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Notes de cours: LE LANGAGE (2 de 2)

Publié le 22/02/2012

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langage

"C'est dans le mot que nous pensons": Hegel et le langage.

 

            La fonction essentielle du langage, selon Hegel, est de tirer l'esprit du monde complexe et confus que lui présente la perception brute et de le faire accéder à un monde plus intellectuel, purifié, celui des mots: "L'intelligence se trouve comme remplie par l'objet qui lui est donné immédiatement et qui entraîne avec lui la contingence, l'inanité et la fausseté qui sont le propre de l'existence extérieure". Mais, le rôle de l'intelligence est de "purifier le contenu de l'objet qui s'offre à elle d'une façon immédiate, en y effaçant tout ce qu'il a d'extérieur, d'accidentel et d'insignifiant". Or c'est le son articulé, le mot qui accomplit cette fonction, car d'un côté le mot est une forme externe mais il est aussi l'oeuvre de l'esprit: il est un signe et il est par là une forme interne. "Le son s'articulant suivant les diverses représentations déterminées, c'est-à-dire la parole et son système le langage, donne aux intuitions et aux représentations une seconde existence, plus haute que leur existence immédiate, en un mot, une existence qui a sa réalité dans la sphère de la représentation". Par exemple, "en entendant le mot lion, nous n'avons besoin ni de l'intuition, ni même de l'image de cet animal, le mot une fois compris est la représentation simple sans image. C'est en mots que nous pensons", c'est-à-dire non en images.

            C'est pourquoi Hegel considère, en opposition à Leibniz, que le langage alphabétique est supérieur au langage hiéroglyphique, trop près des choses. Celui-ci "désigne les représentations par des figures spatiales; mais l'écriture alphabétique exprime des sons qui sont en eux-mêmes déjà des signes. Cette langue consiste donc en signes de signes; elle ramène les signes concrets de la langue des sons, les mots, à leurs éléments simples, et exprime ces éléments". Et Hegel conclut: "Il suit de là qu'apprendre à lire et à écrire l'écriture alphabétique est un moyen d'éducation intellectuelle d'un prix infini, et qu'on ne saurait trop apprécier. Car cela détourne l'esprit de l'existence sensible et concrète, et dirige son attention sur un domaine plus intellectuel, le mot parlé et ses éléments abstraits, et remplit par là une condition indispensable pour fonder et épurer la vie de l'esprit".

            Il semble qu'il n'y ait guère de texte qui ait affirmé avec cette force l'indissolubilité du langage et de la pensée et la fonction primordiale du langage dans son exercice, comme si Hegel ne s'opposait pas seulement à des vues mystiques traditionnelles mais prévoyait aussi des attaques du type de celle de Bergson et qu'il voulût y répondre par avance.

 

L'ineffable

 

            Il est des réalités intraduisibles par le langage:

           

            A) D'abord, dans le domaine psychologique. Puisque le langage est essentiellement social, la pensée autistique, celle qui demeure sans contact avec la réalité extérieure et avec autrui est donc incommunicable: chez les schizophrènes, l'aphasie n'a pas d'autre cause. sans descendre jusque-là, il est certain qu'il existe dans la vie affective (émotions, sentiments, passions) bien des nuances individuelles que le langage ne traduit que fort imparfaitement. Bien des auteurs, et des plus classiques, ont fait allusion à ce "je-ne-sais-quoi" que le langage ne parvient pas à exprimer. C'est surtout dans la communication des consciences entre elles que cette insuffisance du langage s'affirme. Bergson l'avait signalé: "Le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal qui emmagasine ce qu'il y a de commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions de l'humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle... Celles-là seules de nos idées qui nous appartiennent le moins, sont adéquatement exprimables par des mots".

