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Grand cours: EXISTENCE & MORT (c de g)

Publié le 22/02/2012

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B) LA PRIMAUTE DE L'EXISTENCE

- Avec l'existentialisme, dont le père fondateur est Kierkegaard (1813-1855), est affirmée l'irréductibilité absolue du concret et de l'existence. Entre l'essence et l'existence, entre la raison, le rationnel et la réalité, il est toujours un saut : la pensée et le concept ne sont pas en mesure d'atteindre l'existence. Exister, c'est être hors de, c'est jaillir hors de tout système, de toute définition. L'existence est le mode d'être du sujet individuel. Elle est ouverture, rupture, discontinuité. Loin d'être un donné, elle désigne une conquête, un mouvement, un passage.

1) L'existence comme surgissement dans le monde

- Sören Kierkegaard réhabilite l'existence qui ne désigne plus un moindre être, une moindre perfection, un dérivé de l'essence, mais un surgissement absolu, un jaillissement pur et irréductible à tout système ou concept.

- L'existence, c'est toujours l'existence du sujet individuel, c'est-à-dire d'un itinéraire singulier marqué par la paradoxe, l'absurde, l'incertitude. La pensée abstraite est incapable de saisir notre vécu existentiel dans ce qu'il a de concret, d'unique, d'immédiat. Kierkegaard oppose à la pensée abstraite, qui considère toute chose de façon objective, universelle, intemporelle, l'existence comme vécu singulier s'inscrivant dans le temps.

- Avec Kierkegaard, l'existence ne saurait se définir mais uniquement se décrire. Elle est angoisse, crainte, tremblement de l'intériorité solitaire. L'existence apparaît finalement comme ce qui ne saurait s'intégrer, ce choix solitaire, angoissé, rebelle, ce mouvement vers l'absolu, cette vertigineuse angoisse de la liberté. Il y a hétérogénéité radicale entre la subjectivité que le savoir peut atteindre et celle du sujet vivant. Et c'est précisément cet intervalle que désigne l'existence.

- L'existence est la voie vers l'intériorité, la subjectivité conquise. Kierkegaard montre qu'exister c'est accéder à la transcendance. Le monde se vit d'abord sur le mode de l'angoisse, du désespoir, du péché qui renvoie au tragique du vécu : " Le monde me donne la nausée, il est fade et n'a ni sel ni sens ". L'angoisse est le vertige de la possibilité de la liberté, du péché, elle est angoisse de culpabilité. L'angoisse et le désespoir sont des moteurs essentiels de l'existence.

- Qu'est l'angoisse ? A la différence de la crainte, de la peur, de terreur, de la panique, qui ont un objet déterminé, réel ou imaginaire, l'angoisse est éprouvée comme étant sans objet. Etat de la conscience face à l'inconnu mêlé de tentation et de crainte. L'angoisse est l'impossibilité de trouver ici-bas des réponses humaines aux questions fondamentales de la conscience; c'est l'état d'un être qui se sait condamné à choisir et ne sait que choisir. Le désespoir, c'est l'impossibilité d'être soi, doublée de l'impossibilité de n'être pas soi; le désespoir naît de l'inévitable distance entre soi et soi, et cette distance est précisément l'autre nom de l'existence.

- En s'intensifiant, elle élève progressivement l'individu vers le sens et la foi. L'angoisse et le désespoir sont essentiels pour l'existant, qui doit les assumer comme expériences douloureuses de la finitude de l'existence mais aussi comme appel de l'absolu, ouverture vers le divin. Pour fuir cette angoisse, l'homme explore différentes possibilités existentielles qui sont autant de stades sur le chemin de la vie. Ce ne sont pas tant des stades en réalité que des catégories qui rendent compte des diverses figures de la conscience, des possibilités ouvertes à l'existant. Il y a, en effet, trois sphères d'existence : esthétique, éthique, religieuse.

a) Le stade esthétique

- La sphère de l'esthétique est celle de l'immédiateté. La subjectivité se grise d'elle-même dans l'instant de la jouissance sensuelle. La sphère de l'esthétique est celle de l'immédiateté empirique, située dans l'ici-et-maintenant immédiat. Sa règle est la jouissance. Elle correspond à l'immédiateté du désir, à l'instant en tant que tel. Don Juan est le modèle du stade esthétique, du désir de jouissance, de la quête renouvelée à l'infini. Don Juan représente le modèle, dans la musique, de l'exigence momentanée de jouissance; il est l'énergie du désir sensuel

- L'éparpillement du stade esthétique débouche sur le rien de l'ennui, du désespoir. Don Juan tente de renouveler indéfiniment la première fois de l'amour. Le stade esthétique est la figure du désir inconsistant, de la jouissance toujours fuyante, toujours renouvelée. Divertissement du non-sens de sa propre existence.  L'esthéticien passe ses jours dans la perdition. Mais dans la perdition et le vide esthétique apparaissent des ferments d'absolu. D'où la nécessité d'abandonner l'existence esthétique.

b) Le stade éthique

- La sphère de l'éthique est celle de l'exigence. Alors que le stade esthétique est celui de l'abandon aux jouissances de l'immédiateté où l'individu s'éparpille en une poussière d'instants, le choix éthique est illustré par la figure du mariage. Si l'esthétique se situe dans l'instant, l'éthique s'inscrit dans le temps. Stade du devoir, caractérisé par la stabilité et la continuité, offrant un principe d'unité.

- L'éthicien est donc celui qui a compris la dérision du stade esthétique et découvert l'ordre et la règle. Mais naïveté : la vie d'époux n'a rien pour apaiser le désarroi existentiel. Le sentiment du péché est ce qui empêche la conscience de sommeiller en paix dans la sphère de l'éthique et lui impose de chercher son salut ailleurs.

1.     Le stade religieux

- La sphère religieuse est celle de l'accomplissement. C'est ce stade-là qui fait vraiment l'individu et lui permet d'accéder à l'existence authentique, laquelle se confond avec l'effort du sujet devant Dieu. L'expérience religieuse est le paradigme de l'existence réelle.

- Le stade religieux correspond à l'appropriation subjective du message de la foi. La croyance et la foi sont solitaires, périlleuses, il faut oser croire contre l'intelligence. La foi est la plus haute passion à laquelle l'homme puisse parvenir. L'existence n'est pas, elle se fait, elle se décrit. Elle est renoncement au repose de la pensée.

- La foi n'est pas un substitut de savoir en l'absence de certitude, une option raisonnable prise sur l'avenir comme c'est le cas dans le pari de Pascal. Il s'agit d'un défi du désespéré qui opte pour le paradoxe absolu. Le statut de Dieu et de la foi change radicalement ici. Dieu n'a de réalité pour l'homme que dans le rapporte existentiel de la foi. Aussi Kierkegaard rejette-t-il toutes les preuves possibles de l'existence de Dieu. On ne peut en effet rejoindre Dieu par aucune sorte de raisonnement, mais seulement par le " saut de la foi ". " Saut " entendu comme " affirmation ".

- Contre Kant, Kierkegaard affirme l'hétérogénéité totale de la sphère éthique et de la sphère religieuse. Exemple du parallèle que trace Kierkegaard entre Agamemnon et Abraham.

- Les situations sont apparemment comparables : les dieux demandent à Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie; Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils Isaac. Dans les deux cas, le père doit mettre à mort son enfant. Mais différence fondamentale entre les deux situations : Agamemnon vit dans la sphère de l'éthique, Abraham dans celle de la foi.

- Agamemnon doit, en effet,  sacrifier sa fille pour le bien de l'Etat (pour que les vaisseaux puissent partir à la guerre); ce sacrifice est fondé sur une raison éthico-politique qu'il peut expliquer à Iphigénie.

