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Tocqueville, De la démocratie en Amérique (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville s’est attaché à décrire les conditions et les éléments qui permettent de caractériser la société américaine de son temps de société démocratique. Procédant à la manière de Montesquieu qui dans l’Esprit des lois a recensé les causes déterminantes qui permettent de qualifier les régimes politiques, Tocqueville expose les critères qui font de la société démocratique une société libérale. À ses yeux, la démocratie s’incarne dans l’égalisation des conditions au sens où la société démocratique refuse les différences héréditaires de conditions. L’égalité ici est sociale, chacun pouvant accéder à toutes les professions et à toutes les distinctions, et ne s’oppose pas aux inégalités économiques où les plus riches côtoient les plus démunis.

De la démocratie en Amérique, de Tocqueville

 

[...] Presque toutes les révolutions qui ont changé la face des peuples ont été faites pour consacrer ou pour détruire l’inégalité. Écartez les causes secondaires qui ont produit les grandes agitations des hommes, vous en arriverez presque toujours à l’inégalité. Ce sont les pauvres qui ont voulu ravir les biens des riches, ou les riches qui ont essayé d’enchaîner les pauvres. Si donc vous pouvez fonder un état de société où chacun ait quelque chose à garder et peu à prendre, vous aurez beaucoup fait pour la paix du monde.

 

 

Je n’ignore pas que, chez un grand peuple démocratique, il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des citoyens très riches ; mais les pauvres, au lieu d’y former l’immense majorité de la nation comme cela arrive toujours dans les sociétés aristocratiques, sont en petit nombre, et la loi ne les a pas attachés les uns aux autres par les liens d’une misère irrémédiable et héréditaire.

 

 

Les riches, de leur côté, sont clairsemés et impuissants ; ils n’ont point de privilèges qui attirent les regards ; leur richesse même, n’étant plus incorporée à la terre et représentée par elle, est insaisissable et comme invisible. De même qu’il n’y a plus de races de pauvres, il n’y a plus de races de riches ; ceux-ci sortent chaque jour du sein de la foule, et y retournent sans cesse. Ils ne forment donc point une classe à part, qu’on puisse aisément définir et dépouiller ; et, tenant d’ailleurs par mille fils secrets à la masse de leurs concitoyens, le peuple ne saurait guère les frapper sans s’atteindre lui-même. Entre ces deux extrémités de sociétés démocratiques, se trouve une multitude innombrable d’hommes presque pareils, qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l’ordre, et n’en ont pas assez pour exciter l’envie.

 

 

Ceux-là sont naturellement ennemis des mouvements violents ; leur immobilité maintient en repos tout ce qui se trouve au-dessus et au-dessous d’eux, et assure le corps social dans son assiette.

 

 

Ce n’est pas que ceux-là mêmes soient satisfaits de leur fortune présente, ni qu’ils ressentent de l’horreur naturelle pour une révolution dont ils partageraient les dépouilles sans en éprouver les maux ; ils désirent au contraire, avec une ardeur sans égale, de s’enrichir ; mais l’embarras est de savoir sur qui prendre. Le même état social qui leur suggère sans cesse des désirs renferme ces désirs dans des limites nécessaires. Il donne aux hommes plus de liberté de changer et moins d’intérêt au changement.

 

 

Non seulement les hommes des démocraties ne désirent pas naturellement les révolutions, mais ils les craignent. [...]

 

 

Source : Tocqueville (Alexis de), De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961.

 

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