Seule, selon Bergson, la musique serait capable, par-delà "ces joies et ces tristesses qui peuvent, à la rigueur, se traduire en paroles", de saisir "quelque chose qui n'a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie qui sont plus intérieurs à l'homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de son exaltation, de sa dépression, de ses regrets et de ses espérances". La philosophie existentielle a insisté davantage encore sur le caractère "ineffable" de la communication: ainsi, pour Karl Jaspers, la communication reste toujours "le secret des deux êtres" qu'elle unit, puisqu'elle est affirmation existentielle, non conceptuelle, de l'unicité de ces deux êtres, et bien souvent, pour la nouer, "le silence, expression normale de l'inconditionné" vaut mieux que toute explication. Même dans notre vie intellectuelle, il s'en faut que tout soit exprimable par le langage. "On ne peut parler, dit Condillac, sans décomposer la pensée en ses divers éléments pour les exprimer tour à tour et la parole est le seul instrument qui permette cette analyse de la pensée." Il résulte de là que, tant que la pensée demeurez encore enveloppée ou syncrétique, tant qu'elle n'a pas encore explicité les rapports qui la constituent, elle est malhabile à s'exprimer: tels sont ces états sur lesquels avait insisté W. James, tels que "sentiments de rapports", "intention" de parler en tel ou tel sens, "attitudes mentales". Cette dernière remarque nous met en garde cependant contre la tendance, trop fréquente dans la philosophie contemporaine, à exalter cette pensée inverbale ou balbutiante. Car, parfois, la pensée qui ne parvient pas à exprimer, est fréquemment une pensée confuse. L'ineffable c'est parfois l'irrationnel: tel était d'ailleurs le sens du mot dans l'ancienne langue, où le nombre ineffable n'était autre que le nombre incommensurable, que nous appelons aujourd'hui précisément le "nombre irrationnel".

 

            B) La philosophie contemporaine a incriminé bien plus vivement encore l'incompétence du langage dans le domaine métaphysique: "nous ne voyons pas les choses en elles-mêmes, écrivait déjà  Bergson, nous nous bornons le plus souvent à coller des étiquettes sur elles. Cette  tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage. Car, les mots désignent tous des genres". Ainsi, le langage contribue à nous masquer la vraie réalité des choses, qui est toujours concrète et singulière. aussi, l'intuition qui seule, selon Bergson, nous permettrait d'atteindre l'absolu, cherche-t-elle à coïncider avec ce que l'objet a d'unique et, "par conséquent, d'inexprimable". Ici encore la philosophie existentielle a accentué cette position. Certains philosophes en viennent à faire du "je-ne-sais-quoi" une véritable catégorie de la pensée (Jankélévitch).

Selon Jaspers, toute existence individuelle est unique et, par suite, ce n'est pas seulement l'individu empirique dans sa particularité historique, qui est, comme l'avaient reconnu les scolastiques, "inépuisable et inexprimable", c'est l'existence elle-même qui s'oppose au discours, et la philosophie, en tant que discours sur l'existence, ne peut prétendre à l'exprimer: elle ne peut être qu'un appel qui "éveille" l'existant individuel et l'invite à être lui-même.

 

            C) Mais, si c'est une défaite de la pensée philosophique (dont le rôle est de tout comprendre) que de reconnaître de l'ineffable, il n'en va plus de même du point de vue religieux et surtout mystique. Qui reconnaît l'existence d'un être infini, reconnaît en effet par là même l'impuissance de l'intelligence humaine à le  comprendre pleinement et celle du langage humain à l'exprimer adéquatement. Aussi le premier Concile du Vatican proclame-t-il Dieu "ineffablement élevé" au-dessus de toutes les créatures. a plus forte raison, les mystiques qui s'efforcent d'entrer en union spirituelle avec cet Etre infini, ne trouvent-ils plus de paroles pour exprimer cette union, et certains d'entre eux sont allés jusqu'à parler du "je-ne-sais-quoi" qu'ils ressentent dans l'extase. Sainte Thérèse déclare qu'au moins au début, elle "passa fort longtemps sans trouver une seule parole pour faire connaître aux autres les lumières et les grâces dont dieu la favorisait", et Bossuet, dans une lettre à l'une de ses pénitentes, lui conseille, pour faire oraison, de dire ö sans rien ajouter.

Il s'en faut toutefois que, chez les vrais mystiques, cet état ne soit qu'inconscience et tourne le dos à toute intelligibilité. Comme l'a très bien dit h. Delacroix, "pour les mystiques chrétiens, le dieu ineffable est au dieu de l' Eglise ce que l'intuition est au discours. Il le dépasse, mais il se précise et s'explicite en lui... Ils adhèrent explicitement ou implicitement à l'école qui contraint le discours à témoigner en faveur de l'intuition".

 

 

 

Heidegger et le langage.

