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Grand cours: EXISTENCE & MORT (f de g)

Publié le 22/02/2012

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LA NEGATION DE LA MORT

- Une des manières les plus répandues de donner un sens à la mort et, partant, à l'existence consiste à nier le pouvoir de la mort en tant que tel, en postulant l'existence d'une vie éternelle ou d'une dimension métaphysique de la réalité humaine. La pensée de la mort sous l'espèce de la croyance transforme l'aveuglement angoissé de l'homme face à sa finitude en espérance éclairée d'un au-delà qui libérerait l'homme du néant. Cette croyance en un au-delà est au fondement de toutes les religions.

1.     Vie terrestre et vie éternelle

- On peut d'abord considérer la mort comme une continuation, sous une autre forme, de la vie : les hommes des sociétés archaïques répugnent à l'idée d'une destruction définitive et totale et considèrent que les morts continuent de mener à nos côtés une vie invisible et ne cessent pas d'intervenir dans le cours de l'existence des vivants. Ici la coupure entre les morts et les vivants n'est pas franche et la mort se voit plutôt réintégrée au cycle de la vie, comme l'atteste, par exemple, la croyance en la réincarnation.

- La conception judéo-chrétienne est fondée sur la foi dans l'existence d'une dimension métaphysique de la réalité humaine, cette dernière étant éclairée par une lumière qui n'est pas de ce monde et qui lui donne un sens.

- Idée d'abord d'une surnaturalité de l'être humain, présence en lui de quelque chose de divin.

- Pascal nous dit que par la pensée, l'homme transcende la nature, désire éternité et perfection. La vie ne se réduit pas à sa dimension visible et possède un sens. Pour le chrétien, l'existence temporelle lui est donnée pour mériter, par sa souffrance et par sa foi, la possibilité de retourner à un Dieu dont il s'est écarté. Le trépas, loin d'être un simple basculement dans le néant, est pour l'être humain l'occasion possible d'un retour à la vie éternelle auprès de son créateur. La mort fait partie d'une existence dont le sens est de nous permettre de retrouver cette vie éternelle à travers la souffrance terrestre, la mort étant la porte qui ouvre sur une autre vie. Par la mort le croyant quitte la dimension du temps pour entrer dans l'éternité.

- La mort a le sens d'une césure radicale entre ce monde-ci et l'au-delà : vision eschatologique selon laquelle il y aurait une fin des temps et une résurrection des corps (corps spirituel et incorruptible, et non corps physique), laquelle vision rompt avec celle d'un éternel retour et d'une transmigration éternelle des âmes. Dans le christianisme notamment, on est en présence d'un dispositif d'affirmation inconditionnelle de la vie et de mise en échec de la mort : idée d'un Dieu triomphant de la mort, ainsi que du tragique de la condition humaine, sous la forme de la mort sur la croix d'un Christ délaissé par un Dieu qui se tait. Paradoxe d'un Dieu qui devient en mourant maître de la mort, qui, en s'offrant à la mort, parvient à la vie et à la joie, ce qui est encore une manière d'affirmer la possibilité d'une sur-vie.

- Nieztsche a vu dans la promesse chrétienne de la vie éternelle une haine de la vie terrestre, une ruse des forces de mort, cherchant à empoisonner l'existence terrestre. Le succès historique du christianisme s'explique selon lui par le fait qu'il apporte une consolation illusoire aux faibles, aux opprimés, à tous ceux qui n'ont su s'affirmer dans cette vie. Du côté des prêtres et des idéologues du christianisme, il y a le désir de pouvoir sur les âmes, le ressentiments et la jalousie à l'égard de ceux qui éprouvent du bonheur à vivre, la haine névrotique de l'existence, qui conduit à en surestimer la dimension d'échec, et à affirmer qu'elle est tout entière contaminée par le péché.

- Quoi qu'on puisse penser de cette analyse nietzschéenne, il reste, dans le message du christianisme, une ambiguïté qui fait que toute recherche d'une existence plus authentique risque toujours d'apparaître comme le signe qu'on n'est pas capable d'aimer le monde tel qu'il est.

2.     La question de l'immortalité

- La question de l'immortalité renvoie au problème fondamental de la destinée de l'homme après la mort : celui de savoir si nous n'avons qu'une vie ou si une autre nous attend. Comme nous allons le voir, ce qui est en jeu à travers la question de la survie, ce sont quelques-unes des questions les plus fondamentales de la métaphysique classique, questions qui n'ont pas de solution scientifique et face auxquelles chacun est contraint de prendre position.

- La croyance dans la survie reflète le refus d'une disparition totale et le besoin d'être consolé. Mais aussi le glissement du fait que le défunt est vivant dans la mémoire et dans le coeur des survivants à l'affirmation qu'il est vivant en soi. La difficulté également de l'esprit à admettre une disparition absolue. L'imagination éprouve le besoin de broder sur le vide que représente la mort.

- Parmi les problèmes métaphysiques auxquels renvoie cette croyance en la survie, évoquons le problème de l'esprit et de la matière, ainsi que celui du sujet et de l'objet.

1.     Le problème de l'esprit et de la matière

 

- La réalité se présente à nous sous deux aspects principaux : celui des objets matériels, localisables dans l'espace et le temps, observables par les sens; celui des réalités psychiques ou mentales (sensations, émotions, idées), non localisables dans l'espace et le temps, accessibles avant tout à l'expérience interne. Problème ici de la relation entre ces deux entités.

