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Cours: ART ET VERITE

Publié le 22/02/2012

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Introduction : Art & Vérité.

 

La technique moderne a considérablement rapproché de nous les œuvres d’art. Leur accès est rendu plus facile ; alors qu’au XIX ième, il fallait aller vers les œuvres, se rendre au théâtre ou au concert. Aujourd’hui, les œuvres sont « chez nous «. Pourtant, ces œuvres n’en deviennent paradoxalement pas plus familières. D’où vient l’étrangeté de l’œuvre et son inaltérable consistance en soi ?

Toute œuvre (une « Passion « de Bach, une peinture de Van Gogh ou de Cézanne, « A la recherche du temps perdu « de Proust) présente une cohésion, une unité organique si puissante qu’elle renvoie davantage à elle-même qu’à aucun étant dans le monde.

Toute œuvre se retire du monde, se mire en elle-même, et pourtant tout en se repliant sur soi, montre quelque chose comme un monde, enseigne à voir d’une manière nouvelle notre univers quotidien : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible « disait Paul KLEE. L’art semble être la célébration de la visibilité.

La philosophie se pose depuis Platon ces question : l’art peut-il dire la vérité (entendue comme discours rationnel sur l’être)? Que veut-il dire ? Est-il seulement un objet qui nous donne un certain plaisir ou bien nous donne-t-il ce plaisir parce qu’il nous apprend une vérité sur nous-mêmes ou sur le monde ? A travers toute l’histoire de la philosophie la question du rang de l’art dans l’échelle de la connaissance humaine a été posée.

L’art est-il situé au plus bas degré de la hiérarchie des activités et des modes de production ? L’artiste, au lieu de nous arracher au sensible nous attache-t-il à lui comme le prétend Platon ? Au contraire, l’art n’est-il pas porteur de sagesse, de savoir ? Le sens est-il à l’œuvre dans l’œuvre d’art ?L’art est-il « la mise en œuvre de la vérité « ?

            Illustrons cette problématique : si nous regardons, suggère Heidegger, un tableau de Van Gogh représentant une paire de souliers, ce tableau ne nous montre-t-il pas le relation au travail de la terre qui les a usés et déformés. Ces souliers usés n’évoquent-ils pas le lien obscur avec la terre et le dur monde du paysan qui les a portés. L’œuvre d’art ne semble-t-elle pas manifester, mieux, dévoiler la vérité implicite d’une chose, que son usage ordinaire cache ?

 

 

1)      L’imitation de la nature.

 

C’est dans la célèbre notion de « mimèsis « (l’imitation en tant que simulacre) que se situe la dépréciation ontologique de l’art opérée par Platon au livre X de la « République «. L’art est imitation ; l’imitation n’est pas la reproduction d’une « réalité « (Forme, Idée), mais d’une apparence (598b) ou d’une image. L’art est donc apparence d’une apparence. Il se trouve au « troisième degré d’éloignement par rapport à la vérité « (599a). Aussi la ressemblance artistique ne peut-elle être que fausse, et la similitude trompeuse. La tradition conservera la notion de « mimèsis «, mais en lui ôtant peu à peu tout caractère péjoratif. Chez  Aristote, la « mimèsis « signifie la représentation obtenue selon la règle de l’adéquation. Un portrait peut être ressemblant au modèle, donc vrai parce qu’adéquat. La « mimèsis « est représentation plus que reproduction. En tant qu’elle vise l’intelligibilité, elle a pour contenu l’universel (« Poétique «, chapitre 9) : « L’art est plus philosophique que l’histoire «.

 

a)      La dépréciation platonicienne de l’art.

 

Platon montre que l’image artistique est doublement inadéquate, à la fois à l’être (à l’Idée) et à l’étant (à la chose représentée).Que l’on compare, pour reprendre l’exemple du livre X, un lit fait par un menuisier, et un lit peint par un peintre. L’artisan qui veut fabriquer un lit doit se référer en pensée à l’Idée du lit, se soumettre à ce qu’exige un tel ustensile, obéir à ses conditions d’utilisation. Le peintre pourra se contenter de quelques traits et ombres qui évoquent un lit. Il  lui  suffira pour produire une vue du lit d’en donner une « apparence « (l’apparence de sa matérialité) sans se préoccuper de sa Forme, de son Idée, où se trouve inclus l’usage possible du lit : qu’on puisse s’y allonger. Pour produire son image, l’artiste n’a pas à remonter à l’Idée. Mais, en outre, Platon s’appuie sur le postulat réaliste qui veut qu’un lit dont on peut se servir e st supérieur à un lit qu’on peut seulement regarder, et encore toujours sous le même angle. L’art est ainsi condamné comme inadéquat à l’étant, autant qu’à l’être.

