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Cours: LE DESIR (3 de 4)

Publié le 22/02/2012

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desir

II) L'OBJET DU DESIR

- Que désirons-nous au juste ? Il semble que l'objet du désir soit pour le moins obscur et ambigu, dans la mesure où nous sommes souvent incapables de répondre à cette question, dans la mesure également où le désir, qui veut et ne veut pas la satisfaction, se caractérise par l'ambivalence. En effet, dès que le désir est privé de son objet, il aspire à en jouir, dès qu'il l'a trouvé, il soupire à en mourir, car le désirable n'est plus rien s'il n'est plus désiré. Existe-t-il alors un objet en soi suprêmement désirable qui comblerait notre attente sans la décevoir ? Est-ce le désir qui détermine le désirable ou le désir est-il déterminé par le désirable ?

1.     LE BONHEUR

- A la question : " y a-t-il un objet suprêmement désirable qui serait la cause finale des activités humaines ? ", Aristote, dans Ethique à Nicomaque, répond qu'il s'agit précisément du bonheur. Or, en quoi peut-on dire que le bonheur est le souverain bien ? Peut-on trouver effectivement cet objet suprêmement désirable ? N'est - il pas, en réalité, un leurre ?

1) Le bonheur, souverain bien

- Le bonheur est, en effet, ce que tous les hommes désirent. Il est recherché comme une fin absolue et non relative. Si chaque activité particulière tend vers quelque bien (la médecine vers la santé, l'art financier vers la richesse, etc.), ces biens ne sont pas poursuivis pour eux-mêmes, mais seulement comme des moyens en vue d'une fin plus haute qui est le bonheur. Le bonheur est donc le souverain bien, en ce sens que toutes les fins particulières se subordonnent à cette fin suprême qui est recherchée pour elle-même : en clair, nous désirons être heureux pour être heureux.

- Or, s'il y a convergence sur le nom du bonheur, il y a toutefois divergence concernant sa nature. Aristote recense les objets de désir possibles et définit sur cette base trois grands types de vie : la vie de jouissance, la vie politique, la vie contemplative.

2) Les différents genres de vie

1.     La vie de jouissance

- Elle est celle qui est particulièrement prisée par la foule. Attrait des plaisirs du corps, des jouissances matérielles et sensibles. Le plaisir est-il alors la fin ultime du désir ?

- D'abord, toute activité sensible ou intelligible s'accompagne de plaisir lorsqu'elle s'exerce dans des conditions favorables. Or, la foule qui aspire à une vie de jouissance ne vise pas les plaisirs raffinés de l'intellect. Chaque être vivant a une vertu propre, l'excellence pour chacun consiste à remplir au mieux la fonction qui convient à sa nature. Une vie sensitive, au sens du vulgaire, ne nous distingue en rien des bêtes qui éprouvent comme nous les sensations de plaisir et de peine. Une pure vie de jouissance convient plutôt à des bêtes qu’à des hommes.

- Ensuite, le plaisir n'est pas, selon Aristote, la fin dernière de nos activités, mais une fin surajoutée qui les couronne lorsqu'elles sont menées à bien : l'acte de voir, par exemple, lorsqu'il unit une vue parfaite et un objet parfait, produit une jouissance esthétique. Mais l'acte pourrait très biens e produire sans plaisir : le but de la vision est la perception de l'objet.

- Le plaisir n'est pas la cause finale de l'acte, il résulte d'une bonne adaptation de la faculté à son objet; il est un luxe en quelque sorte, un fin qui s'ajoute à l'acte, qui le perfectionne, le rend plus désirable. " Le plaisir est une sorte de surplus gracieux qui parachève le but " (Chantal Jaquet, Le désir, Quintette, p.33).

- Qui plus est, outre les raisons mentionnées plus haut, le plaisir ne peut constituer le suprême désirable en vertu de sa nature ponctuelle et éphémère.

2.     La vie politique

- C'est celle à laquelle aspirent surtout les gens cultivés soucieux de l'honneur. Mais " l'honneur apparaît une chose trop superficielle pour être l'objet recherché " (Aristote, op.cit., I,3). L'honneur est fragile, périssable : il met l'homme à la merci de l'opinion inconstante de la foule qui adore aujourd'hui ce qu'elle honnira demain. Il s'agit d'un bien qui ne dépend pas tout à fait de nous et qui peut être ravi selon les caprices de la fortune. Ce n'est donc pas un bien véritable et encore moins le souverain bien.

c) La vie contemplative

- La contemplation est la fin suprême de l'existence humaine. Les hommes désirent la sagesse car elle constitue ce qu'il y a de plus excellent. Seule la philosophie est à même de satisfaire les désirs humains et de procurer la vie heureuse. Elle combine l'excellence du sujet et celle de l'objet connu. Elle est la vertu de l'intellect, faculté la plus haute de l'homme.

