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LA LIBERTÉ: COURS DE PHILO

Publié le 12/04/2015

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LA LIBERTÉ

 

Introduction :

 

          Être libre, est-ce une réalité ou une illusion ? Pour l’homme de la rue, être libre, c’est faire ce qui lui plaît, c’est donc accomplir ses désirs sans obstacle ni contraintes. Agir librement, c’est donc agir volontairement ou agir volontiers. Par exemple, je vais librement au cinéma parce que j’en ai envie et qu’aucune tâche ne s’impose à moi. Cette acception du mot « liberté « rejoint d’ailleurs son sens originel, en effet, pour les anciens, un homme libre est un homme qui n’obéit à aucune loi si ce ne sont les siennes. Et contrairement à l’esclave qui est entièrement soumis à l’autorité de son maître, l’homme libre dispose de sa personne comme il l’entend. Pourtant, agir sans contraintes ne suffit pas pour définir une parfaite liberté parce que je peux volontairement me précipiter dans la servitude comme un animal se jette dans un piège car il a vu l’appât mais pas le filet. Pour appliquer cela à l’homme, Spinoza dit : « on pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela n’est pas cependant absolument vrai car, en réalité, être captif de son plaisir, c’est le pire esclavage «.

Donc, ce sentiment immédiat de liberté n’est peut-être qu’une illusion. Il est vrai que chacun l’éprouve à certains moments, mais éprouver n’est pas prouver. Cette première définition de la liberté n’est pourtant pas suffisante puisque je me crois libre, mais le suis-je réellement ? Cette question en entraîne d’ailleurs une autre : qu’est-ce qu’être libre ? Et, en fait, on va s’apercevoir qu’il faut dépasser cette première approche pour être libre en pleine connaissance de cause.

 

I-        La liberté comme soumission à la nécessité :

 

          Le déterminisme, qui est présent partout dans la nature, nous détermine-t-il aussi ? Il est vrai que nous appartenons à la nature, nous en faisons partie intégrante parce que nous sommes des animaux, mais la connaissance que nous avons de ses lois augmente notre pouvoir d’action. et même si nous connaissons mieux les lois physiques, nous y sommes soumis et nous ne pouvons faire autrement que de nous y soumettre. Ce déterminisme ne concerne pourtant que notre moi sensible. Qu’en est-il alors de notre esprit? Et quelle est cette liberté si elle n’est pas l’abandon aux impulsions du désir ? N’est-elle pas la prise de conscience de la nécessité ? Donc, d’abord la prise de conscience que cette liberté qui consiste à faire ce que je veux est une pure illusion, parce que je ne fais jamais réellement ce que je veux.

          La liberté comme prise de conscience d’une soumission à la nécessité est ainsi vue par Épictète qui est un stoïcien et pour qui la liberté réside dans l’assentiment à l’ordre providentiel de la nature. L’homme peut en quelque sorte devenir l’égal des dieux s’il parvient à maîtriser ses désirs jusqu’à vouloir ce que veut la raison divine qui gouverne toute chose. La liberté peut alors être comprise de deux façons : la possibilité d’obtenir tout ce qu’on veut, mais c’est aussi la possibilité de soumettre sa volonté à l’ordre universel (on est ici encore dans une optique qui privilégie le tout bien ordonné : le cosmos). Investir de notre désir les choses qui ne dépendent pas de nous, ce qu’on peut globalement appeler les choses extérieures, est déraisonnable. La raison exige au contraire que nous ne considérions comme bonnes que les choses qui dépendent de nous et en fait, celui qui veut que les choses arrivent comme il le désire est en réalité l’esclave de ses passions.

