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L'acteur est un homme qui travaille en public avec son corps. Jerzy Grotowski

Publié le 22/02/2012

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Acteur et metteur en scène de théâtre polonais, Jerzy Grotowski, auteur de cette phrase, a créé le Théâtre-Laboratoire en 1959, dans une petite ville polonaise, à ()pole, et s'est installé en 1965 à Wroclaw, ville universitaire importante, où son Laboratoire, subventionné par l'Etat et les municipalités d'Opole et de Wroclaw, est devenu un Institut de Recherche pour le Jeu de l'acteur. Le caractère expérimental, que suggère l'appellation de Théâtre-Laboratoire, se trouve illustré par le parti pris de circonscrire la pratique théâtrale à son élément constitutif et spécifique : la relation qui unit l'acteur à son public, étant entendu que c'est le corps de l'acteur qui constitue l'instrument privilégié de cette relation.

« cet acte accompli par le théâtre est total.

»(«Il n'était pas entièrement lui-même », Les Temps Modernes, 1967). Comme la spécificité de la communication théâtrale repose, selon Grotowski, sur « la proximité de l'organisme vivant», il faut supprimer tous les obstacles qui s'interposent entre l'acteur et le spectateur.

La présence en un même lieude ces deux partenaires qui se font vis-à-vis implique un contact charnel qui doit s'accomplir sans intermédiaire.Comme au cours d'une cure psychanalytique, l'acteur est supposé surmonter sans cesse de nouvelles résistancesdont le corps est l'interprète.

Dès lors, grâce à des exercices adaptés individuellement aux résistances de l'acteur,tout ce qui entrave physiquement l'accomplissement intérieur de celui-ci doit faire l'objet de la plus vive sollicitude :il importe que le corps participe activement au dévoilement et à la création de soi.

C'est à ce prix que le contactdirect avec le spectateur peut avoir lieu : « Que les scènes les plus drastiques se produisent face à face avec le spectateur afin qu'il soit à portée de la mainde l'acteur, qu'il sente sa respiration et sa sueur.

Cela implique la nécessité d'un théâtre de chambre.

»(«Le Nouveau testament du théâtre», article cité). Le spectateur est évidemment partie prenante dans ce processus.

Si l'acteur est capable de s'exprimer avecsincérité, en se donnant totalement, le contact qui se noue avec le spectateur devient pour celui-ci une incitation àimiter le modèle qui lui est proposé.

L'émulation est le gage de la réciprocité dans l'échange.

Précisant, tout d'abord,que le don de l'acteur est total : « On doit se donner totalement, dans son intimité nue, avec confiance, comme l'on se donne en amour.

» Grotowski sollicite la réciprocité du spectateur : «Le spectateur comprend, consciemment ou inconsciemment, que ce genre d'acte est une invitation à lui-même,d'en faire autant, et cela suscite souvent une opposition ou de l'indignation, parce que nos efforts quotidienstendent à cacher la vérité sur nous-mêmes, non seulement face au monde mais face à nous-mêmes.

» («LeNouveau testament du théâtre). Théâtre de chambre », comme le dit Grotowski : pour être efficient, le contact entre l'acteur et le spectateur nepeut mettre en cause qu'une dizaine de spectateurs face à chaque acteur, c'est dire que l'auditoire sera constituéd'une soixantaine de spectateurs, approximativement.

Chaque spectateur étant censé se muer en un partenaireengagé dans la même expérience de vérité que l'acteur, la communication théâtrale a changé de nature.

De simplereprésentation, le spectacle est devenu confrontation, expérience, épreuve, c'est-à-dire révélation vitale, pour lespectateur comme pour l'acteur, mais aussi danger, expérience des limites.

Serait-ce pour cette raison queGrotowski a renoncé, au début des années 70, à poursuivre une telle expérience ? • Contemporains de la révolte estudiantine de mai 1968, de nouveaux courants se sont dégagés qui, peu ou prou,tendent à promouvoir l'acteur, au point de lui assigner, dans l'ensemble du spectacle, une fonction prioritaire, voirehégémonique.

Par contrecoup, le texte se voit relégué dans une fonction subalterne : l'acteur est confronté, selonl'exemple de Grotowski, à un tête à tête, ou mieux, à un corps à corps avec le public, dont il réclame uneparticipation de plus en plus directe et active.

Ainsi peut-on invoquer le café-théâtre (le Café de la Gare, animé parRomain Bouteille, en est la meilleure illustration) qui, au début des années soixante, accueillait un public complice deson comique acide, quelque peu tapageur et toujours contestataire.

Quand, en 1967, l'acteur et metteur en scèneRoger Planchon quitte le Palais des Papes d'Avignon, pour créer le Théâtre de la Cité de Villeurbanne, n'envisage-t-ilpas, tout comme Grotowski, de supprimer la barrière qui sépare toujours le public des acteurs? De même, en 1968,Jean-Louis Barrault et sa Compagnie, contraints de quitter l'Odéon-Théâtre de France, se soucient d'unir plusétroitement spectateurs et acteurs, à l'unisson de la «fête » qui occupe la rue.

Ils s'installent alors (en 1969) àl'Elysée-Montmartre, salle qui, d'ordinaire, accueille un public féru de catch et de boxe.

Barrault fait élever untréteau en forme de croix sur l'espace rectangulaire de la salle, de telle sorte que le public enveloppe les acteurs desa chaude présence.

Quant au texte, découpé, monté pour les besoins du spectacle, il emprunte son inspiration àRabelais pour exalter, corps et esprit confondus, la joie de vivre.Jean-Louis Barrault s'est toujours plu à réunir en un « théâtre total » le théâtre du silence (pantomime et danse) etle théâtre parlé (mots et chant), dès lors que le geste, tout autant que la parole, est l'expression du corps, mobilisédans sa totalité.

Les séparer reviendrait à amputer l'acteur de ses moyens d'expression et de son être intime.Une autre expérience prolonge également la «fête » de 1968 : le spectacle intitulé /789 et présenté par le Théâtredu Soleil, d'Ariane Mnouchkine, en 1970, à la Cartoucherie de Vincennes.

Là aussi, le public est invité à prendre partà l'évocation sur la scène des deux premières années de la Révolution française : la fête de la prise de la Bastille,celle de la nuit du quatre août, en particulier, demandent des acteurs et du public une mise en situation « collective».

Conscience vivante de l'utopie révolutionnaire, les acteurs, mués à la fin du spectacle en spectateurs, laissentdeviner la dégradation en pur spectacle de la fusillade du Champ-de-Mars.. »

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