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Grand cours: LE POUVOIR (f/g)

Publié le 22/02/2012

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3.2 – L’analyse de Reich

- D’autres psychanalystes dissidents ont apporté des analyses intéressantes pour comprendre les assises psychologiques de la domination. Wilhelm Reich, par exemple, dans La psychologie de masse du fascisme (1933), comprend les figures de la domination en termes de désir : le sujet adapté à une puissance autoritaire est docile parce que sa sexualité a été domptée durant son enfance et parce qu’il désire fondamentalement l’oppression. Les peuples n’ont pas été trompé, ils ont voulu leur oppression et l’ont entretenue.

- Alors que Freud voit dans l’Oedipe une donnée éternelle et immuable, une structure psychique universelle, aux yeux de Reich l’Oedipe se borne à réitérer, dans notre société, une forme d’autorité exorbitante dévolue au père dans nos structures. L’Oedipe n’est pas tant une structure universelle que le reflet d’un rapport de domination contingent et historique qui se trouve appelé à disparaître.

- Aux sources de la domination, nous avons certaines formes socio-économiques (Reich est marxiste), une structuration autoritaire de l’homme, la présence du père tout-puissant, le refoulement sexuel, des phénomènes d’identification et la peur de la liberté au sein des masses humaines. La figure du père autoritaire, matrice de l’Oedipe, qu’incarne, par exemple, le führer. Le besoin d’identification, qui permet aux individus de se découvrir en assimilant les attributs du leader et ainsi de se transformer sur le modèle de ce dernier, en participant à son essence. Besoin de trouver un appui, de gommer le sentiment d’inexistence ou de contingence, de s’enraciner dans la race des “seigneurs”, de donner satisfaction au narcissisme. La peur de la liberté : les masses humaines ont voulu leur oppression en ayant peur de devenir libres, adultes, majeurs; les maîtres cultivent ainsi cette angoisse d’expérimenter la liberté. Aux sources de la relation dominant-dominé, le refus d’être libre, adulte, majeur (analyse qu’on trouve déjà chez La Boétie et Kant). Il est plus simple, plus confortable, plus aisé de se laisser guider par un maître tout-puissant. Notion de servitude volontaire.

3.3  – Pierre Legendre et la croyance d’amour

- Dans Jouir du pouvoir (1978), Pierre Legendre se demande comment le pouvoir s’y prend pour nous fabriquer. Il montre que c’est dans la croyance d’amour que s’enracine les dispositifs de la domination : « obéis-moi, dit le maître, et je t’aimerai ! «. Cède sur ton désir, obéis à la Loi et tu recevras, en récompense, un flot d’amour. La désobéissance implique alors le risque suprême, celui de se voir retirer l’amour. Le ressort de l’obéissance est donc l’angoisse de la perte d’amour. En acceptant le maître auquel il se soumet, l’homme manifeste la persistance de sa détresse infantile devant la privation possible de l’objet d’amour.

- Ce qui nous fait obéir, d’après Legendre, c’est donc la croyance d’amour, l’illusion que l’on nous aime, que le Maître nous chérit.

 

3.4 – La soumission à l’autorité : l’analyse de Stanley Milgram

- Article de Jacques Lecomte extrait du n° 72 de Sciences humaines, à propos du livre de Stanley Milgram, Soumission à l’autorité.

Conclusion sur l’apport psychanlytique :

- Au total, la psychanalyse démasque les fantasmes sous-jacents au pouvoir de l’homme sur l’homme et met à jour les multiples figures de la domination / soumission : l’identification au leader et à l’agresseur, la figure du père, la peur de la liberté, la demande d’amour, l’illusion d’être aimé, etc. Autant de structures sous-jacentes aux rapports maître/esclave, bourreau/victime, etc. La psychanalyse nous montre que l’agresseur fantasmatique peut s’installer dans le coeur même du sujet, que le pouvoir renvoie à des structures psychologiques profondes, de sorte que le “maître” et “l’esclave”, avant de constituer des rapports sociaux, figurent d’abord en nous-mêmes. Qu’en pense maintenant la philosophie ?

