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Grand cours: LE DROIT (3 de 16)

Publié le 22/02/2012

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B) LE DROIT COMME FACTEUR EMERGEANT DE L’ORDRE SOCIAL

- Peut-on résorber le droit dans le droit positif ? Si tel est le cas, comment est-il possible de dire qu’une loi est injuste ? Quelles sont alors les sources de légitimité du droit ?

1) LE POSITIVISME JURIDIQUE

- La question est la suivante : la justice se définit-elle essentiellement comme pure légalité ?

- Comme légalité, la justice est de fait : en ce sens, « toutes les actions prescrites par la loi sont justes « (Aristote, Ethique à Nicomaque). Il n’y a de cité, et de justice, possibles que si le juge est tenu de respecter la loi davantage que ses propres convictions morales ou politiques. Le fait de la loi (la légalité) importe plus que sa valeur (la légitimité). C’est l’autorité qui fait la loi.

- Sous l’appellation de « positivisme juridique «, on groupe essentiellement deux écoles de pensée qui ont en commun de nier qu’il existe derrière la forme positive du droit une justice supérieure capable de la juger : le positivisme volontariste, qui remonte aux sophistes et surtout à Hobbes, et qui a eu un grand succès lors de la constitution des Codes au moment de la Révolution française (Codes Napoléon), mais qui s’est effondré après la première guerre mondiale; le positivisme juridique proprement dit.

- Pour le positivisme volontariste, une entité justice est inutile derrière le droit positif, celui-ci étant considéré comme émanant de la volonté d’un souverain ou d’une assemblée qui reçoivent leur légitimité d’un pacte social. C’est l’autorité qui fait la loi ici. Chez les sophistes, mais aussi chez Hume et les humanistes, le motif juste qui est à l’origine de l’acte juste est tiré de l’artifice d’une convention (voir l’argument de Calliclès dans Gorgias de Platon : explication rédigée de ce texte de platon dans la rubrique « corrigés « du site internet « Xphilo «). L’acte juste sera celui que la loi, décidée par convention, détermine à accomplir. La convention exprime en quelque sorte une compensation des carences de la nature humaine par le législateur.

- La résorption du juste dans le légal est l’ambition de l’époque révolutionnaire, d’un rationalisme universaliste correspondant à la volonté de rompre avec la pluralité particulariste (symbolisant l’arbitraire féodal) pour faire régner la raison exprimée par des lois.

- Le positivisme juridique proprement dit est notamment représenté par Hans Kelsen et sa Théorie pure du droit. Il s’agit de définir un statut autonome du droit à l’égard de la morale. Le droit doit être étudié comme un ensemble de règles cohérentes, et non à travers les justifications qui peuvent être données de ces règles. La conséquence est un relativisme éthique : puisque le droit n’a pas à être justifié, on doit considérer tout système juridique, s’il est cohérent, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être; les valeurs sont relatives à un système juridique donné, il n’appartient pas au droit de les discuter. La science du droit doit considérer que tous les systèmes juridiques se valent et qu’aucune valeur n’est supérieure aux autres. Le choix de la valeur est un arbitraire de la décision qui varie selon l’histoire, le moment, sans qu’on puisse le discuter scientifiquement.

- Dans cette perspective, il n’y a dès lors pas de sens à opposer la morale à la loi. Je ne peux me soustraire aux lois au nom de la moralité, il n’existe pas de position transcendante au régime de la légalité. Alors que la règle morale est un impératif catégorique et autonome commandant sans conditions cf. Kant), la règle juridique est un impératif hypothétique et hétéronome dont le respect nécessite la force coercitive de l’Etat.

- Le positivisme juridique considère donc que toute loi doit être respectée parce que c’est une loi, quel que soit le jugement moral qu’on peut porter sur elle. Selon les partisans du positivisme juridique, nous ne disposons pas des moyens de différencier ce qui est juste de ce qui est injuste (divergence des opinions à ce sujet, incapacité des hommes à s’accorder entre eux dans la représentation du juste et de l’injuste). Il faut alors renoncer à évaluer à évaluer le droit positif au nom d’une super-norme, la justice. Il n’y a donc pas de définition universelle de la justice. On appellera juste ce qui est contenu dans le droit positif, c’est-à-dire les lois établies. Une décision juste est ainsi celle qui applique les lois en vigueur.  Le droit positif ne se fonde que sur l’acte de son institution par une autorité compétente. En ce sens, légal et légitime sont assimilés.

- Le positivisme juridique se caractérise, en somme, par un légalisme extrême : le régime du droit est considéré comme une instance ultime. Pour le légaliste, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. A la légitimité naturelle ou morale du droit, Kelsen oppose une légitimité juridique fondée sur le seul respect de la loi. Cette théorie s’oppose notamment à celle de Rousseau qui, à la fin du Contrat social, distingue deux degrés dans le rapport de l’individu à la loi, le respect de la loi par l’individu étant une condition nécessaire mais non suffisante de la citoyenneté : le premier degré est le respect des lois; le second est l’amour de la loi. Le pire des crimes envers l’Etat est le respect sans amour de la loi.

2) VALEUR ET LIMITES DU POSITIVISME JURIDIQUE

- Cette conception positiviste a un double mérite.

- Elle soustrait d’abord l’idée de justice à des polémiques interminables et permet aux tribunaux d’opérer de façon efficace; elle assure chaque citoyen que son sort ne dépend pas des opinions de son juge, celui-ci devant se borner à appliquer la règle édictée par le législateur. La loi est la loi, qu’elle soit juste ou pas : aucune démocratie ne serait possible si l’on n’obéissait qu’aux lois qu’on approuve.

- Elle cherche ensuite à exclure du champ de la loi les aléas de la subjectivité, à unifier les obligations, à asseoir l’idée de Justice sur la clarté et l’universalité de la raison.

- Cette démarche s’expose toutefois à de nombreuses critiques.

- Le positivisme juridique tend à évacuer toute position critique quant au droit, à ne pas faire intervenir les valeurs dans la résolution des problèmes de justice auxquels sont confrontées les sociétés humaines. Rappelons que des juristes nazis ont cherché dans un tel légalisme des appuis à leurs thèses. Pensons également à ces fonctionnaires zélés dont le seul souci est d’appliquer de la façon la plus efficace possible des lois et des règlements, sur la légitimité desquelles ils estiment ne pas à avoir à s’interroger, comme si le fait de la légalité tenait lieu de raison.

- Or, après 1945, le choix fut fait de tenir rigueur aux accusés de s’être conformés à la loi nazie, d’adopter une position rejetant le légalisme et d’intégrer, dans la sphère juridique, des principes, des exigences valant au-dessus de tout droit positif. Les tribunaux condamnèrent les officiers allemands au nom de principes valant comme norme pour tous les Etats, à savoir les droits de l’Homme, consacrant la notion de crime contre l’humanité.

- S’il ne saurait y avoir de démocratie sans obéissance aux lois, aucune démocratie ne serait acceptable s’il fallait, par obéissance, renoncer à la justice ou tolérer l’intolérable. Lorsque les lois sont manifestement inhumaines, le sentiment de justice nous commande de leur désobéir : justice d’Antigone contre Créon, des résistants contre les lois de Vichy…  La conformité à la loi ne définit que la légalité; ce qui est légal n’est pas toujours légitime, c’est-à-dire conforme à ce qu’exige la conscience morale. Respecter les lois, leur obéir, les défendre, certes. Mais pas au prix de la justice, pas au prix de la vie d’un innocent ! La morale, la justice passent d’abord (la liberté de tous, la dignité de chacun, les droits de l’autre). Cette dimension morale de la justice sera approfondie dans la deuxième partie du cours consacrée à l’idée de justice.

- D’où, dans le droit moderne, la reconnaissance fondamentale d’un droit de la victime aux minorités qui possède une légitimité supérieure à toute autre légitimité, y compris celle de la Constitution. Est victime celui qui subit une transformation de ses conditions d’existence sans y consentir. Cette définition va plus loin que la notion strictement juridique de subir un dommage : elle fait intervenir le consentement, le préjudice subi, qui est plus éthique que légaliste. D’où l’importance des “circonstances atténuantes”, atténuant la responsabilité, marquant qu’il existe dans la société moderne des rôles, et que personne ne peut revendiquer d’être l’auteur radical de son acte. Des lois iniques sont alors des lois qui font des victimes. Les juges constitutionnels confèrent au droit de la victime et aux droits de l’homme une valeur quasi constitutionnelle. Impératif selon lequel “il ne doit pas y avoir de victime” et qui limite la liberté et le droit.

- Qui plus est, si l’on ne peut réduire le droit et la justice à la loi, le légitime au légal, c’est parce que la loi, étant par définition générale, ne peut prévoir tous les cas qui se présentent : le magistrat, au lieu d’appliquer mécaniquement un règlement, doit faire preuve d’équité : face à un cas qui n’a pas été prévu par la loi, il doit se demander dans quel esprit le législateur aurait tranché, s’il avait été confronté à cette situation.

- Aristote affirme ainsi que le juge est chargé de « corriger les effets de la loi « : la loi est trop générale et rigide, alors que les actions humaines sont marquées par la contingence et l’irrégularité. Adapter la loi, corriger la justice par l’équité engage la vertu de justice qui s’exprime par la conduite propre du juge : la prudence. Aristote résout le problème de l’adéquation du général au particulier par le moyen d’une vertu, la justice, et d’une conduite, la prudence du juge. C’est ce qu’on appelle la jurisprudence (l’autorité d’un ensemble de règles qui se dégagent des décisions des tribunaux). Le juge, dans ses sentences, ne se borne pas à mettre en relation le cas particulier dont il a à juger avec les principes généraux contenus dans le texte de la loi. La justice n’est pas uniquement ce que stipule la lettre de la loi. Le juge l’interprète et chacun attend de la loi qu’elle envisage les cas les plus particuliers.

- Ainsi, par fidélité à la justice, à l’esprit de la loi, la décision du juge doit-elle parfois aller à l’encontre de la lettre de la loi. Trop général, le texte de la loi n’est pas exempt d’ambiguïtés qui ne sont manifestes qu’en présence des cas d’espèce. Le législateur ne peut prévoir les difficultés résultant de l’évolution en tout domaine : pratique sociale, économique, connaissances, techniques, etc. C’est donc pour des raisons à la fois techniques - liées à la nature de la loi et du réel - et morales - l’exigence d’une meilleure justice - que l’application du droit comporte une jurisprudence.

Conclusion

- Il semble donc que la justice ne soit réductible ni au sentiment que nous en éprouvons, ni au droit positif, qui pourtant constitue le dépassement du sentiment de justice dans la loi stable et objective. Il n’est pas possible de résorber la notion de légitimité dans celle de légalité. La distinction ancienne entre légitimité et légalité est reconnue aujourd’hui par la législation même de la majorité des nations : celles-ci ont indirectement introduit dans leurs droits la reconnaissance du droit de résistance à l’oppression, en ratifiant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ce droit de résistance suppose que la légalité n’est pas en elle-même source d’obligation et que, pour l’être, elle doit respecter les droits de l’homme définis par cette Déclaration (voir la dernière partie du cours consacrée à cette question du droit de désobéissance civile). 

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