- La nature humaine est pensante. Par penser, Aristote n’entend pas seulement avoir des représentations ou des projets dans son esprit, ce dont les animaux sont d’une certaine façon capables. Il s’agit de la conscience de soi-même (ce qui est propre à l’homme), de la réflexion, du raisonnement logique, de la théorisation, c’est-à-dire la tentative de se représenter et de comprendre le monde. La nature de l’homme est d’être un animal potentiellement raisonnable, susceptible de le devenir, à condition qu’il se cultive, qu’il fasse des efforts pour exercer et développer sa pensée. L’homme doit réaliser sa nature, devenir en acte ce qu’il est d‘abord en puissance.

- Si la pensée est l’activité essentielle et la nature de l’homme, lorsque je m’y adonne, j’ai bien le sentiment de me développer conformément à ma nature et de mener une vie digne d’un être humain. Le bonheur provient d’une satisfaction plus profonde, qui n’exclut pas la peine de certains efforts, la souffrance des soucis et des luttes : le bonheur réside dans le sentiment que j’avance dans le bon sens, que j’oeuvre pour le bien, que je développe mon être conformément à mon essence. Aristote précise que le plaisir vient parfois s’ajouter à cela, lorsque mon activité remporte quelque succès (par exemple, lorsque je trouve la solution d’un problème), mais il n’est qu’un accompagnement, il n’est ni le but de l’action, ni le composant essentiel du bonheur.

- Ce bonheur philosophique n’est pas soumis aux intermittences de l’action, il ne produit pas de lassitude; il apporte des plaisirs merveilleux, qui ne sont pas mélangés de douleur ou d’impureté et qui sont stables et solides. Cette vie selon l’esprit assure l’indépendance à l’égard d’autrui : celui qui se consacre à l’activité de l’esprit ne dépend que de lui seul; cette vie ne cherche pas un autre résultat qu’elle-même, elle est aimée pour elle-même, elle est à elle-même sa propre fin. Elle apporte aussi l’absence de trouble.

1.     LE DESIR, ESSENCE DE L'HOMME (texte de Spinoza, in Ethique, II)

- Aux questions : " que désirons-nous au juste ? ", " est-ce le désir qui détermine le désirable ou le désir est-il déterminé par le désirable ? ", Spinoza, dans L'Ethique, montre que le désir n'est pas engendré par l'attrait exercé par un bien objectif, mais qu'il est au contraire la source des valeurs. Spinoza abolit la distinction qui est généralement opérée entre le sujet désirant et l'objet désiré. Aussi le désir coïncide-t-il avec son objet.

- Les hommes croient généralement que leurs désirs sont les effets de la représentation d'un but et qu'ils désirent une chose parce qu'ils la jugent bonne. Ils pensent qu'ils tendent vers des fins ou des biens extérieurs qui exerceraient sur eux un attrait.

- Or, aucune chose n’est bonne ni mauvaise en soi. Le désir qui nous porte vers elle nous la fait trouver bonne. Nous ne désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes; elles nous semblent bonnes parce que nous les désirons. C'est le sujet lui-même comme désir qui est à la source de la définition des biens et le fondement des valeurs. L’objet du désir est-il secondaire par rapport au désir lui-même.

- Exemples :

1.     Une musique n'a pas vraiment de valeur objective : elle peut être bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine…

2.      Exemple de l'habitation : " Quand nous disons que l'habitation fut la cause finale de telle ou telle maison, nous voulons dire exactement ceci : un homme ayant imaginé les avantages de la vie domestique a eu le désir de construire une maison " (Ethique, quatrième partie, préface). C'est le désir de jouir des commodités d'un abri qui est cause première de l'habitation et non l'inverse. L'habitation n'est pas une fin en soi mais un moyen au service d'un désir de confort. Le désir est ici la cause efficiente, celle qui engendre l'effet escompté – la maison. Dit autrement : l'habitation ne constitue pas un bien en soi qui, en vertu de ses qualités propres, éveillerait nos appétits. C'est parce que nous désirons nous protéger efficacement que nous allons juger qu'elle est une bonne chose.

- Spinoza invalide donc la thèse d'une objectivité absolue des valeurs. Les choses ne sont pas bonnes en elles-mêmes mais relativement à notre désir et notre constitution. Comment se fait-il alors que les hommes intervertissent l'ordre et la connexion des choses et soient intimement persuadés que la représentation d'une fin jugée bonne – l'habitation, par exemple – est la cause première du désir ?  Il s'agit là d'une illusion due au fait que les hommes ignorent les causes de leurs désirs : "…il sont conscients de leurs actes et de leurs désirs, mais inconscients des causes qui déterminent ceux-ci " (ibid.).

- L'illusion en question est le fruit d'une conscience partielle qui se croit totale. Les hommes ont conscience de leurs désirs, car ils en ressentent les effets en eux et peuvent naïvement imaginer qu'ils sont produits par des objets extérieurs attrayants ou repoussants. Les causes réelles qui les déterminent ne sont pas directement perceptibles et ne se manifestent qu'à travers leurs effets. Elles peuvent donc être totalement occultées.

- Ainsi, comme j'ai bien conscience que je suis désireux d'habiter une maison (j’éprouve une certaine joie à caresser une telle perspective), et comme j'ai bien conscience que j'agis dans ce but, je puis croire en toute bonne foi que l'habitation est la cause finale de mon désir. Je nourris de ce fait l'illusion qu'il existe un objet désirable en soi, qui préexiste à sa réalisation. En réalité, j'ignore la cause véritable qui détermine mes aspirations et mes actes : je suis en quelque sorte aveuglé par ce que je perçois consciemment, j'oublie que c'est le désir qui m'a poussé à concevoir l'habitation.

- Conséquence : il n'y a pas de désir sans conscience, l'idée d'un désir inconscient est absurde car il faut bien percevoir des effets et avoir une conscience minimale pour pouvoir dire que l'on désire. Le désir est défini comme un appétit accompagné de la conscience de lui-même. Seules les causes qui déterminent le désir peuvent rester inconscientes

- Le désir se rattache à l’effort pour persévérer dans son être que Spinoza appelle le conatus : non seulement l’instinct de conservation, mais surtout l’essence d’une chose dans toute sa richesse et sa complexité ; tendre à réaliser tout ce qui est en son pouvoir pour actualiser son essence. L’effort exprime l’essence d’une chose. Un être est ainsi ce qu’il peut être (essence et puissance sont une seule et même chose). Etre, c’est désirer; persévérer dans son être, c’est s’efforcer de désirer. Nos désirs particuliers ne sont que des modes d’expression et de réalisation de ce désir premier de persévérer dans notre être.

- Tout désir est au fond désir de soi, de se réaliser. Cet obscur objet du désir, c'est moi-même.

C) DESIR DE DESIR

- Nous avons vu, dans le cours sur autrui, qu’autrui est l’horizon permanent de ma propre existence, ainsi que «  le médiateur indispensable entre moi et moi-même « (Sartre). Dès lors, pour que je puisse acquérir mon identité de sujet, accomplir mon désir d’être moi-même, il est nécessaire que je me cherche à travers autrui, sans me perdre et m’aliéner pour autant. De sorte que la quête de soi passe par sa médiation.

- C’est ce que montre Hegel notamment. Tout désir est par nature l’expérience d‘une altérité.

- Désir et négativité (Hegel, la différence entre le désir et la contemplation esthétique). Le désir, en visant des objets, fait de ces objets des objets pour moi ; le désir nie leur indépendance, leur altérité. Toutefois, au moment où la conscience nie les objets pour se les approprier et en jouir, elle fait l’expérience de leur indépendance irréductible : la négation opérée par la conscience ne suffit pas pour supprimer l’objet et réduire son altérité.

- Cette découverte s’établit à travers le constat de la renaissance perpétuelle du désir et de son objet. Exemple : la pomme désirée sera consommée (elle ne sera plus) mais le désir de la pomme renaît et un autre objet (une autre pomme) se présente pour être nié. La conscience perçoit alors la nécessité de l’objet. Si la conscience peut assimiler les choses, elle ne peut s’assimiler à elles faute de quoi elle se réifierait. Du coup, elle s’aliène dans cet univers étranger des choses et perd son identité en se perdant dans ses objets.

- Pour que la conscience puisse se trouver elle-même, il ne faut pas que l’objet soit radicalement autre. Il doit être à la fois même et autre, moi en même temps qu’objet, de façon que je me reconnaisse en lui. Seule une autre conscience peut remplir cette exigence.

- Ce que l’autre désire, j’en viens à le désirer aussi. En effet, le désir de l’autre pour un objet me désigne cet objet comme ayant une valeur, comme étant digne de convoitise et agréable à posséder. Par exemple, il suffit à une jeune fille que les autres filles de son groupe trouvent un garçon “supergénial” pour qu’aussitôt elle ait envie de sortir avec lui. Tel est aussi le ressort des mouvements de mode : la valorisation soudaine et provisoire d’un produit.