4) Les données philosophiques

- La philosophie nous enseigne également que le « maître « et l’ «esclave « sont, à l’origine, en nos âmes. La domination ne tient que par angoisse, fascination, consentement de ceux qui se trouvent écrasés. Le ressort de la servitude : la peur primordiale, mariée à l’amour du maître.

 

4.1  L’énigme de la servitude volontaire (La Boétie)

- Sujet de dissertation : « y a-t-il une servitude volontaire ? «

- Problématique : Existe-til un esclavage, un état de dépendance forcé et de soumission qui soit volontaire, c’est-à-dire qui trouve son origine dans une forme réfléchie, pleinement consentie et délibérée, de l’activité ? Comment les hommes peuvent-ils rechercher la servitude, comme si elle constituait une sorte de salut possible ? Pourquoi la servitude est-elle si souvent recherchée ? Autrement dit, et c’est le sens du sujet, existe-t-il une soumission, à la fois totale et délibérée, choisie de façon réfléchie et consciente, fruit de l’allégeance d’une personne à une autre ? Comment une soumission peut-elle s’effectuer à partir d’un choix ? Le problème est le suivant : le pouvoir n’est - il pas une énigme que la force elle-même ne saurait expliquer tout à fait ? S’il est une servitude volontaire, ne va-t-on pas la préparer, la créer et l’engendrer ? La servitude ne serait pas uned onnée mais un produit : on naît pas serf ou esclave, on le devient.

1.     La servitude volontaire, une impossibilité

- Tout d’abord, parler d‘une servitude volontaire semble tout à fait paradoxal : dans l’idée de servitude, il y a, en effet, la notion d’une obéissance et d’une dépendance forcée. Or, la volonté n’est point forcée par essence, mais issue d’un choix rationnel (cf. Epictète : la volonté est ce qui dépend de nous). Comment, dès lors, pourrait-on faire le choix réfléchi de la soumission ? Rousseau montre que la servitude est en contradiction avec l’idée même de nature humaine puisque, selon lui, le sujet humain se définit par l’idée même de liberté. Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, affirme Rousseau dans Du contrat social.

- Toutefois, l’expérience dément cette remarque : il y a manifestement chez l’homme de nombreux exemples qui tendent à souligner son impossibilité partielle de se conduire raisonnablement et librement dans l’existence. N’est- il pas souvent plus commode d’être guidé, dépendant, voire esclave, plutôt que d’être libre et autonome ? Ne tendons-nous pas à rechercher en permanence un tuteur ou un guide ? La liberté n’est - elle pas dès lors un fardeau ? Comme l’a établi Sartre, ne sommes – nous pas condamnés à être libres et à rejeter, de ce fait, cette lourde charge ?

2. L’énigme de la servitude volontaire

- Dans Le discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boite formule une question aussi simple qu’énigmatique : « Comm'il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu'ils luy donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire sinon tant qu’ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lors qu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire ? « Comment se fait-il que tant d’hommes et tant de nations acceptent la tyrannie d’un seul, sans y être toujours contraints par une force réelle ? La Béotie s’interroge donc sur la source même de la domination et montre que la force, la couardise, la peur de la mort, l’accord réfléchi des volontés, un pacte d’association  ne sont pas à l’origine de la domination. Mais si la servitude est désirée, est-ce bien pour elle-même ?

- La servitude ne paraît pas être un fardeau pour le peuple mais au contraire le plus grand bien qui le délivre de la liberté perçue comme le plus grand mal. Le tyran nous séduit et nous capte par une identification majeure : chacun, en se soumettant, s’identifie au maître et participe à sa puissance par une projection d’abord imaginaire. Le dernier des esclaves est envoûté, en ce qu’il se saisit, par identification, comme maître et dieu. La domination fonctionne en nous, par nous, en ce fond de nos âmes si avides de se faire identiques à celle du tyran. La servitude de tous est donc liée, selon La Boétie, au désir de chacun de porter le nom d’Un devant l’autre. Si les peuples se coupent la gorge, c’est parce qu’ils portent, en eux, le tyran et se courbent eux-mêmes sous le joug d’une puissance imaginaire.