Mais l’art n’est-il pas au moins respectable sinon admirable parce qu’il est difficile ? Non, rien de plus simple, dit Socrate, que de produire comme le fait un artiste. Il suffit pour « produire « de cette façon de prendre un miroir et de le « promener en tous sens «. Alors naîtront aussitôt des « apparences « (« phainomena «) de toutes choses. L’art est ainsi déprécié à la faveur d’une affirmation surprenante : l’image artistique n’est qu’un reflet dans un miroir, une illusion sans substance, une vacuité sans consistance. Platon feint d’ignorer qu’il existe une technique du  dessin, un art de la couleur. La théorie du miroir évacue toute la matérialité de l’art. L’artiste est assimilé à un charlatan dépourvu de toute espèce de « métier «. Ce qu’il « produit «, tout le monde peut le produire, et ce n’est pas une opération très difficile (« Tu pourrais le produire toi-même, dit socrate à Glaucon, d’une certaine façon […] et qui n’est pas compliquée, […] pourvu qu’un miroir à  la main tu veuilles le promener dans toutes les directions, tu auras vite fait de produire un soleil, viter de produire une terre, vite de te produire toi-même, tout comme le reste, animaux, objets fabriqués, plantes […] « 596 d-e). L’artiste est défini comme un pseudo-producteur, comme un producteur aveugle de pures et simples apparences, et non pas des étants « en vérité « (« alètheia «). Le peintre produit un lit « apparent «, c’est-à-dire inconsistant. Et le menuisier, « Il  crée non pas la forme, qui, affirmons-nous, est ce qui est réellement un lit, mais qu’il crée un certain lit parmi d’autres « « (597a).

L’ « imitateur « (mimètès) est celui qui préside à ce troisième degré d’éloignement par rapport à la vérité. Il mérite le nom d’ « ouvrier de l’image «, car il se propose non pas de représenter le lit tel qu’il est, mais tel qu’il paraît. L’art de peindre est « une imitation de la semblance « (598b).

L’artiste a-t-il de cette apparence fantomatique le moindre savoir ? Peut-on apprendre d’un peintre la façon de faire un lit ? Peut-on apprendre d’un poète qui chantera une guérison la manière de guérir ? Les poètes ne savent pas de quoi ils parlent. Ils seraient incapables de « rendre raison « de ce qu’ils imitent. Ainsi, dit Platon, Homère traite de la guerre du commandement des armées, du gouvernement des cités, de l’éducation des hommes, mais si on l’interrogeait sur ces techniques, il ne pourrait nous donner aucun principe de ces diverses activités, nous dire par exemple pourquoi une cité est bien ou mal gouvernée. L’imitation artistique et poétique ne repose sur aucune connaissance. Le poète et l’artiste, n’ont « ni science ni opinion droite «§ des choses qu’ils imitent. Ce sont des ignorants : « Mais ce que je crois, moi, c’est que s’il était vraiment savant dans les choses qu’il imite, il exercerait son sérieux bien plutôt dans le domaine des faits que dans celui des imitations, il tenterait de laisser nombre d’actes mémorables en souvenir de lui-même, et aurait à cœur d’être plutôt celui dont on fait l’éloge que celui qui fait éloge. « (599b).

Ce réquisitoire exclut l’art de la cité et surtout les poètes tragiques. La tragédie, qui nous fait éprouver du plaisir au spectacle du malheur, affaiblit l’élément raisonnable en nous ; elle ne nous apprend pas à rester calmes et courageux si le malheur nous frappe. Les poètes flattent l’élément déraisonnable de l’âme et non seulement ne nous apprennent rien sur le monde, mais ne nous apprennent pas à devenir meilleurs. C’est au nom du réalisme et du bon sens que Platon condamne l’art en le rattachant à l’infantilité en l’homme (« L’imitation n’est qu’une espèce de jeu d’enfant, dénué de sérieux «, 602 a ; la poésie révèle de « cet amour d’enfance qui est encore celui de la plupart des hommes «, 608 a). L’art tragique nous fait aimer l’immoralité, les passions, les crimes, au lieu de nous en donner le dégoût. Cette condamnation morale de l’art a pesé plus lourdement dans la tradition que sa condamnation comme ignorance et fabrication d’illusions.

 

b)      Art & perspectivisme. L’artiste et le sophiste.

 

Platon veut lutter contre l’orientation de l’art de son temps qui lui semble aberrante. Il le voit, surtout dans le domaine des arts plastiques, s’engager de plus en plus sur le chemin du perspectivisme, c’est-à-dire viser à une restitution illusionniste des apparences. Cela revient à faire du regard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité. L’art grec du vième siècle recherche la vraisemblance et se soumet aux déformation de la vision ; il corrige les formes et les propositions suivant le point de vue du spectateur. L’artiste fait passer l’apparence pour le spectateur avant la vérité intrinsèque de la figure représentée.

