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Grand cours: LE POUVOIR (g/g)

Publié le 22/02/2012

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D) LE POUVOIR ET LE SACRE

1) Le fondement divin du pouvoir

- Aux côtés de la volonté de dominer et de l’exigence vitale d’organisation, le pouvoir, en ses origines, se fonde dans le Sacré. Si ce lien apparaît aujourd’hui distendu, certaines cultures laissent subsister cette liaison. Le pouvoir se fonde sur la transcendance à la fois dans les sociétés archaïques et dans les formes sociales traditionnelles. Le Sacré, insufflant dans le pouvoir la permanence de la vie de l’Esprit, la pérennité d’une Essence éternelle, s’efforce d’enraciner le pouvoir dans la continuité et la durée.

- Dans les sociétés archaïques, le pouvoir se trouve sacralisé en profondeur. Chez les Mossi de la Haute-Volta, par exemple, le souverain symbolise tout l’univers et seule la force reçue de Dieu permet l’exercice de la domination. C’est une puissance sacrée qui confère la capacité de gouverner. De même, les Tiv, peuple du Nigeria, opèrent une liaison entre le swèm et le pouvoir : “tout pouvoir légitime requiert la possession du swèm, capacité d’être en accord avec l’essence de la création et d’en maintenir l’ordre; ce terme connote plus largement les notions de vérité, de bien, d’harmonie” (G. Balandier, Anthropologie politique).

- De même, l’Islam, à la fois religion et ordre social, propose une théorie du pouvoir et de l’autorité. L’Islam, nom de la religion prêchée par Mahomet, se fonde sur le Coran, le Livre Saint, la Parole de Dieu, le message révélé à Mahomet (570-632). Il s’agit, dans la pensée coranique, de rattacher le pouvoir à Dieu : “obéissez à Dieu, obéissez à l’envoyé”. D’où une problématique centrale, tout particulièrement dans le monde contemporain : en terre d’Islam, l’autorité doit-elle se relier au principe religieux ou se fonder laïquement ? Les réponses sont diverses : certains affirment le pouvoir dans une perception laïque , démontrent que l’Islam désigne un message purement religieux et ne doit surtout pas se mêler des affaires de la cité (le théologien égyptien Ali Abderraziq); d’autres, les intégristes contemporains, voient dans l’Islam l’unique source de l’autorité : s’impose l’idée de la souveraineté de Dieu sur terre; le clergé exercera une sorte de vice-royauté dans le monde (selon la tradition chiite, après la disparition du dernier imam - guide - , en 874, le monde est entré dans une période durant laquelle le pouvoir politique doit être dévolu aux théologiens).

- Dans les sociétés historiques occidentales (la société française de l’Ancien régime, par exemple), le pouvoir procède de Dieu et s’enracine dans le Sacré. Le roi est, dans la monarchie de droit divin, le représentant de Dieu sur terre. Le fondement divin fournit au pouvoir une référence absolue et stable, face au devenir des choses. Dieu, immuable, se reflète dans le pouvoir et lui apporte une assise éternelle, comme nous le signale Bossuet : “La puissance de Dieu se fait sentir en un instant de l’extrémité du monde à l’autre : la puissance royale agit de même dans tout le royaume. Elle tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le monde. Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant : que l’autorité cesse dans le royaume, tout sera en confusion…”

- L’Epître de Paul aux Romains, dans le Nouveau Testament, exprime également, à l’origine, cette référence sacrée, cette vue faisant du Prince un ministre de Dieu : l’homme-roi est envoyé de Dieu, pour le bien de l’Etat, et toute autorité, transcendant les hommes, devient, dès lors, sacrée et absolue.

- La dimension religieuse a toutefois régressé. La laïcisation du pouvoir a, depuis la fin du XVIIIe siècle, contribué, en Occident, à faire se distendre la liaison entre le pouvoir et le Sacré. Dans nos sociétés contemporaines, de nouveaux fondements se substituent au Sacré. Le pouvoir va se légitimer et se fonder autrement. La démocratie, par exemple,  fonde son pouvoir politique sur la volonté des citoyens. Quels sont alors les nouveaux fondements du pouvoir ?