- La thèse matérialiste : la vie mentale n'est que la face subjective d'une réalité qui est matérielle (neurones…). L'esprit est l'effet d'une complexification de certains systèmes matériels. Si le cerveau s'arrête, si l'organisme se désagrège, toute vie psychique cesse. Position d'Epicure, par exemple.

- La position spiritualiste (Bergson, Hegel) : la destruction du cerveau ne signifie pas celle de l'esprit; l'esprit est irréductible à un phénomène matériel, c'est une réalité sui generis; la matière, la réalité sont une objectivation, une extériorisation de l'esprit.

2.     Le problème du sujet et de l'objet

- Peut-on concevoir un monde objectif en soi indépendamment de toute conscience ? Ou le monde objectif n'est-il pas toujours le corrélat d'une expérience ou d'une représentation subjective (Berkeley, Kant, Husserl).

- La première thèse (on peut concevoir un monde objectif en soi indépendamment de toute conscience) postule que le réel est ce à quoi nous appartenons et dont nous dépendons. Du coup, la mort est une expérience de vérité, qui dégonfle notre égocentrisme.

- La seconde thèse (le monde est le corrélat d'une expérience subjective) pose, au contraire, qu'il n'y a pas de réalité indépendante de ma pensée; ma mort existe bien dans mon expérience (l'angoisse, la souffrance qu'elle engendre sont réelles), mais elle n'a pas de réalité absolue : quand mon existence cessera, c'est le monde - ou plutôt mon monde - qui cessera avec elle.

- Idée, en tout cas, d'une irréductibilité de l'expérience subjective : le moi renvoie à l'expérience que je fais de moi-même (être différent des autres, être l'auteur de ses actions..) et n'a pas de sens au niveau biologique. De sorte que la croyance à ma survie ne peut être réfutée par la biologie.

- Mais l'irréductibilité de l'expérience subjective ne joue pas forcément en faveur de l'idée de survie : il est loin d'être évident qu'on puisse substantifier cette expérience de soi en affirmant qu'il existe en chacun un moi unifié et stable permanent, une âme qui pourrait survivre à l'anéantissement. Nous avons vu, dans le cours sur la conscience, que l'existence de l'âme comme chose pensante a été contestée par Hume, le bouddhisme, etc.

3.     L'ambiguïté de la foi religieuse

- Quelle est finalement la signification globale de cette croyance religieuse en l'immortalité, en la survie qui se fonde à la fois sur un refus de la mort et sur l'affirmation de sa présence irréductible?

- Les croyances religieuses visent à proposer, de façon symbolique, une vision de la vocation profonde de l'être humain, de ses devoirs, de la signification de son existence. A la base du message des grandes religions, on trouve plusieurs intuitions fondamentales : la finitude irrémédiable de l'homme, la valeur de la vie dont la source est ailleurs que dans le monde naturel, existence d'un bien moral objectif, etc.

- Pour riche de signification qu'il soit, le discours religieux reste cependant empreint d'une indépassable ambiguïté.

- Première ambiguïté : le discours religieux objective le sens qu'il s'efforce d'évoquer et risque par là même de la trahir. Parler de Dieu, c'est, d'une certaine façon, le substantifier, l'objectiver, en le transformant en un être parmi les autres, alors qu'il est par essence tout autre. D'où l'agnosticisme qui entend rédécouvrir le sens authentique de la religion : si Dieu est, il est au-delà de tout ce qu'on peut dire de lui, conviction que tout discours positif sur Dieu est condamné à manquer ce qu'il veut viser. Ainsi, selon Wittgenstein, la seule attitude correcte face à ce qui donne sens à notre vie, c'est de renoncer à en parler.

- La foi en l'immortalité tend à dévaloriser une existence terrestre qui paraît finalement, dans sa brièveté et sa fragilité, plus intéressante à vivre et à comprendre que l'immortalité immobile que les religions veulent lui opposer.

-        Par ailleurs, l'angoisse de l'absurde semble disparaître peu ou prou lorsque nous parvenons à nous réabsorber dans des activités dont la finalité redevient évidente. De sorte que le sens se montre précisément quand nous cessons de nous interroger sur lui, il se montre davantage qu'il ne se dit ou se représente. On peut penser que la problématique religieuse qui entend donner du sens au sens pèche paradoxalement par excès de rationalisme. La sagesse ne consiste-t-elle pas, au contraire, à désintellectualiser notre rapport à l'existence, à apprendre à nous taire là où nous pensions qu'il faut parler, afin de rendre à l'instant présent sa densité ? (cf. Comte-Sponville, in La sagesse des modernes).

Conclusion

- La négation ou la relativisation du pouvoir de la mort par la croyance en un au-delà ne va donc pas sans ambiguïtés. Il reste que ces visions de la mort ont le mérite de nous donne à penser une existence qui ne se réduit pas à l'aveuglement ou au divertissement pascalien. Les grandes religions nous invitent au contraire à refuser la mort, non point en se masquant les yeux et en faisant comme si elle ne nous concernait pas, mais par une authentique conversion spirituelle de l'existence terrestre (salut par la foi dans la tradition judéo-chrétienne, prise de conscience de l'impermanence et invitation au détachement pour ce qui concerne le bouddhisme….)  Mais n'y a-t-il pas, au bout du compte, un rapport à la mort autre que d'esquive ou de négation ?

 

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