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MACHIAVEL: Des vices utiles et des vertus nuisibles.

Publié le 22/02/2012

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Je dis que tous les hommes, quand on en parle, et principalement les Princes, pour être ceux-ci en plus haut degré, on leur attribue une de ces qualités qui apportent ou blâme ou louange. C'est-à-dire que quelqu'un sera tenu pour libéral, un autre pour chiche (misero) (usant ici d'un terme toscan, parce que avaro en notre langue est aussi celui qui par rapine désire posséder, et c'est misero que nous appelons celui qui s'abstient trop d'user de son bien), quelqu'un sera estimé donneur, quelqu'un rapace; quelque autre cruel, quelque autre pitoyable; l'un trompeur, l'autre homme de parole; l'un efféminé et lâche, l'autre hardi et courageux, l'un affable, l'autre orgueilleux; l'un pillard, l'autre chaste; l'un entier et rond, l'autre fin et rusé; l'un opiniâtre, l'autre doux et facile; l'un grave, l'autre léger; l'un religieux, l'autre incrédule; et pareillement des autres. Je sais bien que chacun confessera que ce serait chose très louable qu'un Prince se trouvât ayant de toutes les susdites qualités celles qui sont tenues pour bonnes; mais, comme elles ne se peuvent toutes avoir, ni entièrement observer, à cause que la condition humaine ne le permet pas, il lui est nécessaire d'être assez sage pour qu'il sache éviter l'infamie de ces vices qui lui seraient cause de perdre ses Etats; et de ceux qui ne les lui feraient point perdre, qu'il s'en garde, s'il lui est possible; mais s'il ne lui est pas possible, il peut avec moindre souci les laisser aller. Et surtout qu'il ne se soucie pas d'encourir le blâme de ces vices sans lesquels il ne peut aisément conserver ses États; car si l'on regarde bien à tout, on trouvera quelque chose qui semble être vertu, et en la suivant ce serait la ruine; et quelque autre qui semble être vice, mais à la fin la sûreté et la commodité en viennent.

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