- Abraham, au contraire, ne sait pas pourquoi Dieu lui demande de sacrifier Isaac; il ne peut donc pas parler à Isaac. Silence d'Abraham parce qu'il ne peut se faire comprendre. Iphigénie, elle, peut comprendre son père, dont la conduite exprime le général, c'est-à-dire la morale, la médiation, le langage, par opposition à la foi, à l'individu, à la solitude. C'est la foi qui sauve et Abraham est le " chevalier de la foi " qui assume le paradoxe de la foi en Dieu.

- Kierkegaard interprète le silence d'Abraham comme un refus des médiations, des raisonnements, du discours argumentatif. Dieu ne se donne pas directement. Il ressemble à Socrate : ce n'est pas tant un Dieu qui se cache qu'un Dieu ironiste et maïeuticien, un Dieu de la communication indirecte. Socrate lui-même voulait que son interlocuteur trouve en lui-même la vérité, sans la recevoir; si devenir subjectif c'est arriver à devenir soi-même, ce devenir ne peut être produit par autrui (ce serait contradictoire). Kierkegaard s'oppose au gourou qui libère les autres de tout sauf de lui-même.

- Le maître ou Dieu doit communiquer de telle sorte qu'il induise, et non produise, chez l'autre (le disciple, la créature) une transformation subjective qui vienne de son intériorité. Kierkegaard dessine ici une riche figure de la subjectivité : alors que la pensée objective (la physique, l'histoire, le savoir positif en général) est indifférente à l'égard de la subjectivité, de l'intériorité, ce pourquoi sa communication est directe, la pensée subjective, religieuse de l'intériorité ne se laisse pas communiquer directement.

- L'existence devient donc, avec Kierkegaard, l'explosion de notre vécu qui ne saurait s'intégrer dans un système bien fait. Cette définition de l'existence comme choix périlleux, surgissement subjectif dans le monde, est portée à son comble par l'existentialisme athée de Sartre.

1.     L'existence précède l'essence (texte de Sartre, in L'existentialisme est un humanisme )

- Sartre (1905-1980) met l'accent , à la suite de Kierkegaard, sur le fait que l'existence humaine, irréductible à tout système, est avant tout liberté. Sartre est le représentant le plus connu de l'existentialisme athée, à la différence de l'existentialisme de Kierkegaard qui, nous l'avons vu, est centré sur la foi et le stade religieux. Ces deux philosophies ont en commun l'existentialisme, c'est-à-dire une philosophie fondée sur l'existence concrète et subjective.

- Dans ce texte, Sartre prétend que " l'existence précède l'essence ". A la différence des objets, l'homme n'est pas construit sur un modèle dessiné d'avance et pour un but précis. Il existe avant de choisir d'être ceci ou cela.

- 4 idées importantes ici :

1.     (1 à 4) : Alors que l'existentialisme chrétien de Kierkegaard estime que l'homme ne s'affirme que dans la foi, l'existentialisme athée de Sartre, refusant Dieu, ne reconnaît que la subjectivité humaine.

2.     (4 à 10) : Pour ce qui est des objets, l'essence précède l'existence. Tel objet, telle table, par exemple, ne font que réaliser effectivement les propriétés inhérentes à son essence. Une montre, par exemple, est d'abord une essence, une idée dans l'esprit du fabricant, elle est conçue expressément dans le but de donner l'heure. Mais il n'existe pas d'essence ou de nature humaine, car les hommes surgissent d'abord dans le monde, ne sont que ce qu'ils ont projeté d'être; chez eux, l'existence précède l'essence.

3.     (10 à 15) : La subjectivité n'est pas ici considérée comme la préférence personnelle, mais l'affirmation de la prééminence de l'homme en tant que sujet conscient de soi et radicalement libre.

4.     (15 à 20) : Contrairement aux objets, qui demeurent prisonniers de leur essence, l'homme, pour se faire être, doit puiser en lui-même la ressource d'un projet authentique. Par le choix d'un tel projet, il affirme sa liberté, sa totale responsabilité. Une fois jeté dans le monde, l'homme est responsable de tout ce qu'il fait.

- Dans le contexte d'une philosophie athée, il n'y a nul constructeur de l'homme. Il ne saurait y avoir de nature humaine, si l'on entend par là une essence préétablie, fixe, immuable et éternelle. Il est impossible en effet de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine. Il en résulte que l'homme est ce qu'il se fait : il existe, se jette vers un avenir qu'il modèle entièrement. Il est donc totalement responsable car c'est lui qui réalise son essence. L'homme se choisit donc puisqu'aucune essence ne le prédétermine et ne le conduit. L'existentialisme athée est une philosophie de la pleine responsabilité humaine et de la totale liberté.

- Ici le verbe "exister" s'oppose au verbe "être" : exister, pour Sartre, c'est "être en sursis", c'est pouvoir orienter son avenir dans un sens nouveau, modifier par là le sens même de son passé. Et c'est seulement au moment de ma mort, lorsque précisément j'ai cessé d'exister, que ma vie devient être et essence. L'existence se change alors en être, en quelque chose de définitif, de clos, de figé, que l'on peut désormais décrire comme l'accomplissement d'un  destin.

- Sartre reprend la notion husserlienne d'intentionnalité de la conscience et lui adjoint celle de négativité. Si la conscience n'existe que dans  son rapport à autre chose qu'elle-même, si elle est condamnée à sortir de soi et qu'elle ne possède pas d'intériorité, la conscience est alors fuite, échappement permanent à soi, refus d'être substance. La négativité désigne la capacité qu'a la conscience de mettre à distance, d'annuler. Exemple de l'imagination : pouvoir de s'arracher au monde et de le nier, de le poser comme absent ou irréel. Par la négativité, l'homme se saisit comme liberté entendue comme pouvoir de s'arracher au monde, de se soustraire aux déterminations.

- Le néant ne désigne pas un non-être absolu, mais un acte, un processus: l'acte de traiter une chose comme n'étant pas; processus d'arrachement à l'objet, de " désengluement de l'être ", acte d'"injecter " du vide dans les choses. Conséquence : je suis moi et en même temps toujours plus et autre que ce que je suis; je puis, à tout moment, dépasser mes déterminations, échapper à toutes les définitions.

2.     Conclusion : angoisse et existence

- D'où l'angoisse que l'homme éprouve face à l'infini de sa liberté. L'angoisse est la saisie de la liberté par elle-même, sentiment de vertige face à l'infini des possibles et à l'absolue nécessité d'une liberté à laquelle on ne saurait échapper. L'angoisse est la conscience de la responsabilité universelle engagée par chacun de nos actes, sentiment qui nous révèle notre existence abandonnée dans le monde.

- L'angoisse est donc la saisie du fait que c'est moi qui décide, sans critère objectif, sans valeur sûre, sans justification externe : je m'angoisse littéralement quand je me retrouve seul avec ma liberté, quand je réalise que moi seul peux décider de moi-même. Rien, hors de moi, ne peut prendre ma relève. Je me saisis sans nature, incapable de coïncider avec moi-même et ne reposant que sur ma constante obligation de me choisir.

- Si l'homme est contraint d'être libre, il est condamné à vie à la responsabilité. Cette angoisse est la conscience que l'existence précède l'essence, que la liberté est l'unique fondement des valeurs, que nos choix nous engagent. L'existentialisme : une philosophie de la liberté et de l'angoisse.

- Mais si l'existence précède l'essence, elle ne résulte d’aucune nécessité. N’est - elle pas alors pure contingence ? L’existence a-t-elle en soi une raison d’être, une cause, une justification, voire une orientation ou une finalité ? 

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