler au " marxisme athée " et à dénoncer la base théorique commune du léninisme totalitaire et de la social-démocratie. L'abandon de toute référence aux racines, à ce qui avait été naguère l'instrument du combat intellectuel et moral du parti de Bebel et de Kautsky, devait rendre impossible la poursuite de telles attaques. Dans sa partie économique, le programme de Godesberg ne parle ni de nationalisations ni d'étatisation; la concurrence et la liberté d'entreprendre sont présentées comme des valeurs positives. Le transfert de certains biens à la " propriété commune " n'est légitime que là " où il n'est pas possible de garantir par d'autres moyens un ordre sain ". De même est demandée la généralisation de la cogestion paritaire que la loi de 1951 n'avait appliquée qu'aux entreprises comptant plus de deux mille salariés dans les branches du charbon et de l'acier, et, encore, d'une manière incomplète. En revanche, tout ce qui dans les programmes précédents avait visé la création de rouages paritaires de direction et de planification à des niveaux interentreprises et au niveau national disparaissait. C'était un projet de réformes qui ne s'attaquait pas aux structures. Aux contemporains, il apparaissait surtout que la social-démocratie cessait d'être un parti anticapitaliste, socialiste et révolutionnaire, qu'elle mettait enfin sa théorie d'accord avec sa pratique, qu'elle se plaçait sur le terrain de la société existante. Ayant ainsi profondément réorganisé sa présence et son apparence sur le terrain politique, le SPD, au cours d'un nouveau congrès qui se tint à Hanovre du 21 au 25 novembre, put présenter aux électeurs, en vue de l'élection de 1961, un nouveau programme d'ensemble, une nouvelle équipe et surtout le nouveau candidat chancelier que la direction avait publiquement proposé dès le 24 août 1960 aux suffrages des congressistes : Willy Brandt, qui incarnait le changement et, dynamique, avenant, tranchait sur la raideur de Schumacher. Si le succès de Willy Brandt prit plus de temps que ne l'avaient espéré les partisans du corps nouveau, si près d'une décennie devait s'écouler avant son entrée à la chancellerie, la voie, désormais, était ouverte. JOSEPH ROVAN Le Monde du 18-19 novembre 1984

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