- Quelle est la raison d’être de ce mimétisme du désir ? Pourquoi désirer ce qu’autrui désire ? En fait, si je désire posséder l’objet même dont il a envie, c’est pour qu’il m’admire, qu’il m’estime. Ce n’est que pour cela que je désire cet objet, et non pour lui-même, pour ses qualités propres. Mon vrai désir, c’est le désir de l’amour d’autrui. Presque tous les désirs humains ont en réalité cette fin.

- C’est ce qu’affirme Hegel dans La phénoménologie de l’esprit : le désir humain fondamental n’est pas le désir de consommation de l’objet, le désir de plaisir, de jouissance physique, qui est aussi bien celui de l’animal, mais c’est le désir de l’estime, de l’admiration, de l’amour d’autrui, le désir de reconnaissance, c’est-à-dire le désir du désir d’autrui, c’est-à-dire le désir d’être reconnu par autrui comme un être qui a une valeur (qui est donc lui-même désirable). Et cela médiatise le désir d’objet, objet dont la possession n’est qu’un moyen pour ramener sur soi l’envie qu’autrui lui porte : si je veux avoir de multiples objets, ce n’est pas pour le plaisir qu’ils m’apportent directement, mais c’est pour tenter de capter et de détourner au profit de mon être la valeur qu’autrui leur reconnaît.

- Si j’étais naufragé solitaire sur une île déserte, m’importerait-il encore d’avoir des vêtements élégants, de posséder une belle voiture, une belle maison ? Songeons d’ailleurs à cette rage qu’ont les hommes de se mesurer, de se comparer, afin d’être le meilleur, et qui s’exprime partout, dans les affaires, les études, les jeux, le sport. Je me soucie infiniment de ce qu’autrui pense de moi. Dans tous les cas, je suis inquiet du jugement que l’autre peut porter sur moi. Je suis seul dans un compartiment de chemin de fer ou dans la salle d’attente d’un médecin; je ne me soucie pas de mon attitude. Mais voici que quelqu’un entre; aussitôt, je rectifie ma posture, je me soucie de mon apparence. Mais pourquoi en va-t-il ainsi ? Pourquoi ai-je un tel souci du jugement d’autrui sur moi, une telle soif d’être reconnu, estimé, admiré, aimé ?

- Selon Sartre, cela provient du fait que je suis un être conscient et libre, donc indéterminé. Alors que les choses sont ce qu’elles sont (elles ne peuvent devenir autre chose, décider librement de changer), l’homme, comme être conscient, peut décider de modifier son être : il est libre. Ce que je suis dépend de ma décision, de mon effort personnel. La contrepartie de cette liberté, c’est une indétermination, une contingence : je ne suis pas définitivement, ni même réellement ce que je suis. Cette situation existentielle n’est pas sans générer une certaine angoisse : je voudrais “être quelque chose”, “être quelqu’un”. Je veux être rassuré sur mon identité et ma valeur. J’ai donc besoin de la confirmation de mon être que je trouve dans le jugement d’autrui. C’est l’opinion des autres qui me procure une identité, un caractère qui me font défaut par nature. Il me semble que je n’ai pas d’autre être que celui qui m’est accordé par autrui, que je ne suis que ce que je suis reconnu être. Mon être est tout entier relationnel.

- En somme, derrière tout désir de possession d’objet, de réussite, se cache notre désir fondamental, le désir de reconnaissance, qui n’est autre qu’un désir d’être, un désir ontologique. Telle est notre condition, le prix de notre liberté. Et c’est aussi le principe des efforts que font les hommes pour se dépasser eux-mêmes, pour briller aux yeux des autres, pour acquérir une valeur. Si les humains étaient des êtres-en-soi, ils se suffiraient à eux-mêmes, seraient satisfaits de leur personne et resteraient de paisibles animaux.

- Le désir atteint sa vérité dans la reconnaissance des consciences. Il m’échappe toujours peu ou prou, il n’est pas mien mais le nôtre ; il n’est jamais solitaire mais toujours solidaire d’une relation entre les consciences.

Conclusion :

- Que pouvons-nous répondre à la question : " que désirons-nous au juste ? " L'objet du désir nous est apparu comme n'étant pas extérieur au désir lui-même : ce n'est pas un objet extérieur qui détermine le désir mais c'est le désir qui détermine son propre objet. Si le désir est l'essence de l'homme, il n'est pas seulement et fondamentalement vide, béance ou manque, mais production de soi-même et création de la conscience. Désirer, c'est donc avant tout produire du réel, de la vie. Effort pour persévérer dans l'existence, le désir est à la racine de toutes nos actions. En même temps, comme expérience de l'altérité, le désir se révèle profondément ambigu : la quête de soi implique une requête envers l'autre et la connaissance intérieure une reconnaissance extérieure. Comment, dès lors, évaluer le désir si c'est lui qui finalement évalue ? 

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