 

            Heidegger affirme que affection et comprendre sont les deux points fondamentaux qui constituent l'être-au-monde: "Le parler est existentialement co-originaire avec l'affection et le comprendre".

Dès lors, ce que je comprends ne peut être articulé que par le parler, et sans le parler, il ne peut y avoir ni explicitation, ni énoncé. Heidegger cherche alors à dégager la structure essentielle du parler:

a) "Parler est parler sur...", et le parler constitue ainsi l'ouverture du Da-Sein (être-là) sur le monde.

b) "Parler sur est aussi parler avec": on parle ici tout simplement du partage du parler, de la communication ou dia-logue.

 

            La communication se révèle comme co-affection et compréhension, transportant de la sorte les opinions et les vécus, elle est le passage, dit Heidegger, de l'intériorité d'un sujet à l'intériorité d'un autre sujet. La locution devient vraiment la possibilité d'être-dehors, la possibilité d'Ek-sister, au sens de sortir de soi. D'où les différentes manières de parler créant alors différentes manières d'être l'être-le-là, d'être-au-monde.

Aussi, à l'extrême inauthenticité, Martin Heidegger pourrait dire qu'il est possible d'ouïr sans entendre, c'est-à-dire qu'il est possible de percevoir des sons sans se constituer en tant qu'être qui entend le parlé de l'être-avec. L'écouter, plus que l'ouïr est pleinement originaire. Donc, je ne peux écouter qu'à partir du moment où j'ai compris, dans la mesure nous sommes liés à l'autre, "auprès de l'étant dont il est parlé".

            Heidegger énonce sur une autre donnée essentielle du discours: le Silence. Ce Silence permet fréquemment d'être authentique, c'est-à-dire qu'il est tout à fait possible de se faire comprendre en se taisant: plus grave est de pénétrer dans l'Incompris en le banalisant avec des mots. Heidegger ne dit pas qu'il faut se taire, il dit simplement qu'il faut savoir se taire: le Silence est donc bien un mode de discours puisqu'il tue le bavardage stérile: "L'homme parle pour autant qu'il répond à la parole. Répondre, c'est être à l'écoute. Il y a écoute dans la mesure où il y a appartenance à l'injonction du silence".

Et, c'est dans la poésie qu'Heidegger trouve réalisé ce parler authentique. Le mot poétique "porte, comporte et rapporte l'ensemble du monde". Le mot empêche de sombrer dans l'obscurité, il donne à la pensée sa pleine dimension, comme la pensée donne au mot sa pleine authenticité. Faire avec la parole une expérience, ce n'est pas, dit Heidegger, penser scientifiquement, méthodiquement. Il faut se laisser aller au Dire.

Pour faire cette expérience pensante avec la Parole, il faut chercher à saisir la contrée où Poésie et Pensée co-habitent et donne relief au langage.

            A partir de cette remarque, Heidegger va qualifier de nouveau le langage comme la "plus innocente des occupations" et le "plus dangereux des biens". En premier lieu et notamment dans le dire poétique, le langage permet de révéler son appartenance à la Terre.  Heidegger revient sur cette définition de l'être humain comme être qui doit témoigner de tout ce qui est, comme être qui doit créer cet historialité d'être. Le but du langage est la révélation de l'étant. Aussi, il est possible d'exprimer par lui le confus et le commun, tout comme évidemment il peut exprimer le pur et le clair. Dès lors, le langage révèle toutefois un double danger, celui de l'erreur et de la menace.

Ainsi, quand la parole est parlée, rien ne garantit sa pureté, la pureté de la Dite, ou bien son "vide sonore". Malgré cette inauthenticité, le langage est un bien de l'homme, un bien qui n'est pas seulement appartenance, mais aussi un moyen unique de révéler le monde: "Là seulement où il y a langage, il y a un monde, c'est-à-dire ce cercle continuellement changeant de décision et d'entreprise, d'action et de responsabilité, mais aussi d'arbitraire et de tumulte, de déchéance et d'égarement". D'où la différence entre Parler et Dire: on peut ainsi parler sans fin et ne rien dire, et dire beaucoup en ne parlant pas.

            Le langage est donc plus qu'un bien, il est ce qui permet seul l'avènement de l'être-là. Le langage est le fondement même de l'être, cet être qui ne prend sa réalité existentiale que dans et par le dia-logue; et l'essentialité du langage réside dans ce dernier qui est médiateur de la rencontre: je parle parce que je peux entendre. Pour cela, l'être qui écoute doit bien sur pénétrer la Dite de la Parole ou le (non-) dit par-delà ce qui est dit, se laisser envahir par elle. Et l'intérêt d'une telle affirmation est de ne donner l'écoute qu'à ceux qui entendent la Dite ou monstration signifié de la Parole. Le dia-logue institue véritablement notre présence, notre être-là. Rencontre et rendre compte de l'Un et de L'Autre. Il est Eclat, Eclaircie, apparition de ce qui vient en présence.

 

Psychanalyse freudienne et langage.

 

            " Ca parle là où ça souffre": cet aphorisme de Jacques Lacan souligne la liaison étroite entre le langage et la psychanalyse. Lapsus, rêves, cure, tout se joue autour de la question du langage et de sa signification.

            La révolution psychanalytique part d'une constatation dont toute l'oeuvre de Freud s'efforce d'administrer la preuve en étendant ses recherches depuis le comportement du sujet individuel jusqu'aux manifestations culturelles de l'humanité (art, religion, guerre, morale); l'homme n'est pas le centre de lui-même. Il y a en lui un autre sujet que le sujet conscient de la psychologie traditionnelle dont les racines sont à trouver du côté de la sexualité: l'inconscient.

La découverte freudienne n'est dont pas une recherche de type biologique ou physiologique, encore moins une apologie des instincts, et le psychanalyste n'est pas tant à comparer à un explorateur de fonds inconnus qu'à un linguiste tentant de déchiffrer des réseaux de signes et d'en interpréter le sens. Ce qui  a été "refoulé" continue de fonctionner en dehors du sujet, et le nouveau sujet de cet "en dehors" est strictement ce qu'on nomme inconscient. Une vérité, une conduite refoulée s'expriment ailleurs, dans un autre registre, en langage chiffré et clandestin. Sous la voix claire de notre conscience, murmure ou quelque fois crie une autre voix, celle d'une histoire très ancienne, celle de notre passé individuel et plus généralement de notre culture qui nous conte des récits faits d'inceste, de meurtre et de parricide.

            Freud, nous donne donc à comprendre que l'homme est indissociablement un être de désir et un être de langage et que le premier  a besoin du second pour se dire ou pour se cacher. L'inconscient est donc un langage qui ne cesse de parler, qu'il s'agisse de la folie, parole qui a renoncé à se faire (re)connaître, ou de la "normalité" dans laquelle le sujet ne parvient que rarement à maîtriser son inconscient.

            Dans tous les cas de figure, la psychanalyste nous montre que le lieu en lequel l'homme accède à son humanité est le lieu de l'ordre du Symbolique, c'est-à-dire de la culture formellement identique à l'ordre du langage. Mais, cet ordre du Symbolique peut être aussi le lieu où l'homme "rate" son humanité.

Ainsi, toute psychanalyse s'organise autour du langage, de la "maladie" à la "guérison" en un geste qui légitime l'intérêt que linguistes, analystes et anthropologues lui portent.     

            C'est dans "La science des Rêves", cette "voie royale vers l'inconscient", que  Freud pose clairement l'existence d'un autre langage que celui de la communication conventionnelle. Le rêve est un rébus, c'est-à-dire une suite de graphismes exprimant par homologie une phrase qu'il s'agit de retrouver. Les rêves parlent, ils ont un sens. Bien loin d'être pur non-sens, ils possèdent une signification dont la structure est analogue à celle d'une phrase mutilée, tronquée, truquée et dont il importe de reconstituer l'enchaînement et la lecture cohérente. Freud découvre donc, en laissant dire le rêve, que le désir tend à s'y accomplir et qu'une "pensée" est possible sans le "je pense" cartésien ou kantien. Bien plus, les rêves obéissent à des règles de transformation comparables aux règles de la rhétorique: tout objet, personne ou thème peut en condenser plusieurs autres.

Par ailleurs, l'essentiel est généralement déplacé vers une situation accessoire comme un détail infime peut porter le mot-clef.

Le rêve se présente comme un récit manifeste, parfois fort embrouillé mais toujours réputé interprétable.

            Condensation, déplacement, transposition sont donc les termes-clés qui ponctuent l'élaboration d'une interprétation des rêves. Le contenu manifeste est une transcription, une traduction dans une autre langue du contenu latent. Si le rêve a la structure d'une phrase, c'est qu'il s'y passe des transformations: on y traduit des idées en figures, on y saisit du sens dans un détournement, on y lit la vérité quand elle se cache dans le mensonge. Ainsi, l'analyste des rêves réside dans le décryptement des réseaux de mots, d'allusions, de références, réseaux qui manifestent ainsi l'existence d'une véritable "logique de l'inconscient" (bien qu'elle obéisse à d'autres règles que celle de la veille: en particulier, elle n'obéit pas aux principes de non-contradiction ou de temporalité des séquences.

            Enfin, toutes les perturbations du langage normal sont des indices qui renvoient au fonctionnement de l'autre langage. Lapsus, oublis traduisent à leur manière une perturbation dans la chaîne de l'inconscient; ainsi de l'oubli d'un mot: à la place du rapport normal signifiant/ signifié surgit un autre signifiant qui symbolise le refoulement d'un signifié interdit ou allusif. De même, le lapsus montre qu'un intrus apparaît dans la chaîne signifiante et traduit-trahit un voeu, un conflit, une angoisse; le jeu dans le langage permet de découvrir une fissure révélant l'inconscient. S'il y a un plaisir des jeux de mots, l'expression est à comprendre à la lettre: le jeu avec les mots procure du plaisir parce que, enfants, nous avons eu la liberté de jouer avec les mots et d'en jouir. Il y a donc dans le jeu de mots, comme du reste dans le fantasme ou l'oeuvre de fiction, une manière de rejouer, de répéter et de travestir des jouissances perdues.

            L'adulte civilisé ne connaît plus guère que deux lieux où souffle encore la liberté du non-sens, où les interdits que la logique nous inflige peuvent être levés et où l'inconscient vient tirer les ficelles du langage: l'humour et l'art.

            Aussi le rapport thérapeutique est-il d'emblée un rapport de dialogue entre l'analysé et l'analysant: il commence par le silence, ce point où la parole bute, il se termine lorsque, au-delà de la relation transférentielle, un sujet a reconquis la possibilité de s'adresser à d'autres sujets au sein du langage considéré comme constituant. Selon l'expression de Lacan: "le sujet commence l'analyse en parlant de lui sans vous parler à vous ou en parlant à vous sans parler de lui. Quant il pourra vous parler de lui, l'analyse sera terminée".

            Langage travesti, dissimulé dans la véhémence du discours, Freud rencontre la difficile question du symbole.

Le terme de symbolique (utilisé par Lacan à la suite de Levi-Strauss) tend à désigner l'ordre humain du langage inhérent à la culture. L'activité langagière est essentiellement symbolique, c'est-à-dire exprimant et constituant la réalité par des mots, des symboles. Aussi, le sujet humain s'insère dans un ordre pré-établi.

Toutefois, Freud se refusera à l'élaboration d'une symbolique universelle (qui conduira chez Jung à la théorie d'un inconscient collectif supra-sensible avec sa théorie des "archétypes". Il en restera à une thèse nuancée. 

Pouvoir du langage et langage du pouvoir:

            Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il est clair que le langage joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir. Il permet ou facilite l'action; il l'interdit ou la sanctionne; le droit se dit et s'écrit et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire du langage, tout comme ils sont attentifs à en capter les signes.

            Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langages propres à orienter l'action d'autrui. Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait par s'emparer de la fleur rouge. Prêtres et scribes, pontifes et rois, légistes et avocats, journalistes et hommes des médias connaissent tour à tour cette puissance. L'agora  d'Athènes était le lieu de disputes, de collusions oratoires. De même, Dieu se manifeste  par cet acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà Saint-Jean.

            Dans les sociétés complexes, le langage est l'expression du pouvoir. A tel point que le fait de nommer, de qualifier un Pouvoir, lui donne sa cohérence, sinon son existence: qui dit monarchie se met en mesure d'élaborer le système monarchique, formule la série des concepts qui se trouvent mis dans la langue.

            Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir. L'un des privilèges les plus incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserver la langue. Le langage de la culture se confond avec celui de la classe dirigeante. Les faits langagiers montrent la capacité "performative" des classes dirigeantes. Et, le propre de ces dernières est d'éviter ou d'intégrer la "gheottisation" du langage: culture jeune (BD, musique, expressions "branchées"...). Dès lors, si le pouvoir manifeste son emprise sur le langage, ce dernier à son tour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une signification historique et politique considérable: l'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone, lorsque la France était puissante, on parlait français à Saint-Pétersbourg. De même, à la limite, on obtient le phénomène de la langue de bois qui est une conséquence de la glaciation du langage et/ou de la glaciation du Pouvoir.

Aussi, il faut bien qu'un jour, change ce langage jugé rétrograde. Et, la révolution se manifeste aussi par un acte de langage. La prise du pouvoir ne s'accompagne pas par hasard de déclarations solennelles, de thèses ou de profession de foi.

            En bref, on peut dire que le rêve de puissance est un rêve de langage. Il fonde et manifeste le Pouvoir et celui-ci s'exerce par celui-la. 

Les surréalistes et le langage ou la déconstruction du pouvoir. 

            Le surréalisme est né de la première guerre mondiale et de la "crise de conscience" qui s'ensuivit. La civilisation s'était engager dans une impasse, celle du tragique et de l'absurde. Aussi, le surréalisme apparut-il d'abord comme une volonté de libération, un mouvement de rupture et de révolte contre toutes les valeurs de la société rabaissées au rang de préjugés bourgeois.

Au risque de passer pour des nihilistes intellectuels, les surréalistes s'attaquèrent aux manifestations les plus spectaculaires de la raison triomphante: la société, la morale, la religion, l'art. C'est Tristan Tzara, le créateur de Dada, qui le premier proclamera la nécessité d'une "rupture de l'art d'avec la logique", d'un "grand travail négatif à accomplir". Aussi, le groupe Dada n'aura pour but que de tourner en dérision les valeurs décadentes de cette société. La méthode est la suivante: il ne s'agit plus d'exprimer une pensée préexistante par le truchement du langage, mais d'explorer toutes les ressources du langage comme révélatrices de pensées nouvelles, c'est-à-dire encore jamais exprimées. D'expression, le langage devient création, et dans cette création la spontanéité doit triompher de la logique et de la raison. Liberté d'expression sans précédent qui s'efforce de supprimer tous les tabous, les conventions moraux, religieux, esthétiques. Tout doit être merveilleux c'est-à-dire beau: l'art doit être magique, l'écriture sera magie verbale.

            La psychanalyse fut, bien évidemment, un auxiliaire précieux des surréalistes: profondeurs de l'inconscient, connaissance et interprétation des rêves, associations d'idée, ect. Et, le langage fut l'instrument privilégié de cette expression notamment par l'écriture automatique où il s'agissait d'exprimer "le fonctionnement pur de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale" (Breton), en somme laisser parler en soi le langage, traduire cette dictée intérieure du langage.

Le rêve et le sommeil hypnotique offriront également aux surréalistes un terrain aussi vaste que nouveau à déchiffrer pour approfondir leur connaissance de l'inconscient.

            On doit aux surréalistes l'invention de techniques nouvelles comme les frottages, les collages (Max Ernst), la "paranoïa critique" (Dali) qu'il définit lui-même comme "une méthode de connaissance irrationnelle" et les objets "ready-made" (Marcel Duchamp).

Aux sources du langage: la poésie.

 

            La poésie n'est pas seulement un genre littéraire, elle fait partie de la vie. Elle implique qu'il y ait comme un reflet du monde infini qui comprend la conscience dans le monde fini qu'elle comprend. Il  semble que le langage soit dans son essence même poétique comme reflet de l'infini dans le fini. Cette hypothèse est d'ailleurs étayée par le fait que toute communauté humaine trouve la racine de sa spiritualité dans une mythologie, et que toute mythologie est poétique ne serait-ce que par l'effort de refléter l'infini dans des images. Et, le langage prosaïque n'est qu'une dégradation utilitaire et vulgaire du langage poétique originel.

            L'étymologie de la poésie renvoie à la poiêsis, l'action de faire. On peut penser que le poète accomplit l'acte premier, celui qui rend l'action possible, l'acte d'engendrer le sens, de révéler la profondeur du monde.

                                                                                        

Conclusion:

            La langue est le médium par lequel nous pouvons nous mettre à l'écoute de l'Etre en tant que Don qui parle et, en parlant, fait grâce à qui s'y entend à l'entendre.

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