Devoir de Philosophie

COMMUNISME ET LITTÉRATURE (Histoire de la littérature)

Publié le 22/11/2018

Extrait du document

histoire

COMMUNISME ET LITTÉRATURE. Dès le début des années vingt, au temps où le parti communiste français ne comptait que quelques dizaines de milliers d'adhérents, ce qui a été pratiquement le cas jusqu’en 1936, la question de ses rapports avec la vie littéraire s’est trouvée posée. L’idée première était d’attirer les écrivains que la Grande Guerre avait détachés de la société bourgeoise et, pour le bien de la cause, d’adjoindre à ces « transfuges », dont Anatole France représentait, de façon très éphémère, le modèle, un certain nombre d’auteurs « prolétariens », pas tous révolutionnaires et surtout moins connus que les auteurs d’origine bourgeoise. Pour rallier ces deux catégories, et grossir leurs rangs, il faudrait, pensait-on, du temps et du doigté et surtout ne pas imposer aux écrivains une doctrine et encore moins une discipline de parti. Cette vue qui prévalait encore en Russie au milieu des années vingt s’est incarnée en France chez Henri Barbusse, alors le seul écrivain communiste à jouir d’une notoriété mondiale; c’est celle qu’il a tenté de mettre en pratique quand il a été directeur de la page littéraire de l’Humanité (avril 1926-nov. 1927), puis quand il a fondé et dirigé l’hebdomadaire Monde (1928-35), destiné à rallier les intellectuels au communisme mais sans être ouvertement un organe du parti.

 

On pouvait croire, en France du moins, que cette formule prévaudrait. C’était compter sans un événement qui a rapidement tout changé : la montée « au créneau », ou « sur le front » littéraire, de militants communistes résolus à imposer une conception plus conforme à la physionomie que prenaient les partis communistes « bolchevisés ». Apparus en Russie en 1923, ils surgissent en France quelques années plus tard et, en 1932, au terme d’une campagne forcenée contre Monde, ils triomphent définitivement, avec l’aide du parti et de l’internationale littéraire, de la conception défendue par Barbusse et mettent sur pied la première organisation littéraire communiste, l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, qui aura bientôt sa propre revue, Commune (1933).

 

Ce tournant est capital; jusqu’alors écrivaient dans les journaux communistes des écrivains, philosophes ou journalistes, qui étaient ou membres du parti, ou proches de lui, mais qui avaient un certain souci de la spécificité de la littérature; à partir de 1932, les militants (Fréville, Moussinac) prétendent faire le « travail du parti » dans le « secteur » littéraire et se réfèrent, avant toute chose, à l’état de la lutte des classes et aux intérêts du parti, même s’ils sont déjà, ou vont devenir, des écrivains connus (Aragon, Nizan). Bien sûr, entre les années trente, où les militants ne sont qu’une poignée, et les années de l’après-guerre, la situation a considérablement évolué; après la Libération, le P.C.F., que beaucoup d’intellectuels ont rejoint pendant la Résistance, au point qu’il peut se prévaloir un moment d’être le « parti de l’intelligence », dispose de beaucoup plus de forces que par le passé : c’est le moment où s’illustrent Daix, D. Desanti, Garaudy, Hervé, Kanapa, Marcenac, Stil, Wurmser et, de façon plus éphémère, Edgar Morin et Claude Roy; par rapport à leurs aînés des années trente, ils ont, du fait de l'importance prise par la presse que le P.C.F. dirige, contrôle ou oriente (Action, Ce soir, les Lettres françaises), accédé à des responsabilités plus grandes et à des avantages matériels plus étendus; inversement, ils sont plus dépendants, plus contrôlés et plus dépourvus d’initiative, dans la mesure où la politique littéraire est devenue l’affaire de dirigeants préposés à l’idéologie, et parfois rivaux entre eux (Casanova, Lecœur).

 

Cependant, des années trente aux années cinquante, ce sont bien les mêmes « qualités » qui font le propre des militants : la disposition au combat et la « passion de servir » (Aragon); les militants transforment la vie littéraire en champ de manœuvre : encadrant les auteurs qui sont du même bord qu’eux, éreintant ceux qu’ils situent dans le camp ennemi, houspillant l’entre-deux, ils parlent tour à tour en recruteurs, en stratèges et en agents du contre-espionnage. Quant à la passion de servir, qui s’est le plus souvent manifestée par la soumission complète aux consignes du parti, y compris quand elles tendaient à faire d’eux les défenseurs des pires causes, ils l’ont transportée jusque dans la création littéraire.