          La vraie liberté réside alors dans l’assentiment à tout ce qui est. Puisqu’il y a des choses que je ne peux pas changer (telles la maladie ou la mort), le meilleur moyen de ne pas subir ce qui m’arrive, est de le vouloir pleinement, donc de l’accepter. Consentir à la nécessité, en d’autres termes vouloir ce que veut la raison divine qui ordonne toute chose, telle est la voie de la liberté selon Épictète. Á partir de là, l’homme libre ne considère pas comme des maux le froid, la maladie ou la méchanceté des hommes, parce qu’il sait que ces réalités concourent à l’ordre du monde. Le véritable esclave n’est donc pas celui dont le corps est à la merci des caprices du maître, mais celui dont l’âme est prisonnière de désirs excessifs qui vont à l’encontre de la nature. Par exemple, si je ne veux pas vieillir, je m’expose à subir les ravages du temps. En fait, si je ne l’accepte pas, je vais vieillir, à mes yeux, encore plus vite. Le sage, en revanche, qui vit en harmonie avec la nature, jouit d’une absolue liberté : rien ne peut le troubler puisque tout ce qui lui arrive, il l’a voulu. Dans cette optique, la liberté n’a rien à voir avec la condition sociale : le maître peut très bien torturer son esclave, il ne saurait le forcer à vouloir ce qu’il ne veut pas. Néanmoins, Épictète donne à notre volonté un pouvoir absolu. Mais, cette volonté n’est-elle pas aussi déterminée sans que j’en aie conscience ? Ceci nous ramène au cours sur la psychanalyse de Freud. Spinoza, dans cette perspective, pose qu’il n’y a pas en l’homme de faculté particulière de vouloir. Il existe certes ce qu’il appelle des volitions, i.e. des actes particuliers du vouloir, mais elles sont rigoureusement déterminées au même titre que les phénomènes naturels donc, une chose singulière quelconque « ne peut exister et être déterminée à produire quelque effet si elle n’est déterminée à exister et à produire cet effet par une autre cause «. (« L’éthique « de Spinoza) : en fait, il n’y a rien de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé à exister et à agir d’une certaine e choses de la nature, l’homme est strictement déterminé. S’il croit avoir sur ses actions un pouvoir absolu, c’est parce qu’il a conscience de ses propres désirs, mais il ignore les causes qui les déterminent et donc, ce que nous appelons liberté ne serait rien d’autre que notre ignorance des causes véritables qui nous déterminent à agir ou à penser de telle ou telle manière. Par conséquent, l’homme est d’abord esclave : comment, dans ce cas convertir en liberté la servitude originelle de l’homme ?

On peut le faire d’abord par la connaissance, en effet pour accéder à la liberté, il me faut comprendre que tout ce qui m’arrive est nécessaire, et il faut donc que je coïncide, par le biais de la raison, avec cette nécessité inéluctable. Si, par exemple, le malheur me frappe, quand j’aurais compris que l’enchaînement des causes et des effets rendait ce malheur inéluctable, je serais apaisé parce que je cesserai d’envisager mes souffrances sous l’angle borné de mon individualité pour les considérer du point de vue de la totalité, i.e. du point de vue de la liaison de beaucoup de choses. Et, donc, comprendre activement ce que j’éprouvais passivement, n’est-ce pas finalement trouver dans la connaissance même des conditions de la servitude une nouvelle forme de puissance, de liberté et de bonheur ? et donc, chez Spinoza, l’homme peut accéder à une certaine forme de liberté s’il parvient à se réaliser, c’est à dire à faire correspondre ses actions avec son essence même. On parle dans ce cas là de la libre nécessité. Ceci dit, chez Spinoza, seul Dieu est véritablement libre parce que, dit-il : « il agit par les seules lois de sa nature et sans subir aucune contrainte «.

          Malgré tout, il me semble que je ne suis pas nécessairement soumis à la liberté, mais comment le prouver ?

 

II-       Le libre arbitre :

 

          Certes, je ne peux me soustraire à la loi de la pesanteur, mais il m’est toujours possible de dire ou non la vérité. Ma liberté se manifeste ainsi d’abord à moi comme le pouvoir de choisir entre plusieurs actions possibles : c’est  proprement ce que l’on appelle le libre arbitre, mais cette liberté de choix possède deux degrés que met en avant Descartes.

¨   Le premier degré : il arrive parfois que je sois confronté à un choix qui me jette dans le plus grand embarras parce que je n’ai aucune raison de préférer une solution plutôt qu’une autre et un philosophe du XIV° siècle, Jean Buridan nous invite à méditer sur le cas d’un âne que aurait autant soif que faim et qui serait placé à égale distance d’une mesure d’avoine et d’un seau d’eau. Ne sachant que choisir au point d’en rester immobile, il finit par mourir. Pour pouvoir prendre une décision il aurait fallu qu’il soit doué, tout comme l’homme, du pouvoir de se déterminer même quand aucun motif ne l’emporte. Cette liberté, qu’on appelle liberté d’indifférence est le plus bas degré de la liberté parce qu’elle s’exerce toujours à l’occasion de choix insignifiants. L’indifférence est l’état dans lequel se trouve la volonté lorsque, confronté à un choix, « elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que de l’autre par la perception du vrai ou du bien « et elle n’est nullement la condition de la liberté, au contraire, je suis d’autant plus libre que j’ai de bonnes raisons d’agir comme je le fais.

¨   Le second degré : quand je suis confronté à un choix crucial qui engage mon avenir, je ne peux pas décider de la conduite à tenir. Je suis alors d’autant plus libre, comme l’affirme Descartes, que je suis capable de discerner clairement la meilleure des solutions.

Ce n’est donc pas dans l’absence de motifs que réside la liberté, mais dans le pouvoir que possède la volonté humaine d’arbitrer entre des motifs contraires. Cette puissance de la volonté que l’on appelle le libre arbitre, constitue pour Descartes en tout cas, la principale perfection de l’homme car elle le rend maître de ses actions. En effet, par sa nature, la volonté consiste en ce que nous pouvons nous déterminer à agir sans être contraint par une quelconque force extérieure et en cela, elle est absolument sans limite. Par exemple, même si un mensonge m’est avantageux, je suis libre de ,ne pas mentir, c’est à dire de donner la préférence au devoir de dire la vérité plutôt qu’à mon intérêt personnel : une décision libre n’est donc pas une décision laissée au hasard, mais une décision pleinement réfléchie et éclairée par la connaissance du vrai ou du bien. En ce sens, le libre arbitre nous rend pleinement responsable de nos actes : dès lors qu’un homme est capable de distinguer le bien du mal, le choix du mal ne peut être imputé seulement à des conditions extérieures comme notre passé ou notre milieu social. C’est le choix d’une volonté qui pourrait tout aussi bien faire le choix opposé : j’ai alors le devoir d’être responsable de mes actes. Donc, la liberté est un droit mais aussi une charge qu’il me faut assumer et en ce sens, la liberté est synonyme de responsabilité. C’est comme cela que la voit Sartre. Donc l’homme possède une liberté absolue et il ne peut pas rejeter ses fautes ou ses erreurs sur des causes extérieures donc, en fait, l’homme libre est sans excuse. Pourquoi Sartre affirme-t-il cela ? Sa réponse vient d’une de ses célèbres phrases : « L’existence précède l’essence «. Le verbe exister signifie être hors de : les hommes existent alors que les animaux sont : l’homme n’a ainsi pas de nature, ce qui implique qu’il est libre. Cette phrase signifie qu’on ne peut pas m’enfermer dans une nature bien définie parce que je peux changer, je ne suis donc pas figé dans un rôle et on part du principe que les animaux restent conformes à leur nature toute leur vie alors que les hommes non. Bref, rejeter sa faute sur une certaine nature humaine n’a pas de sens et n’est qu’un prétexte pour s’en décharger. Ainsi, « l’homme est condamné à être libre. Condamné parce qu’il ne s’est pas créé lui-même et par ailleurs cependant libre parce qu’une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait «. Sartre dans « L’existentialisme est un humanisme «.

Donc, j’agis toujours librement quoi que je fasse, mais qu’est-ce qu’un acte libre ? On croit souvent que l’acte libre c’est l’acte indéterminé, étranger à tout motif. Ainsi, André Gide dans son livre « Caves du Vatican « imagine l’acte libre par excellence : il s’agit d’un crime gratuit, immotivé de son héros, Lafcadio, qui d’un compartiment de train, précipite un voyageur dans le vide. On finit par comprendre que l’idée d’acte gratuit est une illusion dont Lafcadio est prisonnier. En effet, s’il accomplit ce crime et c’est le cas, pour faire preuve de son absolue liberté, ce n’est plus un acte immotivé puisqu’il est motivé, déterminé par le désir de commettre un acte gratuit. Mais si tout acte est déterminé, est-ce à dire qu’aucun n’est libre ? La réponse est non parce que l’acte libre ne s’oppose pas à l’acte déterminé mais à l’acte contraint, c’est à dire imposé par une puissance extérieure. L’acte libre apparaît alors comme la solution la plus réfléchie à un problème. Pour l’illustrer, Racine et sa pièce « Andromaque « paraît le mieux trouvé.