Ainsi encore l’anecdote célèbre concernant un concours où se mesurent Phidias et un sculpteur plus jeune et inexpérimenté du nom d’Alcamène Deux statues d’Athéna étaient à exécuter qui devaient figurer au sommet de hautes colonnes. Phidias sut tenir compte de l’effet d’éloignement et grossit pour cela fortement les traits du visage de sa statue. Quand les statues furent terminées, mais non encore hissées en hauteur, la statue faite pour Phidias parut si grossière qu’elle provoqua les quolibets de l’assistance. Mais les deux une fois montées, celle de Phidias parut seule réussie et Alcamène perdit le concours.

Une autre anecdote raconte que Zeuxis avait peint de si ressemblants raisins que des pigeons seraient venus les picorer.

Platon veut lutter contre cette tendance relativiste de l’art. Tendance qui fait écho au relativisme subjectiviste du sophiste Protagoras qui disait déclarait que « l’homme est la mesure de toutes choses : de celles qui sont en tant qu’elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu’elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas . «. Comment doit-on comprendre cette affirmation. Non pas par référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens individuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même « (Aristote, « Métaphysique «, k,6) ou encore que « telles m’apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t’apparaissent à toi, telles pour toi elles existent « (Platon in « Théétète «, 152a) Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que  tout est vrai ? Affirmer l’égale vérité des opinions individuelles portant sur un même objet, et ce malgré leur diversité revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n’être pas «. C’est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de contradiction, selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport «. Or, affirmer l’identique vérité de propositions contradictoires, c’est renoncer au langage. Si dire « Ceci est blanc « n’est ni plus ni moins vrai que dire « ceci n’est pas blanc «, alors « blanc « ne signifie rien de déterminé. Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais en fait il « ne dit pas ce qu’il dit « et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même «. Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit aussi corrélativement la stabilité des choses. Si le blanc est aussi non-blanc, l’homme non-homme, alors il n’existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sont confondues et « par suite rien n’existe réellement «. aucune chose n’est ce qu’elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute façon, le mot être est à éliminer « (« Théétète «). Dire que « tout est vrai «, c’est donc rompre le lien entre le discours et l’être. Dire que tout est vrai, c’est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien, à proprement parler, ne peut être dit vrai ; et c’est dans les deux cas nier la possibilité de la connaissance, puisque la première thèse implique la vérité de son contraire, et la seconde exclut sa propre vérité.

Il apparaît ainsi que le specticisme comme le relativisme est une position intenable. Dès qu’il se dit, il se contredit.

 A l’inverse de cet art d’illusion, Platon fait une apologie de l’art égyptien, dédaigneux du spectateur et qui a gardé pendant des millénaires les mêmes canons. L’art égyptien ne vise pas à flatter de façon sophistique le point de vue du spectateur. Ce n’est pas l’homme qui est la mesure des choses représentées, mais ce sont les choses mêmes. L’art égyptien ne cherche pas à rendre le naturel, l’apparence de la vie et du mouvement ou bien le modelé, la perspective. L’artiste égyptien néglige cette donnée élémentaire de la perception qui fait qu’un corps est toujours vu d’un certain point de vue. Aussi n’introduit-il aucune déformation, aucun raccourci. Les corps sont présentés au repos, trônant dans une immobilité auguste et éternelle.

 

La condamnation platonicienne réapparaît à maintes reprises dans la culture occidentale, mais plutôt sous la forme d’une suspicion ou réprobation morale qui englobe l’art, les artistes et leur mode de vie prétendument dissolu. Ainsi en Angleterre le puritanisme obtient en 1642 la fermeture des théâtres. Ainsi encore il faut rappeler que l’institution de la censure est extrêmment ancienne et persistante : elle existait déjà à Athènes, fut exercée par l’Eglise et plus tard organisée par Richelieu en appareil d’Etat. On se souvient du procès de Flaubert pour « Madame Bovary « et de celui de Baudelaire pour « Les Fleurs du Mal «. Si aujourd’hui la censure théâtrale a cessé de s’exercer, une censure cinématographique continue de fonctionner sous le sempiternel prétexte de la protection de la jeunesse contre le vice, l’indécence, la débauche et le crime. L’existence de la censure pose la question suivante : l’art doit-il être édifiant ? N’est-il autorisé à montrer le mal que s’il présente sa défaite ? La morale peut-elle légiférer sur l’art et le dénoncer comme immoral et dangereux ? Platon était plus radical : dans les « Lois «, il n’admet dans la cité idéale en fait de musique et  de poésie que celles qui soient imitation de la vertu et du bien.

 

§ Le monde de l’ignorance, la caverne, c’est le monde de la croyance, de toutes ces connaissances que l’on peut regrouper sous le nom d’opinion. Ce sont toutes ces idées dont nous ne pouvons pas rendre compte rationnellement, mais auxquelles nous adhérons pour tout autres raisons que des raisons. Le hasard peut faire qu’une opinion soit vraie, elle n’en demeure pas moins une opinion, cad une croyance, non un savoir. Les opinions droites n’ont pas la permanence de la science parce que, n’étant pas liées à ce qui les rend nécessaires, elles peuvent sortir de l’âme au gré des influences.

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