2) Les fondements du pouvoir contemporain

- Selon certains auteurs (Lyotard notamment et le thème du post-modernisme), l’homme post-moderne, à la différence de l’homme moderne, ne croit plus en l’idée d’un Sens de l’histoire, d’une émancipation du genre humain, d’une construction de la société sans classes (nombreux sont ceux qui parlent aujourd’hui de la mort des idéologies). Ce qui désormais légitime le pouvoir, c’est la possibilité de transmettre un message, de maîtriser information et communication. Le paradigme communicationnel cède alors la place aux modèles de l’Histoire et du Sacré. Les vrais acteurs sociaux appartiennent à l’empire de la communication.

- Michel Foucault nous signale que le pouvoir contemporain se fonde sur la norme, alors qu’il était autrefois référé à la loi. Il recherche aujourd’hui une assise plus subtile, plus adaptée à un ordre moins autoritaire. Aux côtés de la loi figure la norme qui apporte son fondement au pouvoir contemporain : discours quotidiens, par exemple, du psychiatre, du psychologue à l’école, à l’hôpital, dans les tribunaux, etc.

- Des normes, des systèmes d’information, des pouvoirs multiples et diffus : le pouvoir contemporain dessine ses multiples figures sur fond de société ouverte. Selon Karl Popper, la société ouverte fournit une des assises du pouvoir contemporain. Alors que la société close est réglée par le sacré et l’interdit, la société ouverte est laïque et s’ouvre aux créations humaines. Elle évolue et apparaît marquée par l’esprit critique, par l’interrogation, le mouvement.

- Mais il ne s’ensuit pas que les dominations régressent, que la maîtrise-obéissance cesse de former une des bases du pouvoir. De nos jours la domination, les inégalités de position, les élites, les rapports de force s’avancent plus en souplesse, souvent masqués, revêtus d’une violence symbolique. Le pouvoir demeure ancré dans des structures d’obéissance. Dans nos sociétés plus ouvertes, aux hiérarchies sociales apparemment assouplies, la relation de domination ne se manifeste pas toujours dans son évidence, comme le signale Pierre Bourdieu. Intériorisée, occultée, parfois inconsciente, subie souvent en toute méconnaissance, la domination subsiste comme noyau fondamental et assise des pouvoirs. La domination, travestie et déguisée, dissimule aux dominés ses mécanismes. Au sein de la société ouverte, la parole autorisée et dominante affirme toujours sa présence.

- En somme, si la laïcisation du monde contemporain tend à faire s’évanouir le fondement sacré du pouvoir, le pouvoir contemporain tente de gérer le désordre qu’il occasionne à l’aide des systèmes de communication, des normes, des dominations masquées et déguisées. Les sociétés “post-modernes” s’efforcent de convertir en souplesse le désordre, c’est-à-dire les déviances, les irrégularités, les chaos divers

 

CONCLUSION GENERALE SUR LE POUVOIR

- Il semble donc que le pouvoir soit nécessaire aux groupes et aux sociétés. Il convertit en dynamisme vital les forces de mort et de désintégration. Il tend parfois à revitaliser la société (exemple des élections ou du nouveau leader charismatique qui revigore les microcollectivités). Il se révèle également indispensable parce qu’il réintroduit du symbolique et de l’imaginaire dans des formations sociales incapables de fonctionner à froid.

- Le jeu de l’imagination semble alors accompagner tout pouvoir : l’image, la fiction, la théâtralisation contribuent à désamorcer les angoisses. Sans eux, le pouvoir, fonctionnant seul et nu, sans imaginaire, se dissocierait radicalement du sacré. Or nul pouvoir sans quelque retour (conscient ou inconscient) aux puissances du sacré.

- Qu’est, en somme, le pouvoir ? Un ensemble de phénomènes de domination omniprésent dans tout rapport humain et traversant toutes les relations sociales : les groupes, les élites, les familles, etc. Pouvoir aux multiples figures, modèles de domination extrêmement diversifiés et ramifiés, qui se fondent à la fois sur un désir de dominer et sur un besoin de dépendance. Pouvoir qui tente de maîtriser la mort et la finitude humaine, et qui fait vivre civilisation et cultures.

- Le pouvoir est donc une gestion de la société qui nous conduit aux frontières de la mort et du sacré. Il exprime en quelque sorte la volonté d’éternité de l’homme.

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