Dans cette pièce, Andromaque est pris par une cruel dilemme : ou, pour sauver son fils, elle épouse Pyrrhus et trahit alors la fidélité pour son défunt mari Hector ou elle n’épouse pas Pyrrhus, reste alors fidèle à son mari mais Pyrrhus fera mourir Astyanax son fils. Donc, Andromaque décide d’épouser Pyrrhus qui, lié par sa promesse assurera l’éducation de son fils et se donne la mort tout de suite après son mariage et par-là même, comme il n’est pas consommé, ne trahit pas non plus Hector. Donc cette solution tragique mais réfléchie est un acte libre parce qu’elle est la seule solution qui permet à Andromaque de concilier ses devoirs d’épouse avec ses devoirs de mère.

Pour définir la liberté, il faut distinguer le fatalisme qui asservit du déterminisme qui libère.

En effet, le fatalisme est une doctrine et une attitude selon laquelle tous les événements du monde et particulièrement ceux qui concernent la vie humaine  obéissent à une nécessité absolue, c’est à dire qu’ils sont soumis à un destin irrévocable et inévitable. En clair, ce que dit le fataliste, c’est que ces événements que l’on craint sont inévitables quoiqu’il arrive auparavant et, quoi que l’on fasse pour l’éviter, il se produira quand même, ce que l’on voit dans Œdipe. Ainsi, quels que soient les événements qui le précèdent, le résultat final est nécessaire ; Le fatalisme rend donc impossible toute liberté humaine.

D’un autre côté, le déterminisme affirme seulement que ces événements  sont liés entre eux par des lois constantes et universelles : je sais par exemple qu’en voiture, il me faut beaucoup plus de temps et d’espace pour m’arrêter sur une route humide que sur une route sèche, et si je veux dans ces conditions pouvoir m’arrêter, il me suffit de réduire ma vitesse. Le déterminisme ne rend donc pas impossible la liberté : au contraire, la connaissance des lois causales augmente ma liberté parce que j’agis alors en connaissance de cause et no par impulsivité.

Néanmoins, même si je suis un être libre, je ne vis pas seul, mais inséré dans une société régie par des lois. Qu’en est-il alors de cette liberté individuelle face à autrui et face aux lois.

 

III-      Lois et liberté :

 

          Que serait une conscience de soi libre si elle n’était pas reconnue comme telle ? C’est oublier notre condition première qui est le fait d’être aux autres avant d’être à nous-mêmes. À ce propos, Kant dira : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien sans le pouvoir de communiquer avec nos semblables ? « Mais, dans la vie en société, a coexistence des libertés est problématique : quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres. Il faut donc des limites à l’indépendance. Mais comment poser ces limites sans tomber dans l’extrême inverse, c’est à dire la suppression totale des libertés individuelles ? C’est en ce sens que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dans son article 4 définit la liberté non comme le pouvoir de faire ce que l’on veut ou tout ce qui nous plaît, mais comme le pouvoir de faire « tout ce qui ne nuit pas à autrui «.

Qu’il s’agisse de la liberté ou de tout  autre droit, son exercice a pour limite d’assurer à autrui la jouissance de ce même droit. Ainsi, chaque droit pour moi est un devoir pour l’autre et vice-versa. C’est pourquoi Rousseau affirme dans son « Contrat Social « « qu’il n’y a point de liberté sans lois «. Á première vue, c’est une affirmation paradoxale voire même contradictoire parce que la loi est souvent ressentie par les individus comme une contrainte. En effet, elle interdit à chacun de faire tout ce qui lui plaît. Mais, c’est en ce sens aussi qu’elle le protège du bon plaisir d’autrui qui peut lui être nuisible voire mortel. Donc, l’absence de lois dans une société qui théoriquement assure la liberté de chacun aboutirait en fait à l’écrasement du plus faible par le plus faible. C’est pourquoi il faut distinguer comme le fait Rousseau dans son « Contrat social « la liberté naturelle de la liberté civile.

La liberté naturelle est présente à l’état de nature : elle est même un droit illimité à tout ce qu’on peut atteindre et n’a pour bornes que les forces de l’individu. Mais, chacun fait ce qui lui plaît. Le plus faible s’expose alors à subir ce qui plaît aux plus forts de lui faire subir. Or, « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’a n’être pas soumis à celle d’autrui «, ce qui dans ce cas fait que l’indépendance c’est à dire le pouvoir d’agir selon son bon plaisir ne finit que par produire le despotisme et donc l’esclavage parce que la liberté collective disparaît dès qu’un homme ou un groupe d’hommes peut sans être inquiété imposer sa volonté à celle d’autrui par force, violence verbale (menaces, etc.) ou physique. Aussi faut-il substituer à cette pseudo-liberté la liberté civile que seul le contrat social (contrat de tous envers chacun et de chacun envers tous) permet de garantir. Par ce contrat, « chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout «. Ainsi, chacun s’engageant envers tous à ne reconnaître que la liberté générale, la liberté de tous les membres politiques (tous ceux qui participent à la vie politique, i.e. les gouvernements et leurs sujets) est préservée de même que leur égalité. Tous peuvent alors jouir du même droit en toute sécurité et c’est en ce sens que la loi préserve la liberté. En fait, en obéissant à la loi qui est l’expression de la volonté générale, le citoyen n’obéit qu’à lui-même, ce que traduira Rousseau avec : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté «. La liberté, de ce fait, est obéissance, mais non pas obéissance aux puissants, mais à des lois qui s’imposent à tous, y compris aux puissants. Dans un État libre, personne n’est au-dessus des lois, le gouvernements eux-mêmes (qui ne sont pour Rousseau que de simples représentants) doivent servir les lois (d’ailleurs, le mot ministre vient du latin « ministere «, i.e. serviteur) et non pas se servir des lois pour leur propre profit.

 

CONCLUSION :

 

          Si comme l’affirme Rousseau, « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté «, la vraie liberté réside dans l’autonomie, i.e. dans l’obéissance à la loi morale prescrite par la raison. Dans ce cas, la loi devient une obligation et non plus une contrainte. Si elle apparaît contraignante, c’est parce que nous ne sommes pas autonomes, mais hétéronomes. Parmi les principes pratiques, i.e. « les propositions renfermant une détermination générale de la liberté « (définition de Kant), il faut distinguer les maximes et les lois. Subjectives, les maximes sont les principes d’après lesquels le sujet agit tandis que les lois qui sont des principes objectifs, déterminent comment le sujet doit agir et donc, seul est moralement bon le vouloir dont la maxime peut être pensée comme une loi universelle, i.e. valable pour tout être raisonnable. La loi morale détermine la volonté de l’individu en tant que celui-ci est un être raisonnable, i.e. sans tenir compte de ses impulsions, penchants ou sentiments. C’est d’ailleurs sur ce point que se sont concentrées les critiques. Donc, pour Kant, la liberté et la loi morale s’impliquent réciproquement et ne peuvent être pensées l’une sans l’autre. C’est en effet parce que je saisis d’abord en moi le commandement de la loi morale que je connais ma liberté et réciproquement, c’est parce que je suis libre que je peux résister à mes penchants et accomplir mes devoirs.

 

 

TEXTES - LA LIBERTÉ :

 

« Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée, l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons; ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons. Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves; ce qui n'en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger. Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t'est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté; tu en voudras aux hommes comme aux dieux; mais si tu ne juges tien que ce qui l'est vraiment - et tout le reste étranger -, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route; tu ne t'en prendras à personne, n'accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n'auras pas d'ennemi puisqu'on ne t'obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais. « Epictète - « Le Manuel «.

 

J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple: une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. « B. SPINOZA, lettre à Schuller, in Œuvres, Paris, Éd. Garnier-Flammarion, 1955, tome 4, pp. 303-304

 

« Considérant quelles sont mes erreurs... je trouve qu'elles dépendent du concours de deux causes, à savoir de la puissance de connaître qui est en moi et de la puissance d'élire ou bien de mon libre arbitre : c'est-à-dire de mon entendement et ensemble de ma volonté. Car par l'entendement seul, je n'assure ni ne nie aucune chose, mais je conçois seulement les idées des choses, que je puis assurer ou nier. Or en le considérant ainsi précisément, on peut dire qu'il ne se trouve jamais en lui aucune erreur, pourvu qu'on prenne le mot d'erreur et sa propre signification. Et encore qu'il y ait peut-être une infinité de choses dans le monde dont je n'ai aucune idée en mon entendement on ne peut pas dire pour cela qu'il soit privé de ces idées comme de quelque chose qui soit dû à sa nature mais seulement qu'il ne les a pas...

Je ne puis pas aussi me plaindre que Dieu ne m'a pas donné un libre arbitre ou une volonté assez ample et parfaite puisqu'en effet je l'expérimenté si vague et si étendue qu'elle n'est renfermée dans aucunes bornes...

D'où est-ce donc que naissent mes erreurs?  C'est à savoir de cela seul que, la volonté étant beaucoup plus ample et plus étendue que l'entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l'étends aussi aux choses que je n'entends pas auxquelles étant de soi indifférente, elle s'égare fort aisément et choisit le mal pour le bien et le faux pour le vrai.  Ce qui fait que je me trompe et que je pêche. « DESCARTES

 

" Quand au libre arbitre [...], je voudrais noter à ce sujet que l’indifférence me semble signifier proprement l’état dans lequel se trouve la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que de l’autre par la perception du vrai ou du bien ; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être d’autres entendent-ils par indifférence la faculté positive de se déterminer pour l’un ou l’autre de deux contraires, c’est-à-dire de poursuivre et de fuir, d’affirmer ou de nier. Cette faculté positive, je n’ai pas nié qu’elle fût dans la volonté. Bien plus, j’estime qu’elle s’y trouve, non seulement dans ces actes où elle n’est poussée par aucune raison évidente d’un côte plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres ; à tel point que, lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le parti contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons. Car il est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre. " Descartes, Lettre à Mesland, 09/02/1645.

 

« Dostoïevski avait écrit : «Si Dieu n'existait pas, tout serait. permis«.  C'est là le point de départ de l'existentialisme.  En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher.  Il ne trouve d'abord pas d'excuses.  Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté.  Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite.  Ainsi nous n'avons ni derrière nous ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses.  Nous sommes seuls, sans excuses.  C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. […]

Si j'ai supprimé Dieu le père, il faut bien quelqu'un pour inventer les valeurs.  Il faut prendre les choses comme elles sont.  Et par ailleurs, dire que nous inventons les valeurs ne signifie pas autre chose que ceci : la vie n'a pas de sens, a priori.  Avant que vous ne viviez, la vie, elle, n'est rien, mais c'est à vous de lui donner un sens, et la valeur n'est pas autre chose que ce sens que vous choisissez. « SARTRE - « L’existentialisme est un humanisme «

 

« Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police! Au demeurant, sur ce sacré talus, n'importe qui peut, d'un compartiment voisin, remarquer qu'une portière s'ouvre. Du moins les rideaux du couloir sont tirés... Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d'agir, recule... Qu'il y a loin, entre l'imagination et le fait!.. Et pas plus le droit de reprendre son coup qu'aux échecs. Bah! Qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt!.. Entre l'imagination d'un fait et... Tiens! Le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois; une rivière..."

Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement, Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate.

"Là, sous ma main, cette double fermeture - tandis qu'il est distrait et regarde au loin devant lui - joue, ma foi! Plus aisément encore qu'on eût cru. Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence: une, deux, trois, quatre, (lentement! lentement!) cinq, six, sept, huit, neuf... dix, un feu..." Fleurissoire ne poussa pas un cri.

.../...

En gare de Naples, les employés de la Compagnie ont ramassé dans le filet d'un compartiment de première classe du train venu de Rome, une veste de couleur sombre. Dans la poche intérieure de ce veston une enveloppe jaune toute ouverte contenait six billet de mille francs; aucun autre papier qui permît d'identifier le propriétaire du vêtement. S'il y a eu crime, on s'explique malaisément qu'une somme aussi importante ait été laissée sur le vêtement de la victime; cela semble indiquer tout au moins que le crime n'aurait pas eu le vol pour mobile. « Gide - « Les caves du Vatican « (extraits).

 

 

 

« Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme toute entière s'élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif.      On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. « ROUSSEAU - « Du Contrat social «.

 

« Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière générale tenu en respect (respect lié à la crainte) par un juge intérieur et cette puissance qui veille en lui sur les lois n'est pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente à son être. Elle le suit comme son ombre quand il pense lui échapper. Il peut sans doute par des plaisirs ou des distractions s'étourdir ou s'endormir, mais il ne saurait éviter parfois de revenir à soi ou de se réveiller, dès lors qu'il en perçoit la voix terrible. Il est bien possible à l'homme de tomber dans la plus extrême abjection (1) où il ne se soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de l' entendre. « KANT.

(1) abjection : bassesse morale. 

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