- La servitude volontaire désigne donc, non pas tant le désir d’être dominé que d’acquérir une identité imaginaire en se précipitant dans un corps indécomposable où chacun se fond avec chacun. L’amour du peuple pour le tyran n’est autre que son propre amour de soi : Narcisse est l’autre nom du peuple. Dans le désir de servitude, la Boétie repère à l’oeuvre un fantasme de narcissisme absolu. Le peuple se donne hors de lui un Autre qu’il voit et par lequel il est vu. La servitude serait alors une tentative de résoudre l’énigme de l’homme dans son unité et son écart de soi à soi et de soi aux autres, le mystère aussi de l’institution du social, désir donc d e délivrance de la division et de la tension qu’impliquent ces deux énigmes.

- Analyse reprise en quelque sorte par Spinoza dans la préface du Traité théologico-politique: le goût de la servitude s’enracine dans le cortège des passions tristes et dans la haine de la vie. Tristesse, envie, humilité, regret, autant de sentiments ou passions, autant de formes d’impuissance où les effets de l’imaginaire se combinent à la tristesse pour engendrer obéissance et dépendance. Les hommes combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut.

- Le contrôle social utilise adroitement le goût humain de la servitude volontaire. Par contrôle social, il faut entendre un ensemble de ressources, souvent symboliques, dont dispose une société pour s’assurer la conformité du comportement de ses membres aux règles et principes prescrits et sanctionnés. Contrôle de la société et existence d’une servitude volontaire sont en relation étroite.

 

4.2  - L’amour de la servitude(texte de Kant)

 

- De même, dans Qu’est-ce que les Lumières ?, Kant décrypte cet amour de la servitude qui consiste à remettre, en autrui, la charge de diriger nos pensées, à refuser d’assumer soi-même ses propres opinions et jugements : « Les Lumières sont la sortie de l’homme de la minorité où il est par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui. Cette minorité, nous la devons à notre propre faute lorsqu'elle n’a pas pour cause un manque d'entendement, mais un manque de décision et de courage pour se servir de son entendement sans la direction d'autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est donc la devise des Lumières. «  

- Kant définit les Lumières comme la sortie hors de la minorité volontaire, c’est-à-dire comme un processus d’élévation, d’arrachement progressif à un état de dépendance (minorité = subordination de l’usage de l’entendement à la direction d’autrui). La maxime des Lumières est de penser par soi-même en toutes circonstances, de chercher en soi-même, dans sa propre raison, la pierre de touche de la vérité. Il s’agit donc de ne pas se conduire passivement avec son entendement en le soumettant à la direction d’autrui. La vertu du courage est donc la condition de l’usage de l’entendement, de sorte que la raison, le savoir sont visent avant tout la formation de la personne, comme sujet responsable.

- La cause de cette minorité volontaire est la paresse et la lâcheté, le confort de l’aliénation. La paresse est la propension au repos sans travail préalable ; la lâcheté est la pusillanimité sans honneur. La minorité exprime la manière dont le sujet se considère lui-même : elle a son fondement dans une déconsidération de soi, une mésestime de soi. Les tuteurs, les tyrans, les gourous multiples cultivent cette mésestime de soi, infantilisent les sujets et entretiennent, par conséquent, l’état pathologique dans lequel ils se trouvent.

- Kant souligne donc la difficulté d’une émancipation individuelle, la minorité finissant par devenir une seconde nature, sous l’inertie des préceptes, des préjugés, de sorte que rares sont les hommes libres. D'où la nécessité, et la possibilité selon Kant, d’une émancipation publique. Kant accorde un rôle salutaire à l’existence de certains éducateurs du peuple par eux-mêmes affranchis des préjugés. Les Lumières sont une affaire de longue haleine, eu égard à la résistance que leur oppose le peuple attaché à sa propre aliénation.

- En effet, le peuple ne situe pas généralement son salut dans la liberté, mais dans ses fins naturelles : le bonheur après la mort, la jouissance physique de la vie. Il s’en remet naturellement aux prêtres et aux médecins comme à autant de tuteurs susceptibles de les lui garantir. Il demande alors des miracles. Dès lors,  seule une évolution, et une lente réforme de la manière de penser conduite par des savants éduquant progressivement le peuple, pourra servir l’accès aux Lumières.

- Au total, que nous enseigne Kant sur le pouvoir et les racines de la domination ?

- Que l’amour de la servitude renvoie au farouche refus d’être libre. Les sujets ont peur de devenir libres car il est réellement confortable de se laisser guider par un maître. L’expérience de la liberté est pénible et difficile, dans la mesure où il est malaisé de construire seul son destin : il est plus commode de suivre la direction du conseiller, du prêtre, du médecin, du maître, du gourou. La paresse, la lâcheté, l’indolence, le goût des habitudes, les préjugés, autant de causes rendant compte de l’opposition aux Lumières. Nous aimons cette servitude, apaisante, réconfortante. Quand il faudrait, avec effort, travail, dure lutte, nous installer dans la raison, nous préférons vivre sous la tutelle de l’autre pour qu’il pense à notre place. Les hommes, par manque de courage, préfèrent la dépendance.

- Où l’on voit que la liberté, en réalité, angoisse l’homme. Nous sommes donc responsables de notre minorité, nous engendrons nous-mêmes notre manque de courage et la domination du chef, les dominants n’ayant plus qu’à cultiver fermement cette peur. La maîtrise apparaît alors comme indispensable : parce que l’homme se manifeste d’abord comme enfant et ne se détermine pas selon la loi de raison et de liberté, il lui faut un maître, qui le forme et l’éduque. Le maître désigne, chez Kant, le sujet exerçant la domination spirituelle et faisant accéder les hommes à la liberté, brisant l’arbitraire des volontés individuelles (Idée d’une histoire universelle…, 6ème proposition). En somme, l’enracinement dans la dépendance nous renvoie à notre nature la plus intime.

4.3 – Servitude et regard

- Dans une perspective voisine, Sartre lit dans le regard et la mauvaise foi, la genèse de la dépendance aliénante. Dans L’être et le néant, Sartre montre qu’autrui, ce médiateur entre moi et moi-même, me fait accéder à l’être. C’est le regard de l’autre qui me fait expérimenter mon esclavage face à une liberté qui me constitue en objet, me dépouille de moi-même. C’est dans le poids du regard que ma dépendance à l’égard de l’autre trouve son origine. D’où le fameux enfer de Huis clos, le duel à mort de consciences où chacun, par son regard, engendre esclavage et maîtrise. D’où le sadisme et le masochisme, ces perversions inhérentes au regard lui-même. L’enfer, c’est les autres, dit Sartre : par le regard s’engendrent dépendance, soumission, maîtrise, esclavage.

- Mais la mauvaise foi joue un rôle important dans la genèse de la dépendance : Sartre entend par mauvaise foi, ce mensonge à moi-même par lequel je tente de feindre que je ne suis pas libre, par lequel je m’efforce d’oublier que je suis une conscience ne subissant pas la loi des choses. Fuite de la liberté ou de la responsabilité, acceptation de se faire objet pour autrui, autant de conduites naissant de la peur de la liberté où s’enracine tant de modes de la dépendance. Le désir d’obéissance ou de soumission s’enracine alors dans ma mauvaise foi, autre nom, à la suite de Kant et de Freud, de notre originelle détresse où se masque notre liberté.

 

Conclusion : les enseignements de la philosophie sur les racines de la domination

- La philosophie nous explique donc, elle aussi, que le maître et l’esclave sont, à l’origine, en nos âmes. Les sources de nos chaînes sont purement internes, nées de nos imaginations : peur de la mort, fuite de notre liberté, volonté de retrouver, à travers l’amour du maître, l’apaisement d’une conscience réconciliée avec elle-même. Il ne faut toutefois pas minimiser l’importance du contrôle social, qui utilise adroitement le goût humain de la servitude volontaire. Le contrôle social désigne un ensemble de ressources, souvent symboliques, dont dispose une société pour s’assurer de la conformité du comportement de ses membres aux règles et principes prescrits. Le contrôle social permet de conditionner les esprits de manière insidieuse et subtile. Ainsi contrôle de la société et existence d’une servitude volontaire sont-ils en relation étroite.

Conclusion sur les racines de la  domination

-        Il apparaît donc que le pouvoir se bâtit sur une assise double : le désir de dominer et le besoin de dépendance.

-        L’éthologie nous montre le caractère universel des relations de domination-soumission qui sont nécessaires au fonctionnement même de l’ordre social vivant. La théorie psychanalytique rattache la relation dominant / dominé à l’état de détresse originaire : obéis-moi ou je te retirerai mon amour. La philosophie nous donne à voir une volonté de servir (La Boétie), une peur de devenir libre (Kant), un choix de la dépendance symétrique de la maîtrise (Hegel). A la maîtrise fait donc écho la volonté de servir et d’obéir. Songeons aux formes anciennes de la domesticité, où le paternalisme du maître, sa tendance à imposer un contrôle, une domination, sous couvert de protection, s’alliaient à la dépendance du dominé. Pensons également au colonialisme et au système esclavagiste. Se complètent alors le comportement protecteur, emprunt de condescendance, et le besoin de dépendance. Ainsi le pouvoir se construit-il à travers l’énigmatique et parfois monstrueuse relation dépendance/volonté de dominer.

 

Nos racines biologiques (K.Lorenz, E. Morin)

 

Volonté de servir (La Boétie)

 

 

 

 

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Peur de la liberté (Kant)

 

 

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 DOMINA-

 TION

 

 

 

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Composantes psycho-affectives; thématique de l’inconscient (Freud)

 

 

 

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Regard; mauvaise foi (Sartre)

 

 

C) LE POUVOIR, PRINCIPE VITAL

- Le pouvoir se présente également comme exigence quasi vitale au sein de toute société. Le pouvoir, en effet, est chargé d’inscrire dans la durée sujets, groupes et individus isolés. Le pouvoir permet la pérennité de la cité, que tout expose aux risques de désintégration et d’entropie : risques internes, dus au temps, ainsi qu’externes, provoqués par les luttes et les conflits. Mais le sujet se rassemble également et s’unifie grâce au pouvoir sur soi. Le pouvoir gouverne les sujets, réalités et groupes éphémères et les inscrit dans la permanence.

1)     Le pouvoir sur soi

- Analyse d’un sujet de dissertation : qu’est-ce qu’être maître de soi ?

- Comment se conserver soi-même et maintenir sa propre existence, comment trouver une règle de conduite, une et harmonieuse ? Cette tâche vitale ne s’avère possible que si le sujet, maître de lui-même, dispose d’un pouvoir sur soi : il s’agit de constituer, en raison même des urgences de la vie, un sujet autonome, un gouvernement de soi-même, d’édifier une durée psychique résistant aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort.

- Fonction thérapeutique de la capacité de se maîtriser, comme nous le signale la doctrine épicurienne : puisque notre équilibre se trouve à la merci de tant d’ennemis intérieurs (angoisse, insécurité, peur des dieux et de la mort), il faut triompher de ces derniers et acquérir la paix spirituelle : l’ataraxie. Le pouvoir sur soi se confond avec une maîtrise des forces obscures qui nous menacent. C’est donc par le pouvoir sur soi , c’est-à-dire cette puissance d’accéder à des règles de pensée et d’action créant un sujet autonome, que l’on peut vivre humainement et heureux, que l’on peut dépasser le stade de l’animalité et de la servitude et se réaliser en tant qu’homme.

2)     Le pouvoir sur les choses et la nature (cf. Cours sur la technique)

- Le pouvoir exprime la possibilité de mettre en oeuvre des moyens physiques destinés à l’action, de disposer des forces naturelles, afin de survivre. Rôle de la technique (et du travail) : ici, le pouvoir désigne une capacité instrumentale, un organe de survie de l’humanité qui manipule, transforme le monde pour maîtriser l’inconnu, constituer l’univers humain. La technique comme comme savoir-faire incarne un comportement efficace au service des hommes et de la vie tendant à affranchir l'homme des contraintes naturelles.

- Ce qui fonde donc le pouvoir, c’est une exigence vitale. Le pouvoir sur les choses et la nature, fondement vital de l’existence.

3)     Le pouvoir d’Etat

- Autre pouvoir important qui renvoie à la même exigence vitale : l’Etat, pouvoir politique par excellence, forme institutionnalisée du pouvoir. Le pouvoir d’Etat comme accès à la pérennité de la cité. Sans le pouvoir de l’Etat, la cité glisserait vers la ruine, les individus, privés de permanence, dépourvus de culture, connaîtraient uniquement la loi de la guerre.

- Chez Hobbes, par exemple, l’état de nature désigne une forme de violence et de mort, la guerre de chacun contre tous. D’où une vie brève, une existence quasi animale, sans civilisation. D’où l’Etat, issu d’un contrat entre les individus, qui garantit la paix et la sûreté publique : les hommes délèguent le pouvoir de les défendre à un Souverain, protégeant les individus. Le contrat transforme l’animal en un sujet inscrit dans la durée, au sein d’une civilisation pacificatrice.

- De même, selon Eric Weil, l’Etat est l’organisation d’une communauté historique, il est la continuité, la solidité, qu’il inscrit dans le groupe. Il incarne la volonté de survie des individus, assure le salut de la communauté, la préservant de la mort et de la dispersion. Exemple de l’Etat-Providence assurant des systèmes de protection constants. Théorie contestée, nous le verrons dans le cours sur l’Etat, par les marxistes et les anarchistes.

- Comme le souligne le mythe de Protagoras (Platon, Protagoras), la politique et le pouvoir font échapper les hommes à la mort et aux puissances de destruction. La politique a pour fin de libérer l’homme de la solitude, de la faiblesse, de la mort. Le pouvoir fait vivre civilisation et cultures. Zeus charge Prométhée et Epiméthée de distribuer aux espèces vivantes un ensemble de qualités ; il veille à équilibrer les dons, de sorte qu'aucune espèce ne soit menacée d'extinction: les oiseaux ont des ailes pour fuir dans les airs, les rongeurs savent creuser des galeries où trouver refuge, etc. Aux uns il donne la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force. Quand il eut dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait, Epiméthée constata qu'il avait oublié l'espèce humaine. Or Epiméthée dépensa toutes les facultés en faveur des animaux

- Prométhée offrit alors aux hommes la maîtrise du feu et des techniques qui vont leur permettre de travailler et ainsi de compenser leurs faiblesses. Mais les hommes ne connaissent pas l'art de vivre ensemble, de s'organiser, de se respecter mutuellement. Zeus, craignant alors la disparition du genre humain, fit don aux hommes de deux vertus permettant justement de vivre ensemble, de pratiquer l'art politique : la pudeur et la justice.

- Pudeur et justice permettent, en effet, l'amitié et donc le lien communautaire, la reconnaissance de l'humanité des semblables, êtres de dialogue. Par l'art politique, l'homme établit définitivement sa supériorité sur l'animal. Dès lors, la vie dans la ville n'est plus la vie dans la nature. La cité définit le territoire humain entre celui des dieux et celui de la sauvagerie animale. Contrairement à l'animal voué à l'état de nature dans toute sa violence, l'homme doté de la raison et du langage peut renoncer à l'état de guerre, entrer dans l'état politique et y construire le souverain qui agit au nom du peuple. La bestialité de l'homme stigmatise son échec à se tenir dans l'enclos du genre humain; l'animalité est la hantise de l'humanité, une des faces de l'inhumain qui guette l'homme.

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