 

Qu’un roman mette en scène des communistes engagés dans la lutte ne suffit pas, en effet, à en faire un livre partisan ou militant, surtout s’il préserve une dimension fantastique (Jasienski, Je brûle Paris, 1928) ou tragique (Nizan, le Cheval de Troie, 1935); sinon, il ne tombe pas forcément plus bas que la moyenne des romans à thèse; mais les romanciers militants ont poussé l’asservissement du genre beaucoup plus loin, quand ils l’ont utilisé pour trafiquer ou falsifier la vérité historique : ainsi quand, dans la première version des Communistes (achevée en 1951), Aragon a fabriqué un personnage de traître pour salir la mémoire de son ancien camarade Nizan, qui avait quitté le parti par désaccord avec le pacte germano-soviétique; c’est le même Aragon qui, en 1930, avait poussé la poésie de commande bien au-delà de ses habituelles outrances en célébrant la police politique de Staline et en accablant les victimes innocentes de celle-ci (Front rouge). L’exemple d’Aragon vaut d’être cité dans la mesure où, compte tenu de sa stature d’écrivain, aucun des mobiles qui pourraient valoir pour de plus médiocres

 

que lui : ni la sécurité d’un public acquis d’avance, ni l’attrait des distinctions internationales (tel le prix Staline attribué en 1952 à un roman d’André Stil), ni la variété des missions qu’un militant devait remplir en plus de son travail d’écrivain ou de critique (y compris la charge de membre du Comité central), ni même le « désir de régner » sur tout un pan de la vie littéraire, n’explique sa passion de servir, son attitude de « zélote », sa capacité à endurer les désaveux et les avanies infligés par le parti. Il faut plutôt croire que le militant, tel qu’il l’incarne, représente une figure pleinement historique, qui ne pouvait pas survivre à la déstalinisation (comme le prouve le suicide de Fadéiev en 1956). Et en tentant à partir des années soixante de défaire, de l’intérieur du parti, cette sujétion dans laquelle il était allé plus loin et plus longtemps que quiconque, Aragon a sans doute contribué à l’affaiblissement du parti, alors qu’il souhaitait plutôt le transformer; car le militant formait une pièce essentielle dans l’armature symbolique du communisme et dans l’emprise qu’il exerçait sur la vie littéraire.

 

Les écrivains devant le P.C.F.

 

C’est à partir de la fonction centrale du militant que l’on peut situer le mieux les rapports que les écrivains français ont noués avec le communisme; ceux-ci forment trois catégories relativement distinctes. Les « compagnons de route » représentent le courant progressiste des débuts, tel que le concevait Barbusse, mais passé sous la tutelle des militants. Ce sont des intellectuels ou des écrivains dont la carrière ou la notoriété s’est faite en dehors du parti mais qui, à un moment donné, ont rallié celui-ci de façon provisoire (Jean Cassou) ou définitive (Jean-Richard Bloch, de la fin des années trente à sa mort, en 1947). Ils ont, surtout dans les années trente, fait profiter le parti de leur réputation, tout en trouvant dans leur compagnonnage avec lui un moyen d’élargir ou de rénover leur audience, ou tout simplement de faire une fin. A l’égard de sa politique, ils se gardent, quand ils n’y adhèrent pas pleinement, de toute critique publique; en échange, leur œuvre, quand elle se poursuit, ne se soumet pas aux exigences du militantisme. Le cas le plus célèbre est celui de Romain Rolland, surtout après 1932, mais d'autres tels que Bloch et Cassou, déjà nommés, mais aussi Luc Durtain et, surprise, Julien Benda ont joué un rôle dans ce qu’Hannah Arendt a baptisé les « organisations de façade » du parti communiste; leurs rangs se sont éclaircis après la guerre et les noms connus y ont été moins nombreux.

histoire

« v1ses ».

Apparus en Russie en 1923, ils surgissent en France quelques années plus tard et, en 1932, au terme d'une campagne forcenée contre Monde, ils triomphent définitivement, avec l'aide du parti et de l'Internationale littéraire, de la conception défendue par Barbusse et met­ tent sur pied la première organisation littéraire commu­ niste, 1' Association des écrivains et artistes révolution­ naires, qui aura bientôt sa propre revue, Commune ( 1933).

Ce tournant est capital; jusqu'alors écrivaient dans les journaux communistes des écrivains, philosophes ou journalistes, qui étaient ou membres du parti, ou proches de lui, mais qui avaient un certain souci de la spécificité de la littérature; à partir de 1932, les militants (Fréville, Moussinac) prétendent faire le «travail du parti» dans le « secteur » littéraire et se réfèrent, avant toute chose, à 1' état de la lutte des classes et aux intérêts du parti, même s'ils sont déjà, ou vont devenir, des écrivains connus (Aragon, Nizan).

Bien sûr, entre les années trente, où les militants ne sont qu'une poignée, et les années de l'après-guerre, la situation a considérablement évolué; après la Libération, le P.C.F., que beaucoup d'in­ tellectuels ont rejoint pendant la Résistance, au point qu'il peut se prévaloir un moment d'être le «parti de l'intelligence », dispose de beaucoup plus de forces que par le passé : c'est le moment où s'illustrent Daix, D.

Desanti, Garaudy, Hervé, Kanapa, Marcenac, Stil, Wurmser et, de façon plus éphémère, Edgar Morin et Claude Roy; par rapport à leurs aînés des années trente, ils ont, du fait de l'importance prise par la presse que le P.C.F.

dirige, contrôle ou oriente (Action, Ce soir, les Lettres françaises), accédé à des responsabilités plus grandes et à des avantages matériels plus étendus; inver­ sement, ils sont plus dépendants, plus contrôlés et plus dépourvus d'initiative, dans la mesure où la politique littéraire est devenue l'affaire de dirigeants préposés à l'idéologie, et parfois rivaux entre eux (Casanova, Lecœur).

Cependant, des années trente aux années cinquante, ce sont bien les mêmes «qualités » qui font le propre des militants : la disposition au combat et la «passion de servir» (Aragon); les militants transforment la vie littéraire en champ de manœuvre : encadrant les auteurs qui sont du même bord qu'eux, éreintant ceux qu'ils situent dans le camp ennemi, houspillant l'entre-deux, ils parlent tour à tour en recruteurs, en stratèges et en agents du contre-espionnage.

Quant à la passion de ser­ vir, qui s'est le plus souvent manifestée par la soumis­ sion complète aux consignes du parti, y compris quand elles tendaient à faire d'eux les défenseurs des pires causes, ils l'ont transportée jusque dans la création littéraire.

Qu'un roman mette en scène des communistes enga­ gés dans la lutte ne suffit pas, en effet, à en faire un livre partisan ou militant, surtout s'il préserve une dimension fantastique (Jasienski, Je brille Paris, 1928) ou tragique (Nizan, le Cheval de Troie, 1935); sinon, il ne tombe pas forcément plus bas que la moyenne des romans à thèse; mais les romanciers militants ont poussé l'asservisse­ ment du genre beaucoup plus loin, quand ils l'ont utilisé pour trafiquer ou falsifier la vérité historique : ainsi quand, dans la première version des Communistes (ache­ vée en 1951), Aragon a fabriqué un personnage de traître pour salir la mémoire de son ancien camarade Nizan, qui avait quitté le parti par désaccord avec le pacte germano­ soviétique; c'est le même Aragon qui, en 1930, avait poussé la poésie de commande bien au-delà de ses habi­ tuelles outrances en célébrant la police politique de Sta­ line et en accablant les victimes innocentes de celle-ci (Front rouge).

L'exemple d'Aragon vaut d'être cité dans la mesure où, compte tenu de sa stature d'écrivain, aucun des mobiles qui pourraient valoir pour de plus médiocres que lui : ni la sécurité d'un public acquis d'avance, ni l'attrait des distinctions internationales (tel le prix Sta­ line attribué en 1952 à un roman d'André Stil), ni la variété des missions qu'un militant devait remplir en plus de son travail d'écrivain ou de critique (y compris la charge de membre du Comité central), ni même le « désir de régner» sur tout un pan de la vie littéraire, n'explique sa passion de servir, son attitude de « zélote », sa capacité à endurer les désaveux et les ava­ nies infligés par le parti.

Il faut plutôt croire que le militant, tel qu'il l'incarne, représente une figure pleine­ ment historique, qui oe pouvait pas survivre à la déstali­ nisation (comme le prouve le suicide de Fadéiev en 1956).

Et en tentant à partir des années soixante de défaire, de l'intérieur du parti, cette sujétion dans laquelle il était allé plus loin et plus longtemps que qui­ conque, Aragon a sans doute contribué à 1' affaiblisse­ ment du parti, alors qu'il souhaitait plutôt le transformer; car le militant formait une pièce essentielle dans l'arma­ ture symbolique du communisme et dans l'emprise qu'il exerçait sur la vie littéraire.

Les écrivains devant le P_C.F.

C'est à partir de la fonction centrale du militant que l'on peut situer le mieux les rapports que les écrivains français ont noués avec le communisme; ceux-ci forment trois catégories relativement distinctes.

Les « compa­ gnons de route » représentent le courant progressiste des débuts, tel que le concevait Barbusse, mais passé sous la tutelle des militants.

Ce sont des intellectuels ou des écrivains dont la carrière ou la notoriété s'est faite en dehors du parti mais qui, à un moment donné, ont rallié celui-ci de façon provisoire (Jean Cassou) ou définitive (Jean-Richard Bloch, de la fin des années trente à sa mort, en 1947).

Us ont, surtout dans les années trente, fait profiter le parti de leur réputation, tout en trouvant dans leur compagnonnage avec lui un moyen d'élargir ou de rénover leur audience, ou tout simplement de faire une fin.

A l'égard de sa politique, ils se gardent, quand ils n'y adhèrent pas pleinement, de toute critique publi­ que; en échange, leur œuvre, quand elle se poursuit, ne se soumet pas aux exigences du militantisme.

Le cas le plus célèbre est celui de Romain Rolland, surtout après 1932, mais d'autres tels que Bloch et Cassou, déjà nom­ més, mais aussi Luc Durtain et, surprise, Julien Benda ont joué un rôle dans ce qu'Hannah Arendt